Pourquoi l'Afrique intéresse les marchés financiers edit

8 septembre 2007

L'Afrique est plus souvent associée aux flux de capitaux liés à l'aide internationale qu'à ceux en provenance des fonds d'investissements privés internationaux. Imagine-t-on les fonds mutuels anglo-saxons, les véhicules financiers de private equity ou encore les sulfureux hedge funds, se ruer vers le continent noir ? C'est pourtant ce qui est en train de se passer.

L'Afrique est en passe de devenir la nouvelle frontière d'investissement des marchés émergents. Il ne s'agit plus seulement d'un engouement limité aux seuls grands marchés de la région, qu'ils soient sud-africains ou nigérians. Le Kenya, le Ghana, ou encore le Botswana sont en passe de devenir les nouvelles coqueluches des marchés financiers.

Depuis Londres ou encore New York, mais aussi Johannesburg ou Lagos, on assiste à une recrudescence des investissements financiers dans toute l'Afrique, la partie sub-saharienne incluse. Ainsi, peu avant l'été 2007, Renaissance Capital a annoncé le lancement d'un fonds d'investissement panafricain de plus d'un milliard de dollars. Quelques semaines plus tard, c'était au tour du fonds du private equity sud-africain Pamodzi Investment Holdings de surenchérir avec le lancement d'un autre fonds panafricain de plus de 1,3 milliards de dollars, appuyé par des institutions financières nord-américaines. Quant au fonds londonien Blakeney Management, il se propose d'investir dans des pays comme l'Angola, le Mozambique ou encore l'Éthiopie, misant sur ces pays qui ont réussi à sortir de longues années de conflits. Au total, ce sont près de 3 milliards de fonds de private equity qui ont été levés au cours de l'année 2007.

Les investisseurs en actions émergentes se sont ainsi découvert un nouvel enthousiasme pour l'Afrique. Les fonds globaux émergents allouent près de 10% de leur portefeuille au continent, l'Afrique du Sud n'ayant plus seule l'apanage de cet engouement. À cette tendance s'en ajoute une seconde, avec la création de fonds d'actions panafricains, ce que se sont empressé de faire des firmes telles qu'Investec ou encore Stanlib, une filiale de la banque sud-africaine Standard Bank. La société d'investissement Imara dispose désormais de trois fonds africains, dont l'un dédié entièrement à la Namibie et un autre au Zimbabwe.

Certes, on est loin des sommes colossales amassées dans les pays OCDE ou dans d'autres zones émergentes, mais ce bruissement financier africain n'en est pas moins remarquable. Ces initiatives prolongent celles amorcées en 2006 par des institutions comme Ethos Private Equity qui a formé en octobre de cette année un fonds panafricain, le plus large à ce jour basé en Afrique, de 750 millions de dollars. Peu de temps auparavant, le prince saoudien Al-Walid Ibn Talal avait également investi dans le secteur bancaire au Ghana, dans les télécoms au Sénégal et impulsé la création avec la banque HSBC d'un nouveau fonds, HSBC Kingdom Africa Investments, doté de 400 millions de dollars.

Les exemples ne se limitent pas cependant aux seuls fonds d'investissement de portefeuille, qu'ils soient en actions ou en obligations, ou encore aux fonds de private equity. Les si décriés hedge funds se sont également joints à cet engouement africain. Ainsi Tudor Investments et Millennium Partners ont parié sur la nouvelle institution Africa Opportunities Partners qui se propose d'investir dans le secteur de la bière en Tanzanie, dans celui des télécommunications du Sénégal ou encore dans une compagnie d'assurance en Égypte. En Europe, le financier Suisse Nicolas Clavel a lancé le 1er juillet 2007 le tout premier hedge fund entièrement dédié à l'Afrique, Scipion African Opportunities Fund, un fonds d'investissement qui a pour ambition de réunir 700 millions de dollars.

Pourquoi un tel enthousiasme ? Les raisons sont multiples. Certaines tiennent aux conditions internationales, à la recherche de rendements et à la forte liquidité poussant les investisseurs en direction de nouvelles classes d'actifs plus risquées mais à fort potentiel. Parallèlement, les opportunités d'investissements se sont accrues avec plus de 522 firmes désormais listées sur les marchés boursiers subsahariens, contre à peine 66 en 2000. Preuve de ce nouvel empressement financier en direction de l'Afrique, de nouveaux acteurs comme la banque d'investissement basée à Moscou et Londres, Renaissance Capital, ont ouvert des bureaux dans la plupart des pays africains, de Nairobi à Lagos en passant par Harare. En 2007, Renaissance Capital a d'ailleurs initié la couverture par ses analystes des marchés actions de 21 pays de l'Afrique sub-saharienne. Du jamais vu.

