Un référendum doit-il faire taire le juge? edit

8 novembre 2016

La férocité des tabloïds britanniques devant l’arrêt rendu par la High Court sur la possibilité d’engager la procédure de Brexit sans l’aval du Parlement n’est pas surprenante. La mise en cause brutale des trois juges ayant rendu la décision met cependant en évidence les contradictions d’un populisme qui se veut le défenseur des valeurs identitaires nationales mais qui est prêt, au nom du peuple, à renier plusieurs siècles de construction de la nation. En effet, au Royaume-Uni comme en France, quoi de plus constitutif pour ces nations que cette histoire marquée par l’émergence des droits et le contrôle du pouvoir exécutif ?

Ce que fait l’arrêt de la High Court, c’est bien précisément de rappeler d’abord les principes mêmes du contrôle de la Couronne par le Parlement, principes issus de la Glorieuse Révolution de 1688. Il pourrait être amusant de relever que la mise en cause de l’engagement de Lord Thomas au sein de l’Institut européen du droit est agitée comme la preuve d’une approche européiste alors que l’arrêt est d’abord fondé sur les sources constitutionnelles britanniques les plus éminentes. Si les plus europhobes ne se revendiquent pas de ces sources et de la souveraineté parlementaire, on voit mal ce qu’ils défendent dans la nation anglaise !

Mais il est également intéressant de retenir que l’arrêt s’appuie sur la circonstance que le Brexit conduit nécessairement à une décision ayant un impact majeur sur les actes adoptés jusque-là par le Parlement. En effet, à la différence de traités internationaux platoniques, le Parlement britannique, comme tous les Parlements des Etats membres, a été conduit à adopter un ensemble important de textes sur le fondement des Traités et des textes adoptés sur le plan européen. Ces textes confèrent des droits aux citoyens britanniques. L’arrêt de la Cour détaille soigneusement ces droits qui disparaîtront inéluctablement dès que le processus sera engagé puisque le processus une fois enclenché abouti automatiquement à la sortie de l’Union au bout de deux ans. C’est en particulier le cas pour les droits qui résultent du bénéfice de l’adhésion pour les citoyens britanniques qui voyagent ou qui résident dans d’autres Etats membres. Mais c’est aussi le cas des droits issus des règlements européens qui s’insèrent automatiquement dans l’ordre juridique d’un Etat membre.

Cette organisation juridique découle des effets de l’acte d’adhésion adopté par le Parlement en 1972 qui visait une intégration juridique des règles européennes au droit britannique. Avec cet Acte européen, le Parlement a exprimé sa volonté explicitement. Dès lors que les prérogatives de l’Exécutif sont limitées par toute intervention législative, c’est bien le Parlement seul qui peut engager la procédure de sortie.

Le raisonnement juridique devra être confirmé par la Cour suprême mais il est solide. Il l’est d’autant plus qu’il serait paradoxal de prétendre à la fois que la souveraineté du Parlement doit être reconquise et de considérer que le droit européen n’a jamais eu d’effet sur le droit britannique.

Dans un tel contexte, alors que le référendum – contrairement à la France – n’a qu’une valeur consultative, le juge n’avait pas à le prendre en compte explicitement. L’arrêt ne conduit pas à ce que le Brexit soit interdit : il ne fait que définir qui, du gouvernement ou du Parlement, doit enclencher la procédure. Rien n’indique à ce stade que le Parlement s’oppose à l’engagement de l’article 50 puisque les travaillistes ont annoncé ne pas s’y opposer. Il semble surtout craint par le gouvernement que les débats fragilisent sa position de négociation.

On ne peut que déplorer une mise en cause aussi virulente des juges. Dans cette affaire, c’est à la fois la représentation parlementaire et le pouvoir judiciaire qui sont mis en cause avec une légèreté confondante. Certes la liberté d’expression de la presse doit être respectée comme l’a rappelé Theresa May, mais on peut tout de même trouver qu’utiliser les arguments les plus absurdes et les plus violents est dangereux pour le débat démocratique. C’est ce qui s’est passé lors de la campagne du référendum où les arguments les plus fallacieux ont été largement distillés par cette même presse, quitte à ce que leurs promoteurs, dès le lendemain du vote, fassent marche arrière sans la moindre pudeur.

Notre histoire européenne – et donc ce qui fait le cœur même de notre identité – a produit des textes majeurs d’émancipation tels que la Magna Carta, la déclaration de 1789 ou encore la convention européenne des droits de l’homme. Ces textes sont le fruit d’une histoire tourmentée. Rappelons-nous que la convention européenne résulte très directement de la tragédie qu’a représentée la prise du pouvoir du nazisme par les élections. La volonté de préserver un espace de libertés et de respect de l’Etat de droit en Europe était et doit rester un enjeu majeur.

La situation britannique, les atteintes à l’Etat de droit en Hongrie ou en Pologne doivent nous conduire à la vigilance en cette veille de campagne présidentielle : ceux qui prétendent que les droits issus de la déclaration de 1789 ou de la convention européenne des droits de l’homme sont à mettre entre parenthèses montrent clairement qu’ils font peu de cas de l’identité nationale et européenne de la France. Ils ne rendent pas service à leurs concitoyens qui ont besoin de repères clairs.