L’aggiornamento socialiste, une nécessité absolue edit

6 novembre 2012

François Hollande, au cours de sa campagne présidentielle, avait insisté à juste titre sur la priorité à donner à la question de la compétitivité de l’économie française. Les décisions en demi-teinte qui devraient être annoncées aujourd’hui posent un certain nombre de questions. Pourquoi le président n’a-t-il pas traité ce problème dès le début de son quinquennat en en faisant la priorité absolue ? Pourquoi n’a-t-il pas accepté, comme le regrettent à juste titre Philippe Aghion, Gilbert Cette et Elie Cohen dans les Echos, de rompre avec la stratégie keynésienne de la demande et d’opter clairement pour une stratégie de l’offre que les social-démocraties de l’Europe du nord ont adoptée et appliqué avec un certain succès ? La réponse à cette question ne doit pas être recherchée dans le manque de lucidité ou de courage du président mais dans l’idéologie  du Parti socialiste.

Le Parti socialiste se veut désormais et, certainement de bonne foi, social-démocrate. Pourtant, il n’a toujours pas compris ce qui caractérise la social-démocratie : le compromis avec le capitalisme. Ce compromis se fonde sur l’idée simple selon laquelle pour redistribuer il faut d’abord produire et créer des emplois et que seule l’entreprise, privée pour l’essentiel, peut le faire. Pour les socialistes français, l’entreprise demeure suspecte comme le profit. Le patron est d’abord une figure négative, surtout s’il dirige une grande entreprise. Dès lors ils conçoivent le rapport à l’entreprise non pas sous la forme d’un compromis positif mais comme un rapport entre deux adversaires. La crise de 2008 et les rémunérations excessives des dirigeants des grandes entreprises les ont convaincu du bien fondé de leur vision, négative, du capitalisme. Dès lors, Leur idéologie les empêche de comprendre la dynamique de la mondialisation et les efforts à faire pour s’y adapter. Ils préfèrent, telle l’autruche, se mettre la tête dans le sable. Leurs textes  acceptent bien l’économie de marché mais pas leur tête. Ils espèrent toujours, de manière floue et non argumentée, qu’un jour,  le capitalisme sera remplacé par autre chose. En attendant, l’économie française perd des parts de marché et notre commerce extérieur est de plus en plus gravement déficitaire. 

Les socialistes français continuent de penser que leur identité de gauche les oblige à refuser la réalité du compromis social-démocrate.  Certes, leur anticapitalisme socialiste est mou, contradictoire, dénué d’un véritable fondement théorique. Mais il reste le grand marqueur de gauche. L’abandonner signifierait que, comme dans les autres pays européens, la social-démocratie n’a plus rien à voir avec l’extrême-gauche ou ce qui reste du communisme.  C’est en ce sens aussi que le socialisme français n’est pas social-démocrate : il tient à ne pas se couper de l’extrême-gauche.

Or, en France comme en Allemagne, c’est de toutes les manières l’extrême-gauche qui a coupé les ponts avec le socialisme, et probablement de manière définitive. Les évènements de ces derniers jours le confirment si nécessaire. Le Front de gauche a clairement choisi de faire partie de l’opposition au gouvernement socialiste. La raison de cette attitude est simple : en choisissant la voie européenne et le renforcement de l’Euro qui conduit à une fédéralisation de l’Union européenne, le pouvoir socialiste emprunte la stratégie social-démocrate, ce que le communisme n’a jamais pu accepter. Le problème central est alors que le socialisme français est écartelé dangereusement entre une idéologie non social-démocrate et une stratégie sociale-démocrate. C’est ainsi que l’on peut comprendre l’épisode du choc de compétitivité. La stratégie devrait conduire à accepter le choc de compétitivité mais l’idéologie l’interdit. Les dirigeants socialistes connaissent leur parti et son idéologie. Ils sont poussés avant chaque élection à épouser celle-ci. Une fois au pouvoir ils ne savent comment s’en débarrasser. Le résultat est toujours le même : du temps perdu et des politiques contradictoires. Ces politiques, souvent sages finalement, au vu des engagements pris, apparaissent alors comme des trahisons et, une fois les socialistes revenus dans l’opposition, elles sont condamnées au nom de la fidélité à l’identité partisane. Et un nouveau cycle démarre.

On mesure ainsi la difficulté extrême de gouverner ce pays en temps de crise pour un dirigeant socialiste. Il est possible de mettre en cause le leadership présidentiel  mais le véritable problème est ailleurs. Il est dans le refus permanent du socialisme français de faire son véritable aggiornamento, en particulier sur l’entreprise, son rôle, sa place et son bilan. Les socialistes français répondent périodiquement, depuis les années soixante-dix, à ceux qui les pressent de faire leur révision idéologique que cette révision n’est pas nécessaire puisqu’elle a déjà été réalisée en pratique au gouvernement. L’histoire de ces trente dernières années convainc cependant du contraire. La seule vraie révision est celle qui modifie les idées, la culture, les visions, c’est à dire les croyances et les attitudes des individus. Elle nécessite de vraies initiatives, un vrai débat et de vraies décisions. Or le récent congrès de Toulouse du Parti socialiste atteste que cette révision là est toujours à faire. Si elle tarde, le pouvoir socialiste, engagé avec raison dans la voie de la social-démocratie européenne, échouera nécessairement car, sans un appui réel du parti, celui de la conviction, il ne pourra que louvoyer et perdre la confiance des Français. Certes, une telle initiative doit venir des dirigeants, et d’abord du sommet de l’Etat. Mais réviser quand on gouverne n’est pas chose aisée. C’est le parti lui-même qui devrait sans tarder emprunter enfin une telle démarche. Pour cela il faudrait d’une part que les socialistes cessent de faire de l’unité du parti la valeur suprême et que d’autre part ils fassent leur deuil de leur relations avec le Front de gauche qui, sous la houlette haineuse de Jean-Luc Mélenchon, n’a plus aujourd’hui comme seul objectif que d’affaiblir le Parti socialiste pour tenter d’élargir son espace politique. Il faut donc que le Parti socialiste fasse passer le projet social-démocrate avant l’unité illusoire de la gauche. En un mot qu’il devienne vraiment social-démocrate !