Le Brésil entre crise politique et urgence sanitaire edit

31 mars 2021

Le Brésil est devenu l’épicentre mondial de la pandémie de covid-19. Un an après le premier cas déclaré, le tableau actuel de la crise sanitaire est alarmant. Le nombre de morts a dépassé les 318 000 et plus de 12,7 millions de cas ont été enregistrés [chiffres actualisés pour la traduction de cet article]. Les contagions et les décès augmentent de façon dramatique pour cette deuxième vague de la pandémie. Avec 3780 décès le 30 mars (le chiffre quotidien augmente régulièrement), le Brésil est le pays d'Amérique latine qui compte le plus grand nombre de nouveaux cas et de décès. D’autre part, le recueil de données est problématique, ce qui laisse entrevoir une tragédie encore plus ample. Quand on compare la valeur médiane de la série historique 2009-2019 de nombre de cas de SRAG (Syndromes respiratoires aigus graves) avec le taux d’incidence officiel pendant la pandémie, le nombre de cas pour 100 000 habitants approche du double (cf. graphique) et révèle la dimension catastrophique de la pandémie dans le pays.

Graphique 1. Incidence estimée et officielle de Covid-19

La gravité de la pandémie au Brésil est également démontrée par l’impact de la crise sanitaire sur les catégories de population les plus vulnérables. Le Brésil est l’un des pays qui comptent le plus grand nombre de décès parmi les professionnels de la santé, les femmes enceintes, les autochtones et les enfants de moins d’un an. Comment expliquer cette tragédie humaine ?

La couverture universelle de santé est un déterminant clé de la gestion de la pandémie. En ce sens, le Brésil était peut-être le pays le mieux placé en Amérique latine pour répondre à l’urgence sanitaire, avec de nombreuses possibilités de prévenir, de détecter et de répondre à la crise. Avec un système de santé gratuit à couverture universelle (Système Unique Saúde, SUS) mis en place depuis le début des années 1990, le Brésil a réussi à élargir l’accès au système de santé au cours des trente dernières années. En outre, le SUS possède une expérience récente, car il a fait face à d’autre épidémies, comme celle du Zika en 2015. Pendant ces flambées épidémiques, le SUS a pu agir efficacement par le biais de ses centres de soins primaires,  qui couvrent 74% de la population brésilienne avec des équipes de santé familiales et communautaires. Mais les potentiels du système de santé brésilien n’ont pas été bien exploités pour répondre à l’urgence du covid-19.

Au Brésil, les politiques de santé sont élaborées dans le cadre d’une coordination, centralisée par le ministère de la Santé. La mise en œuvre de ces politiques repose sur les gouvernements locaux. Il ne fait aucun doute que la coordination institutionnelle est cruciale pour le succès des politiques de gestion de cette crise (OCDE, 2020).

Craignant les coûts politiques de la pandémie, l’exécutif fédéral a abandonné la stratégie contre le Covid-19 aux États et aux municipalités, blâmant les maires et les gouverneurs pour les mesures impopulaires qu’ils ont dû prendre. Au lieu de miser sur la coordination et la coopération, le gouvernement Bolsonaro a opté pour un conflit avec les gouvernements locaux, provoquant le chaos, car les mesures prises par ceux-ci trop dispersées, ont échoué, incapables de freiner la pandémie et d’améliorer les soins de santé pour la population. En d’autres termes, l’abandon du gouvernement central a mis à mal le potentiel du système de santé brésilien.

L’inaction du ministère de la Santé et son refus de coordonner le SUS ont également entravé le processus de vaccination. Le pays n’a pas négocié à l’avance l’achat et la mise à disposition des doses de vaccin nécessaires pour vacciner plus de 220 millions de Brésiliens. De plus, le gouvernement fédéral n’a pas non plus élaboré de plan de vaccination consistant, ce qui signifie que les États et les municipalités ont dû assumer la planification de la logistique de façon détaillée, pour que les vaccins atteignent le niveau local.

Ce désastre s’est produit alors que, depuis les années 1970, le Brésil avait l’un des meilleurs programmes de vaccination au monde. Pour le Covid-19, les données de vaccination sont lamentables : des luttes politiques acharnées et une planification désordonnée sont responsables de ce que moins de 5 % de la population brésilienne ait reçu au moins une dose du vaccin deux mois après le début de la vaccination. Ce pourcentage tombe à 1,7% (3,5 millions de personnes) pour deux doses. Comme si cela ne suffisait pas, les taux de vaccination avec 2 doses par états sont assez inégaux : ils vont de 0,4% en Amapá (AP) à 2,5% au Mato Grosso do Sul (MS).

Figure 2. Aperçu de la vaccination dans les États du Brésil

La tragédie brésilienne s’explique par la combinaison des crises politique et sanitaire. L’absence de coordination du gouvernement fédéral, le climat conflictuel et le négationnisme scientifique ont dessiné un scénario politique où la pandémie pouvait avancer sans contrôle. Le récent changement de ministre de la Santé, pour la quatrième fois en moins d’un an, renforce ce scénario d’incertitude et d’instabilité. Alors que la pandémie semblait ne pas pouvoir s’aggraver davantage, les pertes croissantes montrent un Brésil rattrapé par la dure réalité.

Traduction Isabel Serrano. Une version espagnole de cet article est publiée par notre partenaire Agendapublica.es