Exit du Brexit? edit

2 mars 2018

Un Premier ministre disqualifié qui ne tient que par la médiocrité des alternatives, une stratégie de négociations opaque même pour ceux qui sont censés la mener, une fétichisation des résultats du referendum sur le Brexit qui inhibe la réflexion politique, des polémiques quotidiennes qui nourrissent les extrêmes… Oui, décidément, plus on se rapproche du Brexit effectif et plus l’irresponsabilité des parrains du référendum apparaît avec évidence, de même que les coûts de la sortie et l’impossibilité de tenir les promesses contradictoires – la sortie du marché unique et la libre circulation en Irlande, une période de transition de deux ans et le refus de subir les nouvelles directives de l’UE, l’alignement réglementaire et l’autonomie regagnée etc. Si bien que Mrs May, dont l’impréparation est aveuglante, en vient à réagir avec courroux aux simples effets mécaniques des lignes rouges qu’elle a elle-même tracées.

Depuis la conclusion de la première phase de négociations, le débat porte sur des options aussi radicales que l’exit du Brexit (qui remettrait en cause le résultat du référendum) ou la sortie de l’UE sans compromis, sur les options alternatives au pur maintien du Royaume-Uni dans le marché unique et l’union douanière, sur le statut de la période de transition et sur les contours d’un éventuel accord commercial au delà de 2020.

Une confusion extrême règne sur les modalités de la sortie britannique de l’UE. Le saut dans l’inconnu qu’a représenté la victoire des leavers au référendum risque de conduire à un retrait net, non par choix mais par somnambulisme. D’une part les études sur les effets du Brexit se suivent et convergent dans leurs résultats : dans tous les cas de figure le Royaume-Uni sortira appauvri économiquement, affaibli commercialement et marginalisé politiquement. Par ailleurs les promesses inconsidérées des leavers sur le redéploiement des fonds aujourd'hui gaspillés en Europe au profit du National Health Service ont éclaté comme autant de bulles démagogiques. Enfin la folle prétention d’un Royaume-Uni dictant un accord sur mesure à des nations européennes obsédées par leurs exportations de prosecco ou de BMW a fait long feu : c’est l’Europe qui dicte ses conditions.

C’est dans ce contexte que Tony Blair et d’autres ont avancé l’idée d’une nouvelle consultation sur le Brexit. L’idée a immédiatement suscité trois types d’objections. La première est que le Parlement a donné force légale à un résultat qui n’était que consultatif. La seconde porte sur la question de la question. Sur quoi devraient voter à nouveau les Britanniques ? Sur le compromis négocié à Bruxelles ? Un oui signifierait une sortie conforme à l’accord et un non une sortie sans accord ! La troisième porte sur les conditions du retour de l’enfant prodigue.

L’UE a certes annoncé qu’elle restait ouverte à un changement de cap britannique mais ce retour ne pourrait se faire sans conditions. On ne peut répudier la procédure de l’article 50 et revenir au statu quo ante. L’UE ne peut pas devenir prisonnière des variations d’une opinion britannique qui pourrait continuer à faire et défaire son adhésion, paralysant au passage l’Union dans son travail d’intégration. Elle ne peut davantage accepter la reconduction des clauses d’opt out, les chèques de rabais et autres droits de veto accordés au Royaume-Uni dans le processus d’ever closer union.

L’exit du Brexit semble difficilement praticable, d’où l’idée agitée par les remainers d’un mandat de négociation pour un Brexit doux qu’un gouvernement nouveau, issu éventuellement de nouvelles élections, pourrait confier aux négociateurs.

Quel pourrait être ce mandat ? Aujourd’hui Theresa May a fixé trois lignes rouges : pas de libre circulation des personnes, pas d’autorité de la Cour de Justice européenne sur les normes et règlements britanniques, et pas de contribution au budget sur les bases actuelles. Elle a écarté l’option norvégienne (participation au marché intérieur, acceptation de la libre circulation des personnes, de l’autorité de la CJE et contribution au budget), estimé insuffisante l’option canadienne (libre circulation des biens mais pas des services sauf exceptions) et réclamé un accord sur mesure basé sur le principe de l’alignement des régulations.

