L’Europe entre concurrence et coopération edit

7 octobre 2008

Samedi 4 octobre, les dirigeants des quatre pays européens membres du G8, ainsi que les présidents de l’eurogroupe, de la Commission européenne et de la BCE se sont réunis à l’Elysée, à l’invitation de Nicolas Sarkozy, après une semaine terrible pour le secteur bancaire en Europe. Ce mini-sommet a-t-il atteint ses objectifs ? Marque-t-il le début d’une large coopération ?

Avant de répondre à ces questions, revenons brièvement sur les raisons qui ont poussé le G4 européen à se réunir. En abandonnant Lehman Brothers à son sort, la réserve fédérale américaine, à la mi-septembre, a voulu faire un exemple : non, les autorités publiques ne voleraient pas systématiquement au secours des établissements financiers en difficulté ; c’est aux actionnaires et non aux contribuables d’éponger les pertes. L’intention de la Fed était louable, le pari audacieux. Mais, aujourd’hui, il y a de quoi s’en mordre les doigts. La faillite de la quatrième banque d’affaires américaine a provoqué un nouveau séisme. La crise a encore gagné en intensité, particulièrement de ce côté-ci de l’Atlantique.

Il y a à peine quelques semaines encore, la plupart des observateurs louaient la résilience du secteur bancaire européen. Mais voilà qu’en seulement une semaine, pas moins de cinq institutions financières européennes (Bradfort & Bingley, Dexia, Fortis, Glitnir Bank et Hypo Real Estate) ont dû être renflouées par des fonds publics, voire nationalisées. Pour autant, répétons-le, le secteur bancaire est, dans son ensemble, moins exposé en Europe – en particulier en France – qu’aux Etats-Unis. Les arguments avancés il y a un mois restent valables. Les grandes banques françaises pratiquent tous les métiers de la banque (collecte de dépôts et octroi de crédits, montages financiers, etc.). C’est ce modèle économique – celui de la banque universelle – qui leur permet d’amortir les chocs.

Cela dit, n’importe quelle banque, aussi solide soit-elle, peut faire faillite. Ce problème est bien connu des économistes depuis le célèbre ouvrage publié par Walter Bagehot… en 1873. En effet, les banques sont structurellement soumises au risque d’illiquidité : elles transforment des ressources à court terme en engagements à long terme. Et au moindre soupçon – qu’importe qu’il soit valable, pourvu qu’il soit partagé par le plus grand nombre – la banque peut être mise en difficulté. Traditionnellement, cela se traduit par une ruée au guichet. Aujourd’hui, c’est la défiance sur les marchés qui acculent les banques à la faillite, mais le principe reste le même : au-delà des fondamentaux, ce sont les anticipations auto-réalisatrices qui les poussent à leur perte. Aussi, rien d’étonnant à ce que le climat actuel soit des plus délétères. Les rumeurs les plus fumeuses courent autours des grandes banques. C’est inévitable. Espérons seulement que ces rumeurs ne soient pas motivées par de mauvaises intentions.

L’intention première des quatre chefs d’Etat et de gouvernement réunis ce 4 octobre était donc de rétablir la confiance en annonçant, solennellement, leur détermination à ne laisser aucun établissement financier européen d’envergure faire faillite. Autrement dit, on a su tirer les leçons de Lehman Brothers. Sur ce point, il n’y a pas grand-chose à redire : les politiques ont fait ce que l’on attendait d’eux. L’objectif principal est atteint : les déposants peuvent être définitivement rassurés.

Penchons-nous maintenant sur les propositions annoncées à l’issue du mini-sommet. A vrai dire, là non plus, pas de surprises. On doit se contenter de quelques positions de principe : appel à une meilleure coordination entre les Etats membres de l’UE ; désir d’assouplir les règles du pacte de stabilité et de croissance, tout comme celles concernant les aides publiques aux entreprises ; volonté de sanctionner les dirigeants qui sont à la tête d’établissements en difficulté ; demande de révision des normes comptables (d’ici la fin du mois !) et du système de rémunérations au sein des grandes banques ; enfin, annonce d’un prochain sommet international. En revanche, rien sur le fameux plan de sauvetage de 300 milliards d’euros, évoqué avant le mini-sommet, mais qui, semble-t-il, a reçu une fin de non-recevoir de la Chancelière allemande. Ce plan n’a donc, officiellement, jamais existé. Rien non plus sur un éventuel plan de relance global. La crise économique est pourtant, aujourd’hui, peut être plus à craindre que la crise systémique.

A entendre chacun des participants, le consensus est de mise. Mais, dans les faits, les divergences demeurent, notamment concernant le pacte de stabilité et de croissance. Pour les chefs d’Etat et de gouvernement qui craignent de devoir encore injecter quelques milliards, les règles d’application du pacte doivent être assouplies pour tenir compte des circonstances exceptionnelles. Bien sûr, ce n’est pas du goût de José Manuel Barroso. Mais à la limite peu importe ; ici, chacun est dans son rôle.

Il ne faut pas non plus s’attendre à ce que les pays de l’UE mutualisent les pertes. Si une nouvelle banque devait être renflouée, ce sera à chaque Etat, individuellement, de faire face. Autrement dit, on continue le chacun pour soi. En pratique, pour le moment, cela n’a pas si mal fonctionné, y compris lorsque Fortis ou Dexia ont dû être sauvés dans l’urgence conjointement par plusieurs Etats membres. Mais cela en dit long sur les réticences des grands pays de l’UE à s’engager ensemble pour faire face à la crise. Il y a décidemment un contraste toujours saisissant entre l’unité affichée lors de ces mini-sommets et les politiques menées par chaque gouvernement.

A ce propos, rappelons qu’il y a encore un an, les places financières de Francfort, Londres ou Paris se livraient ouvertement bataille, avec l’appui de leur gouvernement respectif. Dans chaque pays, la défense de l’industrie financière était un enjeu prioritaire. Cela passait même, dans certains cas, par du dumping règlementaire ou fiscal. Souvenons-nous qu’en France, on se désolait du fait que la Place de Paris ne puisse offrir des salaires suffisamment attractifs ! Depuis, la tonalité a radicalement changé : clairement, aujourd’hui, il ne fait pas bon appeler au développement de cette industrie financière. Pour autant, les chefs d’Etat et de gouvernement n’ont pas oublié que la finance représente en moyenne 3,5 % de l’emploi total dans les pays de l’UE, ni que les places financières de Francfort, Londres ou Paris contribuent directement jusqu’à 10 % de la richesse créée chaque année dans leur région respective. Dans ces conditions, difficile de coopérer pleinement : le malheur des uns fait parfois le bonheur des autres…

On le voit donc avec ce mini-sommet, la concurrence entre les places n’a pas complètement été mise entre parenthèses. En cette période de crise, chaque gouvernement continue de défendre son propre système bancaire et financier. On sait par ailleurs qu’il y a une très forte inertie dans la hiérarchie des places financières. Par exemple, Wall Street a dû longuement patienter avant que la City ne lui cède la première place. En fait, seule une crise majeure peut bouleverser le classement. Il est évidemment trop tôt pour dessiner la géographie financière du XXIe siècle. Mais il est clair que Wall Street a perdu de sa superbe. Cela va-t-il bénéficier à certaines places européennes ? Rien n’est moins sûr. Surtout si les places émergentes d’Asie viennent coiffer tout le monde au poteau.