Europe : un style Directoire ? edit

18 décembre 2008

Un récent rapport détaille comment la Présidence française de l’Union européenne (PFUE) est parvenue avec une certaine réussite à mener différents dossiers. Certaines priorités figuraient dans le programme initial : énergie-climat, immigration, PAC, défense et, de façon moins explicite, l’Union pour la Méditerranée. D’autres enjeux ont été imposés par une actualité internationale particulièrement chargée avec notamment le conflit russo-géorgien en août et la crise financière à partir de septembre. La PFUE n’est certes pas parvenue à résoudre l’ensemble de ces dossiers mais un examen attentif de chacun des problèmes permet d’affirmer qu’elle a fait au mieux, corrigeant là ses erreurs initiales (Méditerranée), concédant ici d’inattendus compromis (immigration) et cherchant surtout à palier les faiblesses connues de l’Europe par un activisme aussi décontracté qu’inépuisable.

Ce bilan globalement positif signe un certain retour de la France en Europe après le « non » au traité constitutionnel en 2005, l’immobilisme de la fin de la présidence Chirac et l’attentisme des premiers mois de celle de Sarkozy. Un autre « non » est cependant venu compliquer le déroulement de la PFUE avec le rejet du traité de Lisbonne par les Irlandais consultés par référendum le 12 juin 2008. Ce rejet était particulièrement malvenu pour le président français qui avait initié la rédaction du traité et pensait consacrer « sa » présidence à négocier les différents postes qui y sont associés. Ce « non » a été d’autant plus problématique qu’aucune solution ne s’offrait véritablement : le renoncement à toute réforme institutionnelle aurait constitué un échec symbolique, la renégociation du traité était refusée par presque tous. Face à cette impasse, la PFUE a implicitement privilégié la solution d’un second référendum irlandais. Le 12 décembre, le Premier ministre irlandais a fini par se ranger à cette solution prônée par la plupart des Etats membres.

La difficulté à faire adopter le traité de Lisbonne conduit à s’interroger sur la nécessité de modifier les traités européens. Faut-il vraiment revoir les règles de fonctionnement de l’UE ? Quels sont, à cet égard, les enseignements de la PFUE ? Le semestre écoulé semble indiquer que l’Europe peut fonctionner – et plutôt bien – à traités constants. Les travaux du Centre d’études européennes de Sciences Po sont ainsi confirmés : l’Union légifère assez vite pour peu qu’elle veuille légiférer, elle n’est bloquée ni par le nombre d’Etats membres ni par ses procédures. Le bilan législatif de la PFUE se révèle ainsi solide : le paquet climat-énergie mais aussi la directive relative à la mobilité des travailleurs qualifiés ou le bilan de santé de la PAC - sans mentionner une multitude de décisions moins médiatisées.

Malgré cette efficacité législative, le projet de Présidence permanente du Conseil européen contenu dans le traité de Lisbonne semble plus que jamais nécessaire. Plus précisément, le relatif succès de la PFUE justifie l’adoption du traité de Lisbonne, non pas pour instaurer une présidence prenant modèle sur celle de la France mais pour maîtriser les tendances apparues ou confirmées depuis six mois. A savoir : l’affaiblissement de la Commission, la tentation d’un directoire des grands Etats et les divergences d’intérêt entre eux, la multiplication et l’informalisation des sommets intergouvernementaux, et enfin le manque de continuité d’une présidence semestrielle à l’autre. Ce dernier aspect est bien connu et fut à l’origine du projet de présidence stable. L’écart annoncé entre la PFUE et son successeur tchèque sur la plupart des dossiers (climat, Russie, défense… sans oublier le traité de Lisbonne lui-même) vient confirmer le besoin d’une plus grande continuité. De même que les revirements de l’Allemagne sur le paquet climat-énergie selon qu’elle exerce la Présidence, comme en 2007, ou non. Le point n’est pas central cependant puisque la rotation des présidences se perpétuera au niveau des formations ministérielles du Conseil.

