Primaires : pourquoi Hollande est-il favori ? edit

1 septembre 2011

La primaire socialiste peut encore réserver des surprises et nul ne peut affirmer avec certitude quels seront les deux candidats qualifiés pour le second tour. Mais si ces deux candidats étaient Martine Aubry et François Hollande, ce que les sondages indiquent aujourd’hui, ce dernier devrait logiquement l’emporter. Pour une raison simple : dans une élection présidentielle, la logique de la personnalisation l’emporte sur la logique partisane et il est peu probable que cette loi ne s’applique pas aussi à la primaire socialiste.

La logique partisane est une logique collective. Le leader du parti a pour mission de maintenir l’unité du parti et de parler au nom des siens. Son ambition doit être mise d’abord au service de son parti. Son programme doit être celui du parti. Ses références et préoccupations ceux du parti, sa base électorale, les adhérents du parti. Passer de cette logique à celle d’une candidature présidentielle, ou seulement d’une candidature à la candidature est un exercice difficile. Seul François Mitterrand a pu réussir le passage sans transition d’une logique à l’autre. Mais cela s’explique par le fait qu’il avait déjà conquis une légitimité présidentielle avant même de devenir membre puis dirigeant du Parti socialiste. En 1995, Henri Emmanuelli, tout juste désigné comme Premier secrétaire, a été battu par Lionel Jospin à la primaire « fermée ». François Hollande, Premier secrétaire en 2006, n’a même pas tenté l’aventure et Ségolène Royal, extérieure au cercle des principaux dirigeants du parti, a écrasé deux caciques : DSK et Laurent Fabius. Cette fois, François Hollande, comme Lionel Jospin en 1995, ancien Premier secrétaire mais ayant quitté depuis quelques années la direction du parti, paraît plus autonome par rapport à l’appareil du parti que Martine Aubry, qui est seulement en congé de Premier secrétariat. Par les soutiens dont elle dispose dans le parti, elle semble être davantage la représentante de l’appareil que François Hollande.

Les Français sont à la fois attachés à la dimension personnelle de l’élection présidentielle –choisir son candidat – et très méfiants à l’égard des machines partisanes. Ils peuvent choisir éventuellement un leader du parti ou un ancien leader du parti à l’élection présidentielle, mais il faut que celui-ci ait déjà acquis la double légitimité présidentielle et partisane. La seconde légitimité ne suffit pas. Or François Hollande jouit de cette double légitimité aujourd’hui, ayant dirigé le parti mais ayant depuis deux ans déjà, et même naguère contre Dominique Strauss-Kahn, montré sa détermination à être candidat à la candidature. La détermination à être candidat doit être évidente au double niveau de la candidature à la candidature et de la candidature elle-même à l’élection présidentielle. La première doit être absorbée par la seconde. C’est le cas de François Hollande. Ce n’est pas le cas de Martine Aubry qui n’a jamais montré une telle détermination et dont la décision d’être candidate à la primaire, après le retrait de DSK, a paru moins étroitement liée – même si cette apparence ne correspond pas à la réalité – au désir d’être élue présidente de la République.

La personnalisation de la primaire, qui est pleinement dans la logique de l’élection présidentielle elle-même et non dans la logique partisane – même si c’est le PS qui l’organise – oblige les candidats à s’abstraire, pour une large part, du programme du parti, dont l’élaboration obéit à des logiques internes, et donc se s’abstraire, au moins partiellement, du type d’idéologie dont elle est le produit pour se projeter personnellement dans la campagne. Il est peu probable que les critères de jugement des électeurs potentiels à la primaire diffèrent significativement de ceux des électeurs à l’élection présidentielle elle-même. Les candidats seront jugés ici aussi à la fois sur leur personnalité, sur leur aptitude à diriger le pays et sur la nature de leurs propositions pour répondre efficacement à leurs souhaits, leurs préoccupations et leurs inquiétudes. François Hollande a depuis longtemps préempté cette position dans la primaire socialiste, prenant des libertés avec le programme et n’hésitant pas à employer le « je ». Martine Aubry a plus de mal à se distancier de son parti, de son programme, du « nous » et à donner la priorité aux réponses immédiates à la crise de la dette et des déficits de la France. Elle a beaucoup parlé des valeurs mais moins de la crise – non pas de la crise du capitalisme et du libéralisme en général, mais de la crise financière hic et nunc et des moyens d’y faire face.

Une primaire présidentielle, comme l’élection présidentielle elle-même, est d’abord une consultation électorale largement médiatisée. La maîtrise et l’habitude des medias y est essentielle. Il faut parler non pas au parti mais aux Français, fussent-ils les Français de gauche. Par son ancienneté dans le métier, ses talents de débatteur et de polémiste et son goût des medias, François Hollande est plus à l’aise que Martine Aubry, qui n’a jamais caché que par tempérament elle ne prenait pas de plaisir à ce type d’activités et qui n’a pas d’aptitudes particulières dans ce domaine, les deux aspects étant probablement liés. Elle a du mal à se projeter dans l’arène médiatique et à réussir cette alchimie rare et essentielle qui permet d’imposer une image personnelle qui lie étroitement une personnalité, ses idées et ses propositions phares.

Enfin, cette primaire, qui n’est que le premier acte de l’élection présidentielle, a pour objet, non seulement la désignation du candidat du parti mais aussi et surtout la désignation d’un candidat capable de battre le président sortant, Nicolas Sarkozy. Ici aussi, l’avantage de François Hollande semble clair même si une victoire présidentielle de Martine Aubry n’est pas exclue. François Hollande, paradoxalement, paraît profiter mieux que Martine Aubry du retrait de DSK, offrant, comme lui, une image de compétence, de modération et d’ouverture, et occupant comme lui la position qui correspond à l’espace électoral du centre gauche qui est le centre de gravité de l’électorat socialiste. Martine Aubry paraît certes plus à même de mobiliser l’ensemble de l’électorat de gauche mais, d’une part, cet électorat est minoritaire dans le pays et d’autre part, face à Nicolas Sarkozy, il est probable que, de plus ou moins bon gré, cet électorat voterait massivement en faveur de François Hollande si celui-ci représentait la gauche au second tour de l’élection présidentielle. Parmi les critères du vote à la primaire socialiste, l’évaluation de la probabilité de battre le président sortant sera donc décisive. Pour l’instant, c’est François Hollande qui tient la corde.

Certes, il reste six semaines avant cette primaire et Martine Aubry peut encore espérer remonter ces handicaps. Mais le temps est compté et sa position de challenger l’oblige à une accélération prodigieuse de sa campagne pour contrer la campagne « pépère » de l’ancien Premier secrétaire.