Contre un exécutif bicéphale edit

27 septembre 2007

Au moment où le Comité pour la modernisation des institutions met la dernière main au rapport qu'il va rendre au président de la République, le couple de l'exécutif nous joue un air connu qui nous ramène à la période 1982-1983 et nous rappelle l'un des nombreux inconvénients du bicéphalisme.

Dès novembre 1981, Jacques Delors, ministre de l'Economie et des finances, lance un appel à " la pause ". C'est seulement le 12 juin de l'année suivante que le premier plan de rigueur présenté par le gouvernement est adopté. Malgré plusieurs dévaluations il faut attendre mars 1983 pour que le Premier ministre Pierre Mauroy et Jacques Delors parviennent à convaincre le président de la République, François Mitterrand, que l'augmentation du déficit commercial, la progression de l'endettement et la diminution des réserves financières mènent le pays à la faillite si des mesures d'austérité, ou pour parler plus " correctement " - car il y eut un débat sémantique - de rigueur accrue ne sont pas prises. Pendant plusieurs mois le président répond à son Premier ministre : " pour le moment je fais de la politique ", voulant remplir les engagements qu'il a pris à l'égard des Français au moment de l'élection présidentielle.

Cet épisode qui dura plus d'une année greva fortement notre capacité d'action et finalement amena le président, décidant de ne pas rompre les liens avec l'Allemagne en sortant du SME, à abandonner définitivement la politique de relance par la demande qu'il avait menée avec son Premier ministre au lendemain de son élection. Rappelons également qu'à l'époque, le parti au pouvoir disposait de la majorité absolue à l'Assemblée nationale.

Le même jeu d'acteurs se reproduit aujourd'hui. Le Premier ministre, François Fillon, chef de la machine administrative et la ministre de l'Economie, des finances et de l'emploi, Christine Lagarde, le nez sur le guidon... et sur les réserves, très inquiets des dérives des finances publiques, estiment nécessaire un nouveau plan de rigueur. Le Premier ministre, dès la fin du mois de septembre, évoque même la situation de faillite dans laquelle se trouve la France. Face à lui, le président, qui a grevé d'avance le prochain budget par les mesures de son paquet fiscal, ne veut pas entendre un tel langage. Au moins pas tout de suite. Pour le moment lui aussi " fait de la politique ".

Cette répartition des rôles et des tâches n'est pas saine. Elle sème la confusion, dilue les responsabilités, augmente les inquiétudes de l'opinion et retarde les mesures à prendre. Cette situation ajoute aux nombreux inconvénients du bicéphalisme de l'exécutif, de plus en plus évidents et de plus en plus largement reconnus, en séparant les deux fonctions du responsable politique qui devraient être réunies sur une seule tête, en attribuant " la politique " au président et " la gestion " au Premier ministre.

Cette répartition des rôles, outre qu'elle ne peut à terme que mettre en cause l'unité nécessaire du pouvoir exécutif, est dangereuse dans la mesure où dans le texte constitutionnel, le Premier ministre est toujours le chef du gouvernement et qu'il est de ce fait le chef de la majorité parlementaire qui appuie l'action du président de la République. Que doit faire alors cette majorité ? Comment doit-elle réagir au projet de budget qui fait l'impasse sur la douloureuse question de la dette ? Qui doit-elle écouter même si ce projet est celui du gouvernement ?

Le Comité pour la modernisation de nos institutions s'est donné pour objectif principal le renforcement des pouvoirs du Parlement, objectif que l'on ne peut que partager et soutenir. Mais peut-il être atteint sans supprimer le bicéphalisme de l'exécutif et mettre en conformité la lettre et la réalité, c'est-à-dire en actant que le président de la République est le chef unique de l'exécutif et que le Parlement se prononce sur son action et ses projets dans la limite de ses attributions ? Edouard Balladur, le président du Comité, rallié de longue date au régime présidentiel, laisse entendre dans l'intéressant entretien qu'il a accordé au journal Le Monde (25 septembre) que le véritable enjeu du débat constitutionnel, et donc de la discussion au sein du Comité, est de savoir si les réformes institutionnelles seront débitées en tranches, ce qui éviterait de décider dès maintenant d'un véritable changement de régime en supprimant à la fois le poste de Premier ministre et la responsabilité du gouvernement devant le Parlement, ou s'il faut d'un coup passer au régime présidentiel. Il semble pencher en faveur de la seconde option, qui n'est peut-être ni celle du président ni celle du Comité. Pourtant, la fin du bicéphalisme, d'autant plus nécessaire que le président l'a actée dans son action comme dans son discours, s'impose désormais afin que le président assume l'ensemble de ses fonctions et responsabilités, politiques et gestionnaires, et que le Parlement puisse se prononcer sur sa politique.

Il est temps de remettre un peu d'ordre et d'équilibre dans le fonctionnement de nos institutions. Le Comité ne devrait pas limiter ses propositions à une " première tranche " de travaux. C'est l'ensemble de l'économie du système qui est à revoir de manière à ce que les larges pouvoirs du président soient à la fois précisés et contrôlés. Pas nécessairement réduits. Paradoxalement, l'établissement d'un véritable régime présidentiel est le moyen le plus sûr de redonner du pouvoir au Parlement. Il est aussi la meilleure manière d'empêcher les dérives du pouvoir présidentiel tout en reconnaissant dans les textes l'existence, l'étendue et la légitimité de celui-ci.