Merci l'Asie edit

11 juillet 2007

Il y a dix ans tout le monde parlait de la crise asiatique et des dérèglements qu'elle pouvait entraîner. Aujourd'hui plus personne ou presque n'en parle tant la capacité de ce continent à s'organiser pour surmonter ses difficultés s'est révélée payante.

Les économistes ont tendance à dire que les marchés ont la mémoire courte, essayant ainsi d’expliquer pourquoi même après une période agitée, ils semblent rarement jouer à la baisse. Mais les économistes eux aussi ont la mémoire courte et ils ont tendance à simplifier au lieu de se montrer prudents dans leurs analyses. Un bon exemple est le flux continu de commentaires négatifs sur les pays asiatiques, qui s’appuient sur divers arguments : ces pays adoptent des politiques mercantilistes, ils n’ont pas tiré les bonnes leçons de la crise de 1997, ils risquent de moins-values significatives dans leurs réserves de change, ils jouent avec leur monnaie, ils ajustent leurs coûts au détriment de leur niveau de vie... Ces commentaires sont d’abord l’effet des discussions en vogue sur les déséquilibres globaux. Ils offrent aux politiques des arguments bien commodes pour appréhender d’une façon aussi partielle que partiale, et surtout inefficace, le problème de la montée des inégalités de revenus en Occident. Peu nombreux sont ceux qui se souviennent des conclusions qui ont suivi la crise asiatique il y a dix ans, et de leurs implications politiques. Une décennie plus tard, la crise asiatique semble un événement très ancien et les souvenirs se brouillent.

Un discours prononcé récemment par David Burton, qui dirige le département Asie & Pacifique du FMI, résume bien les causes de la crise : faiblesses du système financier, faiblesses des entreprises, taux des changes encourageant des emprunts en devises excessifs, niveaux de réserve inadéquats et enfin manque de transparence, notamment quant aux volumes réels des réserves utilisables. Les pays asiatiques ont dûment corrigé ces faiblesses. Ils ont travaillé à améliorer leurs contrôles et leurs cadres de régulation et de gouvernance. Ils ont laissé flotter leur monnaie et augmenté le niveau de leurs réserves. Sur tous ces points, ils ont fait exactement ce qu’on attendait d'eux. Mais dans la liste des causes de la crise, il y avait un autre problème implicite, qui a fait à l’époque l’objet de débats agités mais semble avoir été oublié : le mauvais séquençage de la libéralisation des comptes de capital. Il n’est pas inutile de rappeler qu’à l’époque, la communauté internationale discutait si la libéralisation des comptes de capital devait être ajoutée aux Articles de l’accord FMI ; la libéralisation complète était la doctrine prêchée par Washington. Mais de trop nombreux pays ont ouvert leurs comptes de capital dans le mauvais ordre, libéralisant les portefeuilles et les flux bancaires à court terme mais maintenant des restrictions sur les investissements directs étrangers, ce qui a encouragé des flux spéculatifs à court terme qui pouvaient facilement s’inverser. Après 1997, l'enthousiasme pour la libéralisation complète s’est refroidi et on a mis l'accent sur le séquençage correct, envisagé dès lors comme la clef d’une politique réussie ; l'intervention sur les devises et le contrôle des capitaux dans certaines circonstances sont entrés dans la liste officielle des politiques acceptables.

Pourquoi insister sur ce point ? Parce que le séquençage correct est bien la clé du succès lorsqu’on adopte une politique radicalement nouvelle, et que la principale politique des pays asiatiques après 1997 fut de changer d’ancre nominale. Ne pouvant plus compter sur des cours de change fixes, ils ont évolué vers un régime de ciblage d’inflation. Etant donné leur manque de crédibilité ex ante, ils ont décidé d'appliquer ce changement avec le séquençage correct : laisser flotter les monnaies, mais construire un mécanisme d'assurance sous la forme de réserves abondantes afin d’empêcher des attaques sur leur monnaie le temps que le nouveau cadre de leurs politique gagne en crédibilité. Les pays asiatiques ont décidé de ne jamais plus se tourner vers le FMI et de ne plus jamais être à la merci des marchés financiers ; avec ces objectifs en tête, ils ont appliqué un séquençage parfaitement logique, surtout quand on considère que l'architecture financière internationale, et en particulier le FMI, n'était pas en mesure de leur fournir ce type de mécanisme d'assurance.

