Sarkozy : le référendum comme projet de survie edit

13 février 2012

Nicolas Sarkozy a donc choisi son terrain, celui sur lequel il espère pouvoir trouver et exploiter à son avantage certains des clivages qui traversent le plus profondément la société française. Les sondages indiquent en effet que les questions de l’immigration et des modalités d’indemnisation des chômeurs divisent profondément l’opinion. Le président sortant a ainsi décidé de mener une campagne offensive en contraignant son adversaire principal à clarifier ses idées dans ces domaines.

En soi, vouloir engager une grande réforme de la formation professionnelle n’a rien de choquant. Elle est nécessaire. Quant à vouloir que la juridiction administrative soit désormais la seule compétente en matière d’immigration, de forts arguments peuvent être apportés contre une telle réforme mais la question des principes et modalités de l’accueil des personnes immigrées ne doit pas être un sujet tabou dans un monde en plein bouleversement. Si Nicolas Sarkozy estime que c’est sur ces terrains qu’il peut espérer remonter son handicap sur François Hollande, c’est à celui-ci de lui montrer qu’il se trompe et à en convaincre les Français. On peut toutefois s’étonner du fait que si le président sortant les considère comme aussi cruciaux il ait attendu la fin de son quinquennat pour les mettre en tête de ses priorités !

Ce qui est en revanche fort inquiétant, c’est la manière dont Nicolas Sarkozy aborde politiquement ces sujets, en en faisant des questions à faire trancher par référendum. Pire encore, il lie la tenue de ces référendums à sa réélection en mai prochain, par une sorte d’échange avec l’électorat du Front national consistant à lui promettre de pouvoir s’exprimer plus tard directement sur ces questions à la condition de le réélire ! Outre que le procédé purement électoraliste touchant des questions aussi graves et difficiles est répréhensible du point de vue de la morale politique, l’utilisation du référendum sur ces questions est très dangereuse pour la cohésion nationale. En effet, sur le premier point, celui de l’indemnisation des chômeurs, Nicolas Sarkozy annonce clairement la couleur, voulant saisir « l’opportunité de s’adresser directement aux Français pour qu’ils donnent leur opinion sur ce système d’indemnisation du chômage et sur la façon dont on doit considérer le travail et l’assistanat ». Immanquablement, la question retraduite en langage politique sera de savoir si les Français considèrent ou non que les chômeurs se comportent comme des assistés. Derrière la seconde question concernant la juridiction compétente en matière d’immigration, sera posée en réalité la question de savoir s’il y a trop d’immigrés en France. On imagine aisément les dérapages possibles dans d’éventuelles campagnes référendaires sur ces deux sujets brulants et les effets dévastateurs de tels débats sur l’évolution du climat politique.

Certes, on peut dédramatiser tout ceci en prenant ces propositions pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des propositions purement électoralistes qui, compte-tenu de la très forte probabilité de défaite du président sortant, ne déboucheront pas de sitôt sur des référendums. Pour l’instant, Nicolas Sarkozy n’a qu’un objectif, récupérer, soit dès le premier tour de l’élection présidentielle si Marine Le Pen ne peut être candidate, soit au second tour s’il la précède au premier, la part la plus grande possible de l’électorat du Front national, afin de réduire l’ampleur de sa probable défaite. Ces propositions n’en sont pas moins irresponsables compte-tenu de la gravité politique des enjeux concernés. Elles contribuent à légitimer la manière de poser ces questions qui est celle du Front national et du coup de la banaliser, réduisant ainsi, puisque Nicolas Sarkozy entend porter le combat sur le plan des valeurs, la distance qui sépare sur ce plan la droite républicaine de l’extrême-droite. Au risque de briser ce qui reste d’homogénéité à cette droite. Au risque, du coup, de casser l’outil UMP qui est, avec le Parti socialiste, le seul parti d’alternance.

Nicolas Sarkozy, suivant en cela le sage l’exemple de ses prédécesseurs n’avait pas montré jusqu’ici un intérêt particulier pour la procédure référendaire dont l’histoire nous a appris qu’elle est d’un maniement délicat et peut produire des effets pervers. Depuis 1969, Cinq référendums seulement se sont tenus. Le général de Gaulle a été le seul président de la Ve République à lier son sort politique au résultat des quatre référendums qu’il a fait tenir, entre 1961 et 1969. Nicolas Sarkozy inverse ici la pratique gaullienne. Il ne s’agit plus de quitter le pouvoir en cas de défaite au référendum mais de promettre un référendum pour ne pas quitter le pouvoir ! Curieuse utilisation de cette procédure qui peut être utile dans des crises majeures mais ne doit pas être dévoyée sous peine de mettre en péril la démocratie représentative.