De la Magna Carta au Brexit: les droits fondamentaux au Royaume-Uni edit

24 juin 2015

Si l’on évoque beaucoup la perspective d’un référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne en 2017, la question du rapport qu’entretient ce pays avec la Cour européenne des droits de l’homme est plus discrète. Pourtant, en cette année où l’on fête le 800e anniversaire de l’adoption en 1215 de la Magna Carta, le gouvernement britannique entend remplacer le Human Rights Act de 1998 par une nouvelle British Bill of Rights. Cela peut apparaître un pur jeu de mots et pourtant, ce qui est en cause n’est rien de moins que l’adhésion du Royaume-Uni à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Il faut d’abord rappeler que la Convention est aujourd’hui le texte commun à 47 pays européens pour définir les droits fondamentaux et que son respect est assuré par la Cour européenne des droits de l’Homme située à Strasbourg. L’importance de la jurisprudence de la Cour n’est pas à démontrer comme l'illustre par exemple pour la France l’arrêt du 5 juin 2015 rendu dans l’affaire relative au maintien en vie de Vincent Lambert. Progressivement, la Cour a joué un rôle central dans des affaires diverses telles que le respect des convictions religieuses, la liberté d’expression, la protection de la vie privée et familiale ou encore le respect du procès équitable. La jurisprudence des cours suprêmes des Etats membres de l’Union européenne doit tenir pleinement compte de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg non seulement du fait que celle-ci peut censurer leurs décisions mais aussi du fait que la Convention est explicitement mentionnée par les Traités fondateurs de l’Union européenne comme source des droits fondamentaux.

Pourquoi donc David Cameron insiste-t-il autant sur l’idée de refonder les droits de l’Homme au Royaume-Uni en se préservant de l’influence de la Cour de Strasbourg ? On ne peut pas dire que le Royaume-Uni soit particulièrement mal traité d’un point de vue statistique par la Cour. En 2014 sur 1997 requêtes traitées, quatre ont donné lieu à une condamnation du Royaume-Uni pour violation des stipulations de la Convention. Alors que sur les 2945 requêtes concernant la Turquie, 94 violations de la Convention ont été identifiées et, que pour la Russie, sur 15 792 requêtes, 122 condamnations ont été prononcées. 

Le débat se cristallise autour d’une question. Le 6 octobre 2005, la Cour a considéré que la déchéance automatique des droits de vote pour les citoyens britanniques condamné à des peines d’emprisonnement était contraire à la Convention. Une des quatre condamnations prononcées en 2014 confirme l’arrêt de 2005 et constate que le Royaume-Uni n’a toujours pas modifié sa législation.

Cette question est jugée par une partie des conservateurs britanniques comme l’exemple même d’une intrusion intolérable des instances européennes dans des questions qui ne devraient être tranchées que par le Parlement.

Le Human Rights Act de 1998 n’avait d’autres objectifs que de résoudre la délicate question de l’intégration de la Convention européenne dans l’ordre juridique du Royaume-Uni. Il s’agissait de faire en sorte que la Convention bénéficie d’un statut particulier dans la loi britannique. Ainsi, si une incompatibilité entre une loi et la Convention est identifiée par un juge, celui-ci n’annulera pas la loi mais par une déclaration d’incompatibilité permettra une modification parlementaire rapide du texte en litige. Supprimer ce texte revient bien pour David Cameron à prendre ses distances avec la Convention européenne. Cette position politique est une constante depuis qu’en 2007 il est devenu le leader des conservateurs. C’est ce qui explique par exemple qu’en 2012 lors de la présidence par le Royaume-Uni du Conseil de l’Europe, le Premier ministre a mené une offensive contre la Cour lors de la Conférence de Brighton. En définitive, la conférence n’a pas abouti à des bouleversements radicaux mais plutôt à des ajustements techniques.

Or, si lors du premier mandat de David Cameron, les libéraux-démocrates s’opposaient à toute réforme du Human Rights Act, la situation a changé depuis les dernières élections. Les conservateurs ont indiqué dans leur manifeste pour ces élections qu’ils souhaitaient «rompre le lien formel entre les tribunaux britanniques et la Cour européenne des droits de l’homme », mesure présentée par les quatre adoptées sous la rubrique « Lutte contre la criminalité et la défense des victimes » !  On aurait donc tort de penser qu’il ne s’agit que d’une rhétorique de campagne sans lendemain. Bien au contraire, l’engagement a été repris dans le discours de la Reine le 27 mai 2015.

S’affranchir de la Convention c’est faire très clairement un pas en dehors de l’Union européenne car non seulement les Traités y font référence mais surtout l’Union européenne s’apprête à accéder elle-même à la Convention. On n’imagine pas qu’un Etat membre puisse à la fois faire partie de l’Union européenne et ne pas partager ses valeurs les plus essentielles : lorsque le Premier ministre hongrois envisage de rétablir la peine de mort, l’Union lui rappelle que l’abolition résulte du protocole n° 6 de la Convention et que par suite, c’est l’adhésion à l’Union qui est en jeu. En outre, le message qu’adresserait le Royaume-Uni dépasserait largement le cadre de l’Union européenne puisqu’on voit mal alors ce qui pourrait retenir la Turquie ou la Russie de dénoncer les ingérences des juges de Strasbourg.

Alors même que le Conseil de l’Europe a souvent été présenté comme l’alternative britannique à l’Union européenne, il apparaît de plus en plus clairement que c’est bien l’adhésion à des valeurs européennes qui pose problème aux souverainistes. Ces valeurs sont en effet passées du stade de simples déclarations à celui de principes ayant des effets directs sur les systèmes juridiques européens. Il s’agit assurément d’un choix fondamental entre une intégration européenne qui modifie profondément la notion de souveraineté et une approche qui veut préserver la toute-puissance – souvent virtuelle – des parlements nationaux. Le débat mériterait d’être posé en ces termes, y compris en France.