Londres : les leçons d'une semaine agitée edit

1 octobre 2007

La troisième semaine de septembre 2007 restera dans les annales des crises financières : pour la première panique bancaire en Grande-Bretagne depuis plus d’un siècle ; pour l’expérience des limites des arrangements complexes en temps de crise ; et pour la défaite de la rigueur intellectuelle face au pragmatisme. Tout cela s’est passé en quelques jours. Voici les faits et les leçons qu’on peut en tirer.

Le samedi 15 septembre, une photo s’étale à la une des journaux. Elle montre les clients de Northern Rock, une banque spécialisée dans les hypothèques, faisant la queue dans la rue pour retirer leur argent. Une version très britannique, calme et disciplinée de la panique bancaire, mais une panique quand même. Elle a été déclenchée par des rumeurs selon lesquelles personne ne voulait plus prêter à une banque dont le portefeuille de valeurs était composé principalement d'hypothèques et de prêts hypothécaires, et l’attribution d’un prêt d’urgence à Northern Rock par la Banque d'Angleterre n’a rien arrangé. Comme le reconnaîtra ensuite Mervyn King, le gouverneur de la banque centrale, cela revenait à crier « Au feu ! » dans une salle de cinéma bondée. Northern Rock allait tout droit vers un défaut de paiement et le risque de contagion aux autres institutions financières était réel.

La première leçon de cette histoire est aussi simple qu’effrayante : malgré une supervision extensive des banques, malgré la garantie des dépôts et malgré la disponibilité des banques centrales à jouer le rôle de prêteur en dernier ressort, une panique à la manière des livres d'histoire ou des économies émergentes reste possible. Si cela a pu arriver dans le pays financièrement le plus sophistiqué d'Europe, cela peut arriver ailleurs.

Heureusement, les banques sont fermées le dimanche, ce qui laissa à Alistair Darling, le Chancelier de l'Echiquier, le temps de réfléchir. Le lundi 17 septembre, il publie une déclaration. « Northern Rock est solvable », réaffirme-t-il, la Banque d'Angleterre le soutiendra dans ses « problèmes de liquidités à court terme ». Plus important, il ajoute que si nécessaire, « toutes les sommes déposées chez Northern Rock » seront garanties. Trois jours plus tard, le jeudi 20 septembre, le Trésor confirme que tous les comptes existants et tous ceux qui ont été fermés pendant la panique bénéficient d'une garantie totale de l’Etat. De fait, les déclarations précédentes n’ont pas suffi à rassurer les clients et à faire cesser la panique. Celle-ci ne se terminera qu’avec l’engagement sans équivoque de garantir intégralement les dépôts par les fonds publics.

On peut se demander pourquoi c’est l’Etat, et non une agence spécialisée, qui a dû intervenir. En Grande-Bretagne, la responsabilité de la stabilité financière est partagée entre le Trésor, la Banque d'Angleterre et l'Autorité des services financiers (Financial Services Authority ou FSA, le chien de garde des banques). Selon un mémorandum entre les trois institutions signé en 1997, en temps de crise le Trésor doit s'assurer que les ministres sont « capables de prendre des décisions sans délai », la tâche de la Banque est de « chercher à assurer le bon fonctionnement des marchés financiers » et le rôle de la FSA est de « contrôler la santé des institutions financières ». Cet arrangement, qui n’avait pas vraiment été mis à l’épreuve, était sans doute trop complexe pour inspirer confiance, avant que le Trésor ne prenne son initiative décisive.

