Retour sur une crise financière loin d'être finie edit

10 octobre 2007

Depuis le mois d'août, les économistes essaient de comprendre pourquoi la diversification du risque par la titrisation, que l'on considérait comme un facteur positif pour la croissance mondiale, s'est avérée être à l'origine de la crise récente. On a d'abord pensé à une crise de liquidités : quelques banques éprouvaient des difficultés injustifiées pour obtenir des fonds dans le marché interbancaire, et les banques centrales ont réagi en fournissant des liquidités par des opérations de marché ouvertes. De nombreux banquiers centraux et universitaires ont commencé à sourire : " je vous l'avais bien dit, il y avait un tel excès de liquidité, cela devait arriver " ; et d'adopter une position ferme à l'égard de l'aléa moral. Mais un mois plus tard, et après l'injection de milliards de dollars supplémentaires, la situation des marchés monétaires et du crédit ne s'était pas améliorée. Pour remédier à la crise du crédit, les banques centrales ont ajouté de nouvelles liquidités à une situation où elles étaient déjà trop abondantes ; sans plus de résultat. Peut-être bien, après tout, que ce n'étaient pas les liquidités.

Ce dont nous faisons aujourd'hui l'expérience, c'est la combinaison d'une réduction globale de la valeur des collatéraux, de détricotage des montages précédents, de réintermédiation, et d'aversion au risque. Examinons cela.

L'expansion du marché du logement aux Etats-Unis a suivi les étapes standards d'une bulle : une poussée initiale fondée sur quelques facteurs fondamentaux, tels que des taux d'intérêt bas, l'immigration, et le désir croissant de sécuriser son épargne en investissant dans la pierre. Cette expansion a été facilitée par les progrès technologiques dans les marchés des hypothèques : l'amélioration spectaculaire des techniques de calcul a permis une meilleure évaluation et une meilleure gestion du risque. Après quelques années, l'expansion a commencé à se développer de façon autonome, la spéculation a augmenté, l'activité et les prix se sont écartés des fondamentaux. C'est à ce moment que se forme la bulle, avec le phénomène du crédit hypothécaire (subprime) au cœur de l'accélération finale. Un grand nombre des hypothèques qui soutenaient cette expansion ont été revendues. Elles ont été titrisées - ce qui signifie qu'un prêt devient un bien marchand - et packagées - ce qui signifie que de nombreux prêts sont associés pour former un seul bien. Les packages ainsi montés, que l'on appelle des dérivés de crédit, ont alors été vendus dans le monde entier, la plupart d'eux avec la note AAA parce que le grand nombre de prêts inclus dans un package réduisait fortement le risque, par rapport à celui d'un prêt isolé.

C'était une idée intelligente, tant que les emprunteurs individuels ne défaillaient pas tous en même temps. Or c'est exactement ce qui est arrivé - et qui devait arriver - quand le marché du logement aux Etats-Unis a commencé à ralentir. Les défaillances ont commencé à croître et la valeur de beaucoup de ces crédits dérivés, notamment des packages montés dans la dernière période sur la base de subprimes, a dû subir une révision à la baisse. Par conséquent, les actifs de nombreux acteurs des marché financiers mondiaux ont vu leur valeur baisser, et cette valeur comme celle des collatéraux a continué à décliner.

Beaucoup de ces actifs étaient détenus par les banques. C'était une manière apparemment facile de faire du profit, avec des actifs notés AAA dont la rentabilité était supérieure à celle des obligations d'Etat et qui pouvaient être vendus ou utilisés comme collatéraux sur les marchés monétaires. Afin de gagner en rentabilité, beaucoup de ces actifs n'étaient pas inscrits comme tels au bilan des banques - afin de réduire le coût capitalistique de détenir des actifs à risques - mais apparaissaient sous des formes innovantes (désormais connues comme les " conduites " et les " véhicules "). Résultat, pour un niveau donné de capital, les banques détenaient davantage d'actifs à risque. Quand il a fallu évaluer ces actifs et que les conduites ont été portées au bilan des banques, on s'est rendu compte que les ratios raisonnables n'étaient plus respectés et les banques ont dû vendre certains de ces actifs, alors même que leurs prix baissaient. Avec des bilans détériorés, les banques ont donc dû prêter moins.

L'augmentation imprévue des défaillances d'emprunteurs a amené beaucoup de participants au marché à penser, tout d'un coup, que les notes de la plupart de ces instruments étaient douteuses et que la plupart des banques, dans la plupart des pays, étaient potentiellement exposées au risque. Par conséquent, l'aversion au risque et la volatilité ont augmenté et la demande d'actifs à risques a diminué. Confrontées à cette baisse de la demande d'actifs à risque, les banques ont eu du mal à vendre leurs prêts et leurs hypothèques, et elles ont dû se résoudre à les garder dans leur bilan. Le résultat est donc une réintermédiation substantielle du crédit, avec trois conséquences : un, leur bilan changeant brutalement de profil, certaines banques se sont retrouvées en dehors des clous ; deux, comme elles ont besoin de plus de liquidités pour entretenir tous leurs " nouveaux " engagements, elles prêtent moins facilement aux emprunteurs, soucieuses de se prémunir contre de nouvelles surprises ; trois, elles hésitent à prêter aux autres banques parce que le risque de contrepartie - la possibilité que la banque emprunteuse soit incapable de rembourser son prêt - a augmenté. Au lieu de se prêter mutuellement des fonds comme elles le font normalement, les banques les conservent et le flux des liquidités tend à se tarir. Les banques centrales injectent certes de nouvelles liquidités, mais en vain : car les autres banques se contentent d'accumuler. Le système est devenu un piège à liquidités.