Dans un récent rapport de l’Institute for Governement cette demande est explicitée. Il s’agirait de diviser l’activité économique en trois «paniers» : les secteurs où l’alignement réglementaire est complet et où donc le Royaume-Uni respecte scrupuleusement les normes établies par l’UE et accepte par avance les sanctions en cas de comportement déviant, les secteurs où une reconnaissance mutuelle de normes établies librement par chaque partie permet la libre circulation des biens, et les secteurs qui échappent au marché unique et où chaque partie reste souveraine. La seule évocation de ces trois paniers dit à la fois la difficulté de négocier, de mettre en œuvre et de surveiller l’application d’un tel accord. Si on comprend que le Rpyaume-Uni puisse souhaiter cet arrangement sur mesure on comprend aussi que l’UE veuille absolument éviter ces choix à la carte, ne serait-ce que pour ne pas susciter la naissance d’autres vocations au sein de l’UE.

La Commission comme le Royaume-Uni semblent donc s’orienter vers un Accord Canada+, c’est-à-dire un accord de libre échange portant sur les échanges de l’ensemble des biens et de quelques services (transports aériens mais pas les services financiers). Dans le cadre de la négociation engagée, les services de la Commission ont fait valoir que l’ambition du Royaume-Uni de pratiquer un dumping fiscal et réglementaire voire de se livrer à une concurrence déloyale par les aides publiques ne pouvaient être compatibles avec l’Accord commercial et une bonne entente et qu’il convenait donc de prohiber de tels actes et en tous cas de prévoir une supervision par la Commission et des mécanismes de sanction. La simple évocation d’un Accord Canada+ avec des droits mais aussi des devoirs pour les parties prenantes contribue à enflammer le débat britannique.

Mais avant de parvenir à cet arrangement final, il faut finaliser la sortie et négocier cet éventuel accord commercial, ce qui suppose une période de transition. L’accord s’est rapidement fait entre le Royaume-Uni qui réclamait deux ans et l’UE qui offrait un peu moins compte tenu du cycle budgétaire communautaire. Sitôt ce résultat acquis les enragés du Brexit ont dénoncé le statut de vassal qui serait nécessairement celui du Royaume-Uni, obligé d’appliquer les nouvelles normes européennes sans avoir eu son mot à dire. À nouveau tout se passe comme si le Royaume-Uni ne voulait pas assumer les conséquences pratiques de son choix souverain et entendait imposer à ses partenaires une participation à l’élaboration des politiques communautaires dont il fait tout pour s’affranchir !

Tant que les négociations sont engagées, les polémiques et les surenchères font partie de l’exercice et il ne faut pas s’en étonner. Mais même si les termes d’un accord raisonnable et mutuellement bénéficiaire pour les deux parties sont faciles à établir, la radicalisation d’une fraction des brexiters et la faiblesse d’un Premier ministre qui semble n’avoir pour projet que de durer conduit à différer sans cesse le moment des choix, rendant ainsi possible une absence d’accord et une sortie brutale.

Les termes d'un accord

Un accord est pourtant possible. Il y aura une forme de limitation de la libre circulation des personnes, les Britanniques ne pourront y renoncer. L’objection au rôle de la CJE peut être levée si une Cour arbitrale procédant de la CJE et avec représentation britannique est instituée. L’accord financier est déjà quasiment acquis.

Aujourd’hui une majorité existe à Westminster pour une sortie négociée avec pleine participation à l’Union douanière. Le patronat pousse dans ce sens, le Trésor aligne les études sur le coût de la sortie et sur les minces bénéfices à espérer d’un simple accord de libre échange. Le ralliement récent du leader travailliste Jeremy Corbyn à cette solution ouvre de nouvelles perspectives.

Mais outre les difficultés proprement politiques d’un scénario qui suppose la défection de députés conservateurs et donc la mise en minorité de Mrs May pouvant ouvrir la voie à des élections anticipées et l’arrivée de Corbyn au pouvoir, un accord douanier ne règle pas la question de la frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande et prive bien sûr le Royaume-Uni du pouvoir de négocier pleinement ses propres accords commerciaux. Une solution est certes envisageable : maintenir l’Irlande du Nord dans le marché unique. Mais c’est à un démembrement symbolique du Royaume-Uni qu’il faudrait procéder puisque la frontière entre l’UE et le royaume passerait par le bras de mer qui sépare la Grande-Bretagne de l’Irlande.

Les fractures actuelles entre conservateurs, la mauvaise appréciation du risque par les négociateurs britanniques, la désinvolture sur le coût de la sortie chez les ultra du Brexit, la faiblesse de Mrs May et les hésitations de la minorité des conservateurs hostiles au hard Brexit peuvent encore faire dérailler le processus du maintien du Royaume-Uni dans l’Union douanière.