L'essentiel tient cependant aux conditions endogènes du continent africain. Comme le soulignent depuis maintenant plusieurs années les Perspectives économiques africaines, publiées conjointement par le Centre de développement de l'OCDE et la Banque africaine de développement, la croissance est de retour en Afrique. La gestion macro-économique dans de nombreux pays du continent s'est également améliorée ; comme le fait observer une étude récente du Centre de développement, un certain nombre de pays ont adopté une gestion plus prudentielle du boom lié aux matières premières. Mais ce ne sont pas seulement les pays africains riches en pétrole ou en minerais, dont la demande est désormais fortement influencée par l'Asie émergente, notamment la Chine, qui relèvent la tête. Que ce soit dans le Maghreb ou en Afrique sub-saharienne, d'autres pays ont amorcé des assainissements notables et enclenché des rythmes de croissances soutenus.

À la tête de la plupart des fonds misant sur l'Afrique, on trouve désormais une génération de financiers africains ayant écumé les places financières internationales. Ainsi, à la tête du fonds africain, désormais basé à Accra, de la firme Kingdom Zephyr African Management Company, l'on trouve le Ghanéen Kofi Bucknor. Après de brillantes études à HEC et à Harvard, et une longue carrière dans des multinationales françaises et des firmes africaines, Vincent Le Guennou est devenu le responsable, basé à Tunis, pour les investissements africains d'Emerging Capital Partners, le plus important private equity fund (basé à Washington) opérant sur le continent africain avec un total de un milliard de dollars d'actifs.

En France et en Europe continentale, les fonds d'investissements africains sont paradoxalement plus discrets. Certes il existe des fonds émergents globaux avec une fraction (minime) de leurs investissements dédiée à l'Afrique, mais très peu de fonds entièrement dédiés au continent, à l'exception peut-être du fonds d'actions Atlas Maroc de la Financière Atlas, de la firme d'investissements genevoise Helvetica Wealth Management Partners, ou encore de l'équipe de capital investissement dédié à l'Afrique du Nord créée en 2005 par la Société générale Asset Management. Le bras financier pour les PME de la Caisse des dépôts, CDC Entreprises, a également fait des incursions dans le Maghreb en investissant dans un fonds de capital investissement basé à Casablanca. Surtout, la filiale de l'Agence française de développement, Proparco, à laquelle participent de nombreuses banques privées, est particulièrement active en Afrique.

On pourrait néanmoins imaginer qu'une place financière comme celle de Paris, qui dispose de solides acteurs aussi bien dans la gestion d'actifs que dans le private equity, ainsi que de nombreuses compagnies européennes ayant leur base africaine dans la capitale française ou encore certaines d'Afrique leur base internationale ou européenne également en France, puisse faire valoir ses atouts.

Les acteurs privés mais aussi publics pourraient également jouer un rôle d'émulation. Pourquoi ne pas imaginer des partenariats public-privé à l'image de l'African Infrastructure Fund, doté aujourd'hui de plus de 300 millions de dollars, impulsé par la coopération britannique (DFID) et néerlandaise (FMO) en partenariat avec les banques privées Barclays et Standard Chartered ? Ou encore un Fonds d'Investissement de la France pour l'Afrique à l'image du Fonds d'Investissement du Canada pour l'Afrique, créé conjointement par le gouvernement canadien et les firmes de capital investissement Actis et Cordiant ?

A un moment où les banques françaises commencent à se déployer sur le continent africain, en particulier dans le nord, à l'instar de leurs homologues britanniques comme Barclays ou Standard Chartered, on pourrait également imaginer que l'une d'entre elles se dote d'une solide équipe de recherche actions ou obligations : comme on l'a souligné dans une récente étude, l'Afrique reste en effet un continent non couvert par les analystes des grandes banques d'affaires, aucune ne disposant d'équipes étoffées dédiées à la zone (

Enfin, on pourrait également imaginer qu'une partie de la gestion d'actifs européens, moyen orientaux ou africains se fasse depuis la place financière parisienne. La France dispose de gérants de taille internationale comme Axa Investment managers, Crédit agricole Asset Management, Société générale Asset Management, BNP Paribas Asset management, Natixis Asset Management ou encore Dexia Asset Management qui disposent pour certains d'ores et déjà d'une solide expertise en matière de marchés émergents. A ceux-ci s'ajoutent des joueurs de niches comme Carmignac Gestion ou encore Comgest qui caracolent régulièrement en tête des palmarès des gestions émergentes, loin devant la plupart de leurs homologues anglo-saxons.

La place de Paris ne manque pas en outre de banquiers d'origine africaine particulièrement entreprenants, à l'image du franco-béninois Lionel Zinsou, associé gérant de la banque d'affaires Rothschild, responsable pour l'Afrique et le Moyen Orient. Avec Claude Bébéar d'Axa, il a de fait parrainé la création d'un think tank basé à Paris, CAPafrique (Centre d'analyse et de proposition pour l'Afrique).

Certes l'Afrique ne se convertira pas du jour au lendemain en un marché émergent de la taille des asiatiques ou des latino-américains. Mais rien n'interdit de penser qu'avec d'autres coups de pouces, le continent devienne si ce n'est un Eldorado financier tout du moins un pôle d'attraction majeur. Cessons de voir en tout cas l'Afrique sous les seuls prismes de l'assistanat et de sa litanie d'échecs. L'Afrique mérite plus d'attentions et d'actions. Moins de bons sentiments et plus d'investissements.