Quel est la bonne réponse, du point de vue de la gestion du risque, à une augmentation soudaine de la volatilité, de l'incertitude et du risque dans le bilan ? D'abord une forte réduction des positions - c'est-à-dire, dans le cas des banques, réduire les prêts - puis, très lentement, commencer à reconstruire des effets de levier, mais seulement quand l'incertitude et la volatilité déclinent et que la base capitalistique a été restaurée. En d'autres termes, la croissance du crédit et la demande d'actifs à risques devraient selon toute probabilité être affectées assez longtemps.

Quels sont les implications de cet épisode pour la politique économique ? En premier lieu, cette crise n'était pas le résultat de taux d'intérêt trop bas. Pour un niveau de risque donné sur le marché, les banques peuvent toujours choisir quel niveau de risque elles peuvent assumer, et il est clair à présent que dans certains pays les banques ont choisi de prendre des risques. Pour mettre un terme à ces comportements, ce n'est pas une hausse des taux d'intérêts qu'il aurait fallu, mais un meilleur contrôle. En fait, le problème s'est posé dans des pays dont les positions de politique monétaire étaient différentes et dont les approches de politique monétaire pour les prix des actifs étaient très différentes. Le phénomène des subprimes n'est pas dû aux faibles taux d'intérêts, mais à des normes de souscription trop faibles et une demande excessive pour cette classe d'actif. Que ces prises de risques soient visibles ou non dans le bilan est aussi un facteur critique, pour savoir d'où peuvent venir les surprises. Tout cela montre que la politique monétaire devrait traiter deux objectifs, la stabilité des prix et la stabilité financière ; mais nous savons par ailleurs qu'il n'est guère efficace de viser deux objectifs avec un seul instrument. La politique monétaire doit donc garantir la stabilité de prix, tandis que le contrôle doit permettre une gestion du risque appropriée ; ces deux instruments doivent travailler ensemble. L'Espagne, un des pays dont le marché immobilier est le plus surévalué et dont les positions de politique monétaires sont les plus souples (avec des taux d'intérêt négatifs depuis plusieurs années déjà), a eu très peu de problèmes de subprime et son secteur financier n'a pas engagé, à ce qu'on sait, dans le mouvement d'accumulation de risque qui est au cœur de la crise actuelle. Sans doute a-t-elle les bons instruments de contrôle au niveau macro.

Ensuite, la bonne réponse de politique monétaire à une chute de la demande d'actifs à risques ne peut être une injection de liquidités, mais une réduction du prix de ces actifs, qui enraye au moins partiellement la chute. Les injections de liquidité traitent les symptômes, pas le problème fondamental - qui peut être résumé comme une augmentation du coût du capital, à mesure que la réintermédiation progresse. Les banques centrales doivent évaluer si l'augmentation du coût des capitaux doit être différée pour maintenir la stabilité des prix, et baisser leurs taux si nécessaire.

Troisièmement, on traite mieux le problème de l'aléa moral quand tout va bien qu'en temps de crise. Il est clair que, d'un point de vue politique et surtout s'il s'agit du logement, il est très difficile d'adopter des politiques anti-aléa moral quand le prix des actifs descendent - en particulier si les classes les plus pauvres de la population sont touchées, comme c'est le cas avec le problème du subprime aux Etats-Unis. Il est clair aussi que dans des marchés de capitaux désormais intégrés, le système réagit avec souplesse aux petits chocs mais qu'il est plus vulnérable aux grands : il faut se méfier des considérations du type " trop gros (ou trop nombreux) pour être mis en faillite ".

L'expérience montre qu'en général, l'aléa moral passe au second plan quand tout va bien. Deux exemples viennent à l'esprit. Le premier est la crise asiatique en 1997. La théorie à l'époque était que les dépôts de garanties dans les banques devaient toujours être limités pour éviter l'aléa moral. Le FMI s'est rendu en Indonésie et a annoncé la fermeture de plusieurs banques - et une panique bancaire a commencé. A partir de là, la règle a changé : d'abord déclarer un dépôt de garantie de couverture, et ensuite annoncer la restructuration de la banque. On se demande pourquoi cette leçon n'a pas été appliquée dans le cas de Northern Rock au Royaume-Uni.

Le deuxième exemple est la saga du Pacte de stabilité et de croissance en Europe. Les tentatives faites pour appliquer le programme de sanctions pendant un ralentissement de la croissance ont été très critiquées et, à la fin, on a dû faire preuve de patience et le Pacte a été réformé en renforçant son côté préventif : traiter l'aléa moral quand tout va bien. La même logique devrait s'appliquer au secteur financier : dans les périodes où tout va bien, les instances de contrôle et de régulation doivent travailler à développer des systèmes qui contrôlent plus efficacement l'usage et le développement dans les banques de l'effet de levier.