Cela fut donc donc un changement lent, graduel et prudent, qui a produit des avantages considérables. En fait, ce changement de politique, qui inclue un mécanisme d’assurance par les réserves de change, n'est pas en soi une nouveauté. Pensons à une expérience similaire : une banque centrale créée ex novo pour gérer une nouvelle zone monétaire, qui pour gagner sa crédibilité, prend à ses débuts une assurance anti-inflationnistee supplémentaire en créant un puissant pilier monétaire. Oui, c’est bien à la BCE que je pense, la BCE qui a construit un mécanisme d'assurance, le pilier monétaire, comme une stratégie de séquençage. Tout comme les autorités Asiatiques, la BCE a été largement critiquée pour avoir adopté son pilier monétaire. Et, tout comme les politiques asiatiques ont réussi, l’approche de la BCE a marché: sa prudence d a empêché tout reprise de l’inflation. Désormais, son mécanisme d'assurance devient peu à peu moins nécessaire.

Aujourd'hui, les pays asiatiques sont en train de sortir progressivement de leur expérience de séquençage. Leurs régimes de ciblage d'inflation ont acquis un niveau élevé de crédibilité, le haut niveau de leurs réserves de change les ont bien protégés de l'agitation des marchés – il est même remarquable que malgré les nombreux épisodes d’agitation financière ces dernières années d'années (le déclin de GM et Ford, les craintes sur le marché hypothécaire aux Etats-Unis, les secousses politiques au Moyen-Orient, etc.) les monnaies asiatiques sont restées très stables. En même temps, l'intégration régionale et la coordination des politiques avancent rapidement. Aujourd’hui, les pays asiatiques se sentent suffisamment confiants dans la capacité de leurs cadres politiques à soutenir leurs régimes de change flottant; de là la création de fonds d’investissement publics (Sovereign Wealth Funds) destinés à investir une partie de leurs réserves de change et à éviter que leurs monnaies ne s’apprécient plus que nécessaire. En fait, l'idée selon laquelle les pays asiatiques auraient adopté une politique monétaires de cours quasi-fixes est réfutée par les données : depuis 2001, un pannier de monnaies asiatiques s’est apprécié de près de 25 % par rapport au dollar et de près de 40 % par rapport au yen, une évolution très similaire à celle de l'euro. Dix ans après la crise asiatique, la région a construit un cadre de politique crédible et peut commencer à adopter des politiques moins défensives. Leur séquençage a réussi.

L'Asie avait besoin d'une ancre nominale. Elle en a construit une en combinant un ciblage d'inflation crédible, un système de change robuste et un puissant réseau d'arrangements régionaux. C’est positif et pour la région et pour le monde, car cela permet de rééquilibrer graduellement la croissance globale; cela n’a qu’un impact très marginal sur le problème clé de l’économie mondiale, l'élargissement rapide des disparités de revenu. Cette question-ci est liée à des facteurs de long terme : les changements de mode et de lieu d’imposition, les politiques de l’emploi et l’évolution des marchés financiers. Toutes ces question relèvent des politiques nationales. Il en va de même pour ce qui est du “déséquilibre global”, qui est le résultat d'un mélange complexe de facteurs impliquant les réserves des Asiatiques mais aussi celles des pays pétroliers, les politiques d’économies de coûts des entreprises et l'inflation des prix de l’immobilier. Ce déséquilibre devrait lentement se résoudre au fur et à mesure où les taux d'intérêt à long terme remonteront vesr des niveaux plus normaux. Il reste beaucoup de travail à faire en Asie, bien sûr, mais en attendant laissons les pays asiatiques continuer, lentement, à mener leurs affaires.