L’affaiblissement de la Commission constitue un enjeu plus préoccupant. La PFUE a confirmé, et dans une certaine mesure accentué, les difficultés anciennes rencontrées par cette institution. Difficulté à convaincre les Etats membres du bien fondé de ses positions, sur l’ambitieux paquet climat-énergie notamment. Difficulté à jouer un rôle diplomatique international. Difficulté à coordonner les réponses nationales à la crise financière puis économique. On se souvient qu’en 1993, le plan Delors – jamais appliqué – avait tenté de relancer l’économie européenne là où ce sont les sommets protéiformes de Sarkozy qui ont cherché en 2008 à juguler le déclin des indices boursiers. La Commission a éprouvé enfin des difficultés à faire respecter les traités, les règles et positions communes face aux initiatives individuelles de certains Etats, à commencer par la présidence en exercice. La France a ainsi engagé – pour les remporter – deux bras de fer avec la Commission, en juillet sur les négociations commerciales de l’OMC, et en décembre sur la validation de son plan national de soutien aux banques.

Les faiblesses de la Commission sont anciennes et importantes. Elles tiennent à de nombreux facteurs. Il est douteux que les dispositions du traité de Lisbonne relatives à la Commission modifient cette tendance - la réduction du nombre de commissaires semblant d’ailleurs aujourd’hui écartée. En revanche, l’occupation de la présidence permanente du Conseil européen par une personnalité n’exerçant pas de mandats nationaux, comme le stipule le traité de Lisbonne, permettrait d’appuyer le travail de la Commission en insufflant un peu d’intérêt général communautaire au cœur des travaux du Conseil.

La même remarque vaut pour la multiplication durant la PFUE des rencontres des chefs d’Etat et de gouvernement selon des configurations de plus en plus diverses : bilatérales, G4, PECO, Eurogroupe, Conseils européens extraordinaires… Ces sommets organisés parfois en quelques jours constituent sans doute une solution pragmatique et innovante susceptible de faire face à l’urgence. Ce foisonnement porte cependant la menace d’un contournement des structures classiques de l’Union au profit d’un directoire - solidaire ou conflictuel - des grands Etats. Il justifie ainsi la mise en place d’une présidence médiatrice. Cette présidence ne devrait pas imiter le style omniscient et omnipotent du chef d’Etat français. Elle contribuerait plutôt à encadrer, à coordonner, à aiguiller l’activisme des chefs d’Etat et de gouvernement, particulièrement ceux issus des grands pays.

Le cas de la crise géorgienne peut ici illustrer la nécessité d’un président modeste, médiateur et permanent. Nicolas Sarkozy s’est rendu à Moscou cinq jours après le début du conflit pour négocier un cessez le feu, sans que l’on puisse dire s’il limitait ou validait l’ambition russe. Il le fit au nom de l’Europe - sans mandat européen. Sa démarche a été crédibilisée à la fois par l’exercice de la Présidence du Conseil et par le fait qu’il soit personnellement à la tête d’un grand pays. La situation actuelle est donc insatisfaisante puisqu’elle revient à s’en remettre à l’espoir que la présidence soit exercée par un grand pays volontariste lorsque survient une crise majeure. Il est aussi à craindre que les initiatives individuelles des dirigeants de grands pays se multiplient dans ce type de crise, qu’ils occupent ou non la présidence. Le président permanent du traité de Lisbonne ne devrait ainsi pas être nécessairement celui qui se rend personnellement à Moscou mais celui qui convainc Nicolas Sarkozy – ou Angela Merkel - de ne pas y aller, ou d’y aller en défendant une position commune, ou encore d’y aller ensemble.

S’il ne faut ni désespérer du traité de Nice ni trop espérer de celui de Lisbonne, le succès même de la PFUE plaide paradoxalement pour la mise en place d’une présidence qui ne lui ressemble pas. Ce président devrait en quelque sort limiter plutôt qu’imiter Sarkozy. Qu’on le déplore ou non, le tournant intergouvernemental de l’Union rend nécessaire la création d’un poste de médiateur au sein du Conseil qui prenne acte des faiblesses de la Commission et des velléités des grands Etats à lancer des initiatives. Face aux incertitudes d’un second référendum irlandais, il convient enfin de s’interroger sur la possibilité d’adopter une telle réforme dans le cadre du traité de Nice.