Chérie, j’ai rétréci le Parlement! edit

28 février 2018

Dans son discours devant le Parlement réuni en Congrès, le 3 juillet 2017, le président de la République Emmanuel Macron a confirmé son intention de proposer une réduction du nombre de parlementaires, déjà formulée lors de la campagne présidentielle. Ce discours contient les arguments justifiant cette réforme, considérée comme indispensable. Trois enjeux principaux que permettrait la réforme peuvent être distingués, avec 1) une efficacité améliorée du Parlement 2) des économies assurées (ou des moyens redéployés) et 3) le soutien des Français. Une note récente du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) de Sciences Po propose une évaluation ex-ante du projet en interrogeant les différents arguments soulevés par le président et en testant les effets potentiels de la réduction d’un tiers des députés. Sans l’étudier spécifiquement, l’introduction d’une dose de proportionnelle, également annoncée lors du même discours, est prise en compte pour les aspects relatifs à la représentation car cette réforme participe de la dynamique générale de refonte du système représentatif et influe sur la composition de l’Assemblée nationale en particulier.

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette recherche, que nous avons synthétisés ici, en renvoyant à la lecture de la note pour plus de détails, ainsi si que pour les tableaux et graphiques.

Par de multiples comparaisons, nous montrons d’abord que la France ne compte pas un nombre excessif de députés. Les comparaisons temporelles exposent que le nombre de députés a cru moins vite que la population française : plus 40 % de députés depuis 1962, contre une augmentation de 62 % de la population. Les comparaisons spatiales avec plusieurs pays européens montrent ensuite que la France est dans une situation proche de celle de ses voisins pour le ratio habitants par député. Elle possède même moins de députés que le Royaume-Uni et l’Italie malgré une population supérieure. Avec un ratio de 113 745 habitants par député, la France est très proche de son voisin allemand dont le nombre de députés a nettement cru récemment. Avec un tiers de députés en moins, le ratio serait alors de 171 500, un niveau sans équivalent au sein des démocraties européennes.

S’agissant de l’efficacité du parlement, les propos présidentiels laissent entendre que la réduction du nombre d’élus serait le gage d’un « travail plus fluide » et d’un « parlement qui travaille mieux ». L’efficacité supposée de la baisse repose ainsi d’une part sur l’idée que le Parlement travaille actuellement de façon inefficace ou que son efficacité actuelle peut être améliorée et, d’autre part, sur l’idée que cette inefficacité est principalement due au nombre trop élevé de députés. Si l’on admet volontiers des problèmes d’efficacité dans le fonctionnement du Parlement, ces difficultés semblent sans rapport direct avec le nombre de parlementaires. Elles relèvent essentiellement d’autres dynamiques à la fois constitutionnelles et politiques. Les études de science politique comparée indiquent en ce sens que la durée de la procédure législative dépend principalement des fondamentaux de la relation entre exécutif et législatif - la France se situant dans la moyenne des « démocraties majoritaires ». Par ailleurs, la prise en compte des différentes fonctions remplies par les assemblées - légiférer, contrôler, évaluer mais aussi débattre, représenter, modérer, etc. - vient rappeler que les Parlements sont avant tout des institutions du pluralisme. Une telle focale conduit à douter des vertus organisationnelles d’une assemblée plus resserrée.

S’agissant des considérations économiques quant au coût du Parlement, l’objectif de la réforme est à la fois de réaliser des économies et de renforcer le Parlement en redéployant ses moyens. Pourtant, compte tenu de la diversité des charges parlementaires, une baisse d’un tiers du nombre d’élus ne réduirait pas le budget de l’Assemblée dans les mêmes proportions mais sans doute de 20 % - soit 100 millions d’euros, au maximum, d’autant plus qu’une partie de ses économies serait réaffectée au Parlement. Par ailleurs, il semble douteux d’affirmer que l’Assemblée nationale manque de moyens par rapport autres parlements d’Europe quand la comparaison indique que l’Assemblée nationale dispose du troisième budget de l’Union européenne en valeur absolue (550 millions d’euros environ) et par député (1 million d’euros environ). À budget inchangé, la baisse d’un tiers des élus placerait l’Assemblée au premier rang d’Europe en ressources par député (1,5 million aux côtés de l’Italie).

