Aubry ne peut plus temporiser edit

29 novembre 2010

En quelques jours, la situation politique de Martine Auby s’est fortement dégradée. Sa majorité est sur le point d’exploser puisque les fabiusiens soutiennent désormais clairement la candidature éventuelle de Dominique Strauss-Kahn, tandis que la gauche du Parti socialiste, qui constitue un élément important de sa propre majorité, fait pression sur elle pour qu’elle soit candidate et demande, avec beaucoup d’autres personnalités du parti, d’avancer le calendrier des primaires, auquel jusqu’à présent elle s’est montrée obstinément attachée. Sans probablement que ce soit intentionnel, la position d’attente indéterminée de DSK est en train d’étouffer progressivement la Première secrétaire.

Martine Aubry était sortie fragilisée de la séquence de la réforme des retraites. Le mouvement social n’a renforcé ni la crédibilité gouvernementale des socialistes ni la sienne. Elle n’a jamais été en situation d’opposer au projet de réforme gouvernementale un projet alternatif sérieux. Dans le parti lui-même, son exercice du pouvoir interne a déçu et soulevé des interrogations sur ses qualités de leader. C’est dans cette situation d’affaiblissement personnel que sa manière de gérer les primaires socialistes a été publiquement et fortement critiquée dans les rangs mêmes du parti. Ségolène Royal, suivie par d’autres candidats déclarés ou potentiels à la primaire socialiste, a dénoncé l’existence d’un « pacte » que la Première secrétaire aurait passé avec DSK et elle-même. Ce pacte est accusé d’être conçu comme un moyen de vider les primaires de leur sens et de leur contenu. Par ailleurs, une dynamique politique s’est enclenchée à la fois dans l’opinion et dans le parti en faveur de la candidature du directeur du FMI à l’élection présidentielle, dynamique qui affaiblit considérablement la propre crédibilité de Martine Aubry comme éventuelle candidate.

En donnant l’impression, en ne bougeant pas, alors que les primaires sont en réalité déjà lancées dans le parti, de ne faire que chauffer la place pour DSK, elle risque de perdre sur tous les fronts. Sa gauche peut alors être obligée de bouger elle-même pour ne pas laisser se développer une dynamique DSK dont elle ne veut à aucun prix et pour ne pas permettre aux autres candidats à la primaire d’occuper tout le terrain. Si la crédibilité de sa candidature présidentielle s’effondre, Martine Aubry perdra en même temps son autorité sur le parti, créant un vide que d’autres rempliront. D’autant que son attitude face à l’organisation des primaires la privera peut-être de la confiance et de l’autorité des candidats potentiels pour organiser de manière neutre la compétition interne. La multiplication des propositions des différents candidats décrédibilisera l’effort programmatique du parti lui-même comme organisation. Peu à peu, Martine Aubry verra fondre ainsi son capital politique.

Compte tenu de l’ensemble des pressions qui vont désormais s’exercer, dans et hors du parti, sur DSK et sur elle-même pour connaître leurs intentions respectives, elle ne peut attendre l’ouverture des primaires, prévue en juin, pour faire mouvement. Elle ne peut pas simplement attendre si longtemps un DSK dont la candidature est certes probable mais pas encore certaine, et entraîner par cette attente la paralysie du parti face à une droite qui est en train de rentrer en campagne et qui, elle, a déjà son candidat.

L’autre difficulté, symétrique, est que pour elle, bouger est presque aussi difficile et coûteux que de ne pas bouger. Faire publiquement un pas vers la candidature, alors qu’une part croissante de sa propre majorité préfère une candidature DSK et que les sondages aujourd’hui lui attribuent une très faible crédibilité présidentielle, pourrait mettre sa majorité interne en péril et accentuer son dévissage dans l’opinion et dans le parti. Ce serait également rompre le fameux pacte si ce pacte existe toutefois. Ce serait donc rendre plus difficile une candidature DSK dont on pourrait ensuite la rendre responsable de l’absence. Si elle était battue par Nicolas Sarkozy en 2012, on pourrait, pire encore, la rendre responsable de la défaite elle-même. Enfin, un tel pas impliquerait qu’elle ait véritablement pris, elle-même, la lourde décision d’être candidate.

Que peut donc faire Martine Aubry dans ces conditions ? Quels sont les inconvénients les moins lourds ? Raccourcir le calendrier serait considéré comme un acte hostile à DSK et éloignerait d’elle les partisans de ce dernier. Le maintenir en l’état serait en réalité créer un vide politique de plusieurs mois au Parti socialiste dont elle serait la principale victime. Elle n’a donc qu’une seule solution, la moins mauvaise, qui est de convaincre DSK du caractère politiquement ingérable de sa situation aujourd’hui et de la nécessité, en lui laissant la priorité à lui, que l’un des deux annonce sa candidature dans un proche avenir. DSK n’a pas intérêt à laisser Martine Aubry se carboniser à la tête d’un parti dont elle perdrait le contrôle. Peut-être comprendrait-il que le chaos au Parti socialiste dans les mois qui viennent n’est pas nécessairement une bonne chose pour lui dans la mesure où il peut espérer être de toutes manières le candidat désigné par la primaire socialiste. Peut-être comprendrait-il du même coup que la perte d’autorité de la Première secrétaire sur le parti compliquerait plus qu’elle ne faciliterait sa tâche s’il était candidat. Si malgré tout il refusait la demande de Martine Aubry d’accélérer l’annonce de sa propre candidature, tout simplement parce qu’il serait encore indécis ou pour toute autre raison, la Première secrétaire serait alors libre de faire acte de candidature elle-même plus rapidement.

Certes, ce mouvement est risqué pour Martine Aubry. Mais le fameux « pacte », si pacte il y a, est en train de se transformer pour elle en un piège redoutable. Elle doit s’en dégager au plus vite. À tout prendre, il vaut mieux être candidate dans ces conditions difficiles, au moins dans un premier temps, que de disparaître progressivement du paysage politique. N’être pendant plusieurs mois que le candidat par défaut de DSK, ou n’offrir, comme le dit Laurent Fabius, qu’une complémentarité avec celui-ci, n’est pas de nature à conforter sa position. Pour elle, l’heure du choix a sonné. Et si, contrairement à l’impression qu’elle peut donner, elle a toujours été déterminée à être candidate, alors, raison de plus pour ne pas attendre trop longtemps avant de rendre publique sa décision. Il lui faudra alors prendre enfin les primaires au sérieux.