Trump et le discours sur l’état de désunion edit

7 février 2018

Le discours sur l’état de l’Union prononcé chaque année fin janvier devant le Congrès par le Président des États-Unis est un événement majeur de la vie politique américaine. L’intervention de Donald Trump, la première depuis son élection, était donc attendue avec impatience par les uns, anxiété par les autres. Le résultat a plongé la plupart des observateurs dans une grande perplexité. Si Trump a évité ses diatribes habituelles, il n’a pas contribué par ses propos à promouvoir une politique de consensus. Les divisions au sein du pays sont de plus en plus évidentes et dangereuses.

Un système politique paralysé

Ce qui est frappant, au terme d’une année tumultueuse d’un président improbable, c’est la paralysie d’un système politique qui a pourtant longtemps fonctionné de manière relativement harmonieuse, une majorité des élus des deux grands partis se mettant d’accord sur des compromis en matière de budget, de défense et de politique étrangère. Or le président Trump n’a guère contribué dans ses propos à pacifier l’ambiance détestable qui règne désormais à Washington. Après avoir vanté les extraordinaires succès de sa première année, notamment l’affaiblissement de l’abominable réforme du système de santé voulue par Obama, ainsi que le vote de la réforme fiscale rejetée par les démocrates et visant surtout à enrichir les plus riches, il a évoqué de manière très vague ses projets pour 2018 : une réforme du régime de l’immigration sur lequel s’opposent violemment les diverses factions du Congrès et un plan colossal d’investissement de 1500 trillions de dollars dans les infrastructures délabrées du pays, plan qui n’est pas financé.

Il est douteux que cette prestation accueillie avec scepticisme par la majorité des médias se traduise par une remontée d’une cote de popularité désespérément basse. Aujourd’hui seuls 38% des Américains ont une bonne opinion du président contre 58% d’opinions défavorables. Un écart de 20 points qui persiste depuis plus de six mois.

Un électorat minoritaire mais fidèle à Trump

Cet impressionnant écart ne doit pas cependant masquer une réalité dont les élus républicains sont parfaitement conscients. S’il est vrai que la majorité des électeurs désavoue le président, ses partisans lui restent fidèles. Le score de 38% n’a pas varié ces derniers mois. Les catégories de la population qui l’ont porté au pouvoir continuent dans une large mesure à approuver ses foucades et ses propos xénophobes. Chrétiens évangélistes, blancs sans diplômes, sudistes hostiles aux noirs et aux hispaniques continuent à penser que leur héros est victime des médias de la côte Est et des politiciens corrompus de Washington qui l’empêchent de réaliser ses projets de construction du Mur à la frontière du Mexique ou d’expulsion massive des immigrants.

Au surplus, ces partisans mobilisés par les médias ultraconservateurs comme la chaîne Fox News sont bien décidés à peser de tout leur poids dans les primaires organisées pour choisir les candidats au Sénat et à la Chambre. C’est la crainte d’une primaire qui risquerait de les éliminer qui incite députés et sénateurs républicains à soutenir en dépit de tout le président. Il est très significatif que les seuls élus qui critiquent publiquement Trump, tels que Jeff Flake ou Bob Corker, sont des personnalités qui ont annoncé qu’elles ne se représenteraient pas.

Au demeurant, le discours sur l’état de l’Union a été très vite balayé de l’actualité par une nouvelle initiative de Trump qui déclenche une crise institutionnelle majeure. Le président a en effet autorisé le 2 février la publication d’une note émanant de la majorité républicaine de la commission du Renseignement du Congrès. Cette note vise à remettre en cause l’action du FBI et du ministère de la Justice dans l’enquête sur le rôle de la Russie dans la campagne présidentielle. Or les responsables du FBI et de la Justice s’étaient publiquement opposés à cette publication qui comportait selon eux de graves omissions et soulevaient des risques pour la sécurité nationale. Ce conflit entre la Maison-Blanche et deux importants services publics ne peut qu’accentuer la désorganisation de l’administration américaine et risque d’entrainer le départ de responsables nommés il y a à peine un an.

Les faiblesses des Démocrates et de la démocratie

Peut-on espérer que les midterm elections qui renouvelleront début novembre la totalité du Congrès et un tiers du Sénat permettront de débloquer un système devenu ingérable ? On peut en douter. Certes, le parti Démocrate bénéficie d’une très bonne cote dans les sondages et semble tirer profit d’une mobilisation inédite des électorats noir et féminin. Toutefois, ce parti, à l’instar des formations sociales-démocrates européennes, ne parvient pas à résoudre ses contradictions entre une aile gauche qui veut aller beaucoup plus loin dans les réformes sociales et l’accueil des migrants et une aile plus centriste craignant d’indisposer un électorat populaire qu’il faut reconquérir alors qu’il a massivement voté pour Trump en 2016.

Dans un livre publié en 2017 et qui a provoqué un débat intense, The Once and Future Liberal,  le politologue de Columbia Mark Lilla a vivement critiqué les errements des démocrates. Il a souligné qu’ils se dispersaient dans la défense d’une multitude de causes concernant diverses minorités, au lieu de s’adresser à l’ensemble des citoyens en leur proposant une vision globale du progrès social.

Les Démocrates pourraient plus aisément surmonter ces frictions et tirer profit des observations de Mark Lilla s’ils bénéficiaient d’un candidat crédible et consensuel pour les futures présidentielles de 2020. Malheureusement, ce  n’est pas le cas. Il existe une dizaine de postulants mais aucun ne semble capable d’unifier le parti.

Enfin, la perspective des midterm fait apparaître, à travers une série de sondages, un fossé croissant entre les conceptions des électeurs républicains et démocrates. Sur l’adhésion à une religion, l’éthique, le respect des homosexuels, la défense des droits des femmes, l’immigration, l’écart est tel qu’on ne peut imaginer une forme de cohabitation au sein du Congrès et du Sénat, au moins dans le court terme. Ces divisions que Trump ne cesse de conforter par ses provocations laissent mal augurer de la deuxième partie du mandat du Président quel que soit le résultat du vote.

Pour les Européens, conscients de l’influence sur leur continent des grands courants d’opinion venus d’outre Atlantique, le plus préoccupant est la crise du modèle démocratique américain. Le principe de l’alternance politique, élément fondamental du fonctionnement des institutions, est remis en cause depuis vingt ans, donc bien avant l’arrivée de Trump, par les Républicains qui donnent le sentiment de ne pas accepter d’être écartés du pouvoir dont ils se considèrent comme les seuls détenteurs légitimes.

C’est ainsi qu’ils ont veillé à ce que la Cour suprême leur soit acquise. Ils s’efforcent de rogner par divers artifices juridiques le droit de vote des minorités, trop proches des Démocrates. Ils continuent aussi à remodeler en leur faveur les circonscriptions électorales dans les états qu’ils contrôlent, soit 36 sur 50. De son côté Trump en ne cessant d’attaquer les médias, la Justice et les services de sécurité donne le sentiment de vouloir éliminer tous les contrepouvoirs voulus par les Pères fondateurs. À n’en pas douter les prochaines batailles politiques seront décisives pour la sauvegarde de la démocratie pluraliste.