Faut-il interdire les stock-options ? edit

1 juin 2007

Les stock-options ont longtemps été défendues par les économistes qui y voyaient un moyen efficace pour aligner les intérêts des dirigeants et des actionnaires. Pourtant, depuis les scandales financiers des années 2000, plusieurs études sont venues jeter un doute sur l'efficacité de ces instruments. La question est récemment revenue sous les feux de l'actualité quand l'Autorité des marchés financiers (AMF) a interrogé des dirigeants d'EADS sur l'exercice de stock-options.

Rappelons brièvement les faits. Le 7 mars 2006 se tient un conseil d’administration. Le PDG d’Airbus est exceptionnellement convié mais, officiellement, il n’est pas question de l’A380. Le jour même, la plupart des dirigeants obtiennent le droit d’exercer leurs stock-options. Le lendemain, EADS annonce un bénéfice record de 1,7 milliards d’euros pour 2005. Le cours de l’action est alors au plus haut. Noël Forgeard, PDG d’EADS, réalise une plus-value de 4,7 millions d’euros grâce à l’exercice de ses stock-options. Il n’est pas le seul, puisque ses enfants vendent également leurs titres, de même que plusieurs dizaines de cadres de l’entreprise. Le 13 juin, à l’issue d’un nouveau CA, on apprend qu’EADS sera incapable de suivre le plan de production prévu ; le cours de bourse perd près de 30%. L’enquête de l’AMF vise donc à établir si les dirigeants qui ont exercé leurs stock-options étaient, ou non, informés des retards, ce qui constituerait un délit d’initié. Depuis, le débat autour des stock-options se focalise sur cette affaire, amplifiée par l’existence d’un parachute doré dont a bénéficié Noël Forgeard (indemnités de départ de 8,5 millions d’euros, en juillet 2006).

Les stock-options ont longtemps été défendues par les économistes qui y voyaient un moyen efficace pour aligner les intérêts des dirigeants et des actionnaires, une question au cœur de la théorie financière de l’entreprise depuis les travaux fondateurs de Jensen et Meckling en 1976. Les stock-options sont octroyées aux dirigeants d’une entreprise. Elles leur donneront le droit, quelques années plus tard, d’acheter des actions de l’entreprise à un prix fixé aujourd’hui, le prix d’exercice. Si le cours de l’entreprise s’apprécie, les dirigeants pourront donc acheter des actions à un prix préférentiel puis les revendre et réaliser une plus-value appréciable. En théorie, les stock-options incitent donc le dirigeant à agir dans l’intérêt des actionnaires : faire augmenter autant que possible le cours boursier de l’entreprise.

Récemment, Brooks, Chance et Cline ont examiné plus de 300 000 levées de stock-options réalisées entre 1996 et 2004 dans 7 500 entreprises américaines. Ils analysent les performances boursières sur une période de deux ans, centrée sur la date d’exercice des stock-options par les dirigeants. Sur les douze mois qui précèdent la date d’exercice, les titres s’apprécient de 16 %, puis diminuent de 10 % les douze mois suivants. Tout se passe donc comme si les dirigeants exerçaient leurs stock-options juste au bon moment. Bien sûr, cela ne veut pas dire qu’il s’agit systématiquement de délits d’initiés, mais de tels chiffres laissent perplexe quant à l’utilisation des stock-options comme un outil permettant d’aligner les intérêts des dirigeants et des actionnaires.

Certains envisagent donc, tout simplement, d’interdire les stock-options. Le problème est qu’ils proposent en général de remplacer cette composante incitative de la rémunération des dirigeants par une autre, encore plus favorable au dirigeant, l’octroi d’actions gratuites. En effet, une action gratuite, quel que soit son prix futur, sera toujours source de gains ! Que faire alors ? La grande majorité des économistes s’accorde sur la nécessité de conserver des mécanismes incitatifs pour les dirigeants. Aussi, avant de vouloir supprimer les stock-options, voyons ce qui peut être corrigé pour limiter certains de ces défauts les plus patents.

Le premier problème est celui du sous-jacent. Les stock-options sont actuellement indexées sur la performance absolue de l’action de l’entreprise alors qu’elles devraient être liée à la surperformance par rapport à un indice boursier : un dirigeant ne devrait pas voir ses stock-options s’apprécier lorsque son entreprise réalise une performance, certes positive, mais équivalente (voire inférieure !) à celle du marché… Cette modification éviterait de plus le repricing fréquent des stock-options. En effet, suite à une baisse du cours de bourse, les stock-options perdent aujourd’hui toute valeur et donc tout caractère incitatif. Les dirigeants réclament alors – et obtiennent souvent – une baisse du prix d’exercice. Mais cela revient à « récompenser » le dirigeant pour une performance médiocre. Une indexation des stock-options sur la surperformance supprimerait ce problème, puisqu’un dirigeant serait alors récompensé, même si le marché est baissier, pourvu que le cours de l’entreprise qu’il dirige résiste mieux que les autres, et ce, sans avoir besoin d’en modifier ex post les caractéristiques.

Le second problème concerne le moment auquel sont octroyées les stock-options. Généralement, le prix d’exercice est égal au cours du sous-jacent le jour de l’émission. Si le cours de bourse a fortement augmenté au cours des derniers mois, il arrive parfois que le prix d’exercice soit fixé en référence à un cours passé, évidemment plus faible. Cela permet à l’heureux bénéficiaire de ces stock-options anti-datées de réaliser un gain appréciable, même si le cours n’augmente pas au cours de la période de détention des stock-options. D’autres mécanismes similaires, mais plus difficiles à détecter, existent. Ainsi, le « spring loading » consiste à octroyer des stock-options aux dirigeants avec un prix d’exercice égal au cours de bourse actuel… puis à annoncer d’excellentes nouvelles concernant l’entreprise. C’est d’ailleurs exactement le contraire de l’affaire EADS, mais ces mécanismes ne sont pas nécessairement illégaux (sous réserve que certaines procédures aient été suivies). Pour que les stock-options soient réellement incitatives, il faudrait, par exemple, que le prix d’exercice soit nettement supérieur au cours de bourse de l’entreprise au moment de l’octroi des stock-options (quitte à leur en accorder davantage). Ainsi, les gains pour les dirigeants seraient réellement synonymes de gains pour les actionnaires (dans ce cas toutefois, l’incitation à prendre des risques pour le dirigeant serait plus importante).

Il n’en demeure pas moins que les dirigeants d’une entreprise sont, par nature, initiés parmi les initiés. Quelles que soient les modalités de leur rémunération, il ne faut pas s’attendre à ce que les délits d’initiés disparaissent. Il faut donc exiger une plus grande transparence encore des rémunérations des dirigeants et une surveillance accrue par les actionnaires, doublée bien sûr d’un contrôle des autorités. Si les premières évolutions en ce sens ont suivi les scandales financiers des années 2000, il reste encore du chemin à parcourir en ce sens.