TVA sociale : une grande assiette pour un plat réchauffé ? edit

6 novembre 2007

Les gains attendus d’une substitution de la TVA aux cotisations sociales proviennent essentiellement à long terme comme à court terme du passage du financement de la protection sociale vers une plus large assiette. Mais l’assiette retenue est-elle réellement plus large ? A priori, la réponse semble être affirmative. En France, la masse salariale nette de cotisations sociales patronales, assiette des dites cotisations, s'élève à environ 660 Md€ alors que l'assiette théorique de la TVA est de l’ordre de 1025 Md€. En faisant abstraction de la réaction des assiettes fiscales à une modification des taux de prélèvement, une hausse d’un point de TVA pourrait ainsi permettre à court terme la baisse d’1,56 point du taux de cotisation. Mais plus large à court terme, l’assiette de la TVA l’est-elle aussi durablement à long terme?

Supposons dans un premier temps que la balance commerciale soit équilibrée et laissons de côté la part de la valeur ajoutée revenant aux administrations publiques. L’assiette des cotisations sociales est bien la masse salariale, c'est-à-dire la différence entre la valeur ajoutée et les revenus du capital ; la TVA est quant à elle assise sur la valeur ajoutée nette des dépenses d’investissement, puisque les entreprises récupèrent en grande partie la TVA payée sur ce type de dépenses. En économie fermée, c’est un résultat bien établi, il y a finalement équivalence entre la TVA et les cotisations sociales si les revenus du capital sont égaux à l’investissement. Les deux modes de prélèvements pèsent alors tous les deux, explicitement ou implicitement, sur la même assiette, soit la masse salariale. A long terme, pour simplifier, l’égalité des rendements du capital et de l’investissement correspond à la fameuse « règle d’or » de l’accumulation du capital maximisant la consommation par tête d’une économie. Mais l’état d’équilibre de long terme d’une économie ne correspond pas forcément à celui dicté par la règle d’or : lorsque le taux d’épargne des ménages est faible, les revenus du capital sont durablement supérieurs à l’investissement et la substitution d’une TVA aux cotisations sociales permet bien à long terme un gain en terme d’assiette.

Cette caractéristique est importante pour comprendre dans quelle mesure la TVA sociale, en remplaçant les cotisations sociales, peut être favorable, quoique modestement, à l'emploi. En première analyse, une baisse des cotisations entraîne une hausse de l’emploi, des salaires nets, et de l’offre agrégée, et une baisse du prix à la consommation. Une hausse de la TVA provoque quant à elle une hausse des prix à la consommation et réduit la demande agrégée, l’emploi et les salaires nets. Les conséquences d'un allégement de charges et de son financement tendent donc à s’opposer point par point… sauf si la baisse du taux de cotisations est supérieure à la hausse du taux de TVA permettant de la financer grâce à l’élargissement de l’assiette. On aurait alors, en économie fermée, une hausse de l’emploi, des salaires nominaux, et une baisse des prix à la consommation.

En économie ouverte, la mise en place de la « TVA sociale » a un parfum assumé de dévaluation compétitive. En particulier, les importateurs subissent de plein fouet la hausse de la TVA puisque leurs coûts de production restent, à la différence des producteurs nationaux, inchangés. Il s’ensuit que leurs prix devraient augmenter sur le marché intérieur, entraînant à la hausse  l’indice des prix à la consommation.

Les maquettes analytiques mobilisées par les experts concluent généralement à un effet positif sur l'emploi : une baisse des cotisations sociales de 0,5 point de PIB financée par la TVA conduirait à un horizon de 10 ans à une hausse de l'emploi de l'ordre de 150 000 emplois lorsque l'allègement concerne le travail non-qualifié ; la fourchette haute allant jusqu'à plus de 200 000 emplois. Dans le cas d'un allégement uniforme, l'impact sur l'emploi serait par contre beaucoup plus faible, entre 0 et 60 000 emplois. Il faut garder à l’esprit qu’il s’agit là de résultats de moyen-long terme : à court terme, l’effet dépend de la vitesse d’ajustement des prix et des salaires. Or le court terme n’est pas seulement l’horizon temporel des cycles électoraux. Il est de façon cruciale l’horizon des gains de compétitivité, qui disparaissent pour l’essentiel à long terme. Les politiques de dévaluation compétitive, qu’elles soient nominales ou fiscales, ont en effet comme point commun d’être éphémères.

Et ici, l’ampleur des gains de compétitivité tant annoncés n’est pas tant assurée, pour deux raisons : premièrement les entreprises étrangères peuvent ne pas subir passivement la taxation plus importante de leurs produits et ajuster leurs marges ; deuxièmement, les firmes nationales peuvent profiter à l’inverse de la réforme fiscale pour accroître leurs marges. Rappelons en effet que les firmes ne modifient pas instantanément leur prix ; l’ajustement n’est pas complet, même au bout d’un an. Par ailleurs, lorsque les entreprises sont en situation de concurrence monopolistique, leur taux de marge dépend étroitement de la sensibilité de la demande au prix à la consommation, qui varie d’un secteur à l’autre en fonction des structures de marché.
 
Plus généralement, cette dimension sectorielle du problème est centrale : au niveau sectoriel,  les gains en compétitivité dépendront de la progressivité retenue des allégements de charges. Une baisse de cotisations sociales avantage à court terme les secteurs qui utilisent relativement plus de travail que de capital. Et si les baisses de cotisations sont modulées selon les niveaux de salaires, les différences sectorielles s’accusent. Ainsi, une baisse des charges ciblée en faveur des peu qualifiés profitera davantage… aux secteurs abrités qu’aux secteurs exposés à la concurrence internationale, ce qui nous ramène à la question du gain de compétitivité.

Livrons-nous à un petit exercice illustratif, consistant en une baisse ciblée des cotisations. Nous portons le taux de cotisations patronales à 0% sur le SMIC et à faisons progresser ce taux avec le niveau de salaires jusqu’au seuil de 1,7 SMIC où il est maintenu à son niveau actuel de 45%. La baisse de coût que nous calculons est à très court terme, c’est-à-dire à structure productive et à salaires inchangés. Cette baisse ciblée réduirait ainsi 5 fois plus les coûts de production de l’hôtellerie-restauration que ceux de la construction aéronautique et spatiale. Les services aux particuliers seraient, parmi les secteurs abrités, les principaux bénéficiaires. Parmi les secteurs exposés, l’industrie du cuir et de la chaussure ainsi que le textile font exception du fait de la main-d’œuvre relativement peu qualifiée qu’ils emploient. Au total, on peut penser qu’une mesure de type « TVA sociale » ciblée sur les bas salaires améliorerait à court terme la compétitivité des secteurs intensifs en main-d’œuvre peu qualifiée, mais que les gains à attendre dans des secteurs plus intensifs en capital et en main-d’œuvre  qualifiée sont plus limités.

Au-delà des incertitudes qui tiennent aux modalités et au contexte dans lequel cette politique s'inscrirait, le dilemme est bien le suivant : favoriser la demande de travail non qualifié à long terme, ou renforcer la compétitivité des secteurs exposés à court terme. Cet arbitrage doit alors être mis en perspective avec le type de spécialisation acquis et souhaité pour la politique industrielle française. Dans les activités haut de gamme qui forment le cœur de la spécialisation européenne à l’exportation, il n’y a probablement pas beaucoup à attendre d’une substitution entre TVA et cotisations employeurs.