Concernant l’opinion publique, il ne fait pas de doute qu’elle soutient la réduction du nombre de parlementaires comme le prouvent régulièrement certains sondages. Néanmoins, l’impopularité des assemblées et leur taille n’étant pas corrélées, on peut gager qu’une diminution ne changerait pas l’opinion du public vis-à-vis du Parlement. L’opinion des citoyens sur la question de la taille semble d’ailleurs n’être qu’un aspect d’un rapport généralement défiant à l’institution – un tiers des Français doutant des vertus du système représentatif.

L’enjeu de la représentation 

Dans l’ensemble, les arguments en faveur de cette réforme semblent donc manquer de fondements empiriques. Au-delà, le projet soulève des doutes quant à la capacité du Parlement à bien représenter territoire et population dans leur diversité. Afin d’évaluer les effets possibles de la réforme, nous avons réalisé des simulations simples de redécoupage des circonscriptions législatives et de résultats électoraux. Ces analyses sont réalisées sur la base, des hypothèses évoquées par le Président de la République, c’est à dire d’une Assemblée nationale réduite d’un tiers (385 députés) dont 25 % des membres seraient élus au scrutin proportionnel - donc 289 députés élus au suffrage majoritaire et 96 élus à la proportionnelle.

Dans cette hypothèse, il faudrait réduire de moitié le nombre de circonscriptions au scrutin majoritaire uninominal. Un redécoupage important et généralisé s’imposerait. La tranche d’obtention d’un député serait au niveau de 230 000 habitants contre 125 000 aujourd’hui. Par conséquent, si des circonscriptions réparties sur deux départements ne sont pas créées, et en fonction du sort des territoires non métropolitains (l’île de Saint-Pierre-et-Miquelon conserverait-t-elle son siège ?), les résultats de nos calculs font apparaitre que 35 à 49 départements n’auront plus qu’un seul député (contre deux actuellement).

L’augmentation de la taille des circonscriptions augmenterait la prime majoritaire. À partir d’une simulation des fusions deux à deux des circonscriptions limitrophes d’un même département, sur la base des résultats électoraux du premier tour des législatives de 2017, nos résultats montrent que la baisse annoncée du nombre de députés pourrait ainsi réduire les chances d’accéder à l’Assemblée pour les petits partis et/ou pour les partis qui ne peuvent ou ne veulent passer d’alliance(s) au premier ou second tour : Le Front national, la France insoumise et le Parti communiste notamment. Une telle prime donnée aux formations les plus importantes viendrait contrecarrer les effets escomptés de l’introduction d’une dose de proportionnelle. Dans le détail, les simulations réalisées indiquent que les deux effets ne s’équilibraient pas et que le FN ou LFI profiteraient quoi qu’il en soit de l’introduction d’une dose de proportionnelle. Cependant, l’ampleur de la présence de ces formations à l’Assemblée serait fonction des modalités précises du redécoupage d’une part, et de la dose de proportionnelle d’autre part. C’est là une responsabilité et un pouvoir bien grand donné à la majorité au moment de réviser le mode de scrutin.

Enfin, on peut relever certains effets néfastes d’une baisse du nombre de parlementaires sur le fonctionnement des assemblées. Ils concernent la hausse du seuil de saisine du Conseil constitutionnel si la Constitution n’est pas changée (10 à 15% des membres), la possibilité que de vastes circonscriptions n’accaparent le temps, l’attention et les ressources des parlementaires, l’effet mécanique d’un agrandissement des circonscriptions sur une moindre diversité des profils des députés. Or, cette dernière question importe du point de vue de la légitimité du Parlement, dans sa fonction représentative, mais aussi par rapport à sa fonction délibérative, dans la qualité de ses compétences législatives et de contrôle dont la diversité des représentations des points de vue (partisanes et politiques) est une des principales justifications du bicamérisme.

En conclusion, face aux incertitudes du projet, il apparaît que la réduction du nombre de députés est plus soucieuse de l’efficacité parlementaire que de la qualité représentative des assemblées. Le surcroît d’efficacité qu’entraînerait la réforme est lui-même très incertain, comme le montrent des arguments empiriquement infondés et, parfois, contradictoires. En revanche, elle distendrait un lien représentatif déjà fragile entre électeurs et parlementaires.