Les enjeux politiques du G20 edit

10 novembre 2010

Le G20 est né d’une idée canadienne lancée en 1999, qui n’avait guère attiré l’attention sur le moment. Il s’agissait de mettre en place un forum de consultations au niveau des ministres des Finances. À l’automne 2008, lorsque le président en exercice de l’UE, Nicolas Sarkozy, a voulu organiser un sommet mondial pour gérer la crise financière, le concept du G20 s’est imposé par défaut. Une discussion franco-canadienne au Sommet de la francophonie à Québec l’a alors remis en selle, et alors que George W. Bush et Nicolas Sarkozy discutaient d’un simple G8 élargi à la Chine, à l’Inde, et au Brésil, il s’est vite avéré que l’exclusion d’autres pays serait mal appréciée. Bush et Sarkozy ont donc choisi de lancer le premier grand sommet des chefs politiques du monde en novembre 2008 sous l’étiquette du G20.

Le G20 est le forum où se joue actuellement la bataille du rééquilibrage entre marchés et gouvernance politique. Le jeu est inégal, puisque les marchés sont déjà globalisés, alors que la gouvernance mondiale est fragmentée. Il se trouve à l’intersection de trois enjeux.

La crise mondiale de 2008 a fait apparaître des risques nouveaux et systémiques que personne n’avait su anticiper. Les chefs de gouvernement du G20 ont beau solliciter de multiples experts, les différentes solutions font encore débat et il est certain que chacune aura des conséquences indirectes non prévisibles. Ce premier enjeu, public, est centré sur la pérennité du système financier : stabiliser le système bancaire mondial, les flux de capitaux et les relations entre grandes devises.

Mais en même temps se joue un jeu plus large : l’établissement d’institutions permettant de mesurer et encadrer les flux économiques et garantissant une coopération durable entre les États. Il s’agit bel et bien de trouver le plus large cadre de gouvernance dans lequel les États ont la capacité de se retrouver régulièrement et rechercher des compromis. Il faut commencer par des solutions techniques. Mais ce qui compte plus est l’institutionnalisation d’un échange de coopération et de souveraineté, qui formera petit à petit une gouvernance politique capable de faire face aux marchés. La présidence française compte mettre en avant ce programme institutionnel systémique, avec en tête la constitution d’un nouveau système de Bretton Woods.

Enfin, il s’agit de gérer et d’accompagner la répartition inégale des gains de la mondialisation. Nous vivons actuellement une transition historique entre l’Ouest et l’Asie de l’Est, et en particulier entre les États-Unis hégémoniques (ainsi que l’Europe et le Japon) et la Chine (ainsi que l’Inde et le Brésil dans une moindre mesure). Une transformation de cette ampleur suscite des tensions et met aux prises des intérêts divergents. Cette divergence rend à la fois cruciale et difficile l’institutionnalisation d’un système de gouvernance. Le G20 est devenu le forum frontière où se joue l’intégration de la Chine, de l’Inde et du Brésil aux commandes du système économique mondial. Si le G20 échoue, les tensions entre pays grandiront et seront mises à nu.

Quelles sont les règles émergentes de ce grand jeu géopolitique ? Tous ne sont pas égaux au sein du G20. Depuis son origine, il a été dominé par trois acteurs principaux : les États-Unis, l’Europe, et la Chine. Les autres pays ont surtout joué un rôle de médiateur entre les trois grands du G3.

Dans cette triade, l’Union européenne reste fragile. D’un côté, depuis 2008, l’Europe (notamment par la France, l’Angleterre de Brown, l’Allemagne de Merkel, mais aussi la Commission) a poussé la frontière des concepts et elle a été parfois le premier joueur sur le thème de la régulation. Mais si l’Europe compte lorsque, comme au sommet de Londres, les trois grands pays parlent plus ou moins d’une seule voix, elle disparaît lorsqu'elle est divisée, comme ce fut le cas à Pittsburgh. Le G20 crée ainsi une forte pression unificatrice sur les pays européens.

Les coalitions sous-jacentes du G20 sont encore très fluides et peu formées. Elles varient selon les sommets et les domaines. Sur les régulations financières, on a vu une coalition entre l’Europe (y compris le Royaume-Uni de Gordon Brown), le Brésil, et dans une moindre mesure l’Inde. En face, une certaine opposition américaine et canadienne, soutenue en coulisses par le Japon et la Chine. Sur le sujet des monnaies internationales, on a vu un axe Chine-Russie-France-Allemagne mettant en question la dominance du dollar face aux États-Unis, au Canada, et tacitement au Japon et à la Corée. Parallèlement, un fort mouvement anti-renmenbi était en train d’émerger, associant Europe et États-Unis ; mais la visite du président chinois en Europe tend à rompre cet axe, avec la promesse faite aux Français d'un certain soutien à la France sur le thème des régulations financières.

Tout est encore possible, y compris de vastes échanges entre commerce et finance, voire climat, même si les élections de novembre et la perte du Congrès par les Démocrates réduisent la capacité de négociation des Américains. La tentation sera grande à Washington de bloquer le jeu du G20 s’il tourne au désavantage des États-Unis. Car il s’agit bel et bien d’instituer une gouvernance mondiale de l’économie mondiale post-américaine, avec un passage de l’hégémonie américaine à un système post-hégémonique.

La tension entre Chine et Japon (et Russie et Japon) autour des îles Diaoyutai/Senkaku et des Kouriles intensifie les contraintes du nouveau jeu. Sur certains sujets où la Chine et le Japon ont des intérêts similaires (ils sont les deux plus gros créanciers des États-Unis pour des montants presque égaux), ces deux pays sont incapables de coopérer. La voix asiatique se trouve ainsi affaiblie.

Le revirement anglais pourrait aussi réduire la voix pro-régulation européenne et le président français semble l’avoir compris. La capacité médiatrice de la France dépend fortement de la relation franco-anglaise (en plus de la relation de base franco-allemande), ainsi que des relations franco-chinoise et franco-américaine, qui restent fragiles. Pas de résultats possibles sans une gestion stratégique prioritaire de ces quatre axes principaux.

Qu’attendre du G20 de Séoul ? Dans le meilleur des cas, la Corée a bien préparé le jeu et travaille pour gérer la triade Chine/États-Unis/Europe sur la question des monnaies. Un bon défrichement a eu lieu avec les deux accords clés sur les régulations bancaires (Bâle) et sur les droits de vote au FMI (où l’Europe a accepté un repli stratégique de sa surreprésentation pour préserver une voix légitime). Si ces trois grands sujets mènent à des accords forts, Seoul formera un bon tremplin pour les dossiers suivants que la France souhaite ouvrir en 2011 : gestion plus systémique des flux financiers, institutionnalisation du G20 via un secrétariat fort, élimination progressive du G8, gouvernance plus forte sur les marchés des matières premières et sur le climat. Ce sont des sujets sur lesquels les États-Unis sont réservés et où seule une forte unité de travail avec l’Europe, la Chine (et peut-être l’Inde, le Brésil, la Russie) pourra porter des fruits.