Deuxième leçon donc : une fois que la panique a commencé, la vitesse, la résolution, une vision claire des responsabilités et finalement la mise en jeu de moyens budgétaires sont décisives pour empêcher la situation de s'aggraver. La leçon vaut pour l’Europe, notamment dans le cas des grandes banques installées dans plusieurs pays. Pour ces banques paneuropéennes, les responsabilités sont partagées entre le pays du siège et les pays hôtes. Une coordination est prévue, mais on ne sait pas clairement quel pays est censé mettre la main à la poche. De plus, le Comité européen de supervision bancaire (un organe consultatif créé en 2003) réunit pas moins de 51 membres et la coopération entre agences est régie par un ensemble de plus de 80 mémorandums bilatéraux et multilatéraux. Comme le note Nicolas Véron dans un récent papier de Bruegel, il y a un risque significatif de défaut de décision face à une crise frappant l’une de ces banques paneuropéennes dont les actifs sont répartis sur plusieurs pays. L'expérience britannique devrait servir d’avertissement et conduire à affecter à des structures européennes la responsabilité de surveiller les banques paneuropéennes et celle de les soutenir en cas de crise.

L'étape suivante de la crise intervient le jeudi 19 septembre, quand la Banque d'Angleterre annonce qu'elle accepte de fournir des liquidités aux banques pour des durées plus longues et en contrepartie de collatéraux de moindre qualité qu’elle ne l’avait fait jusqu’alors. C’était exactement le contraire de ce que soutenait le gouverneur Mervyn King dans une note adressée la semaine précédente au président de Commission des finances de la Chambre des communes. Dans ce document daté du 12 septembre, l'universitaire devenu banquier central expliquait pourquoi sa conduite avait été très différente de celles de ses homologues de la BCE et de la Fed : depuis le début de l'agitation des marchés financiers, il avait refusé de fournir aux banques en détresse des liquidités d'urgence à un taux inférieur à celui du marché, parce qu’en portant secours aux prêteurs imprudents il aurait semé les graines de futures crises. Dans sa note, il réaffirmait sa position, concluant que « les injections de liquidité dans les opérations de marché financier normales en contrepartie d’un collatéral élevé » [c’est-à-dire, des prêts aux banques garantis par des actifs de haute qualité, bons du Trésor ou autres obligations impliquant un risque minimal] sont peu susceptibles de faire baisser les taux d'intérêt du marché pour les prêts de banque à banque. Reconnaissant que « les injections générales de liquidités contre une gamme plus large de collatéral » [c’est-à-dire, des actifs de moindre qualité, comme des hypothèques ou les produits financiers basés sur le crédit] atteindrait probablement ce but, il ajoutait que de telles injections « encourageraient à l'avenir les mêmes prises de risques qui nous ont conduits à la situation actuelle ». Il y avait là une critique à peine voilée de la conduite de la BCE et de la Fed.

L'épisode Northern Rock a d’une certaine façon confirmé les craintes du Gouverneur. Ce que l’Etat a fait ensuite, c’est de se porter au secours de gens qui avaient mis leur argent dans une banque connue pour son comportement peu prudent. La mémoire de cet épisode restera et on peut s’attendre à ce qu’à l’avenir, les clients s’inquiètent moins de la solidité de la banque qu'ils ont choisie, comptant qu’une intervention publique leur évitera toujours de perdre de l’argent. Il reste que, ex-post, la Banque a changé de position. La raison invoquée par Mervyn King devant le Parlement, le 20 septembre, était que la confiance était menacée par la crise de Northern Rock. A juste titre ; mais ce revirement a aussi mis à mal la crédibilité du Gouverneur.

Troisième et dernière leçon : la direction d’une banque centrale est une affaire très, très délicate. En refusant d’accepter des collatéraux de faible qualité, le Gouverneur essayait de tarir le flux des liquidités. Il avait raison : pour la banque centrale, accepter des actifs à la valeur incertaine serait revenu à renflouer des banques fragiles et aurait eu pour résultat d’exposer son propre capital au risque de pertes – et donc, en définitive, aurait été équivalent à un soutien budgétaire. Mais sa prudence a paradoxalement contribué à aggraver la crise et à finalement forcer l’Etat à intervenir. La Banque d'Angleterre était – et reste – parmi les plus sophistiquées et les plus intellectuellement cohérentes de toutes banques centrales. C’est précisément pour cette raison qu’elle est sévèrement atteinte par sa conversion brutale au pragmatisme.