Les prochains défauts de paiement de la Grèce edit

2 juin 2015

Il est peu probable que la Grèce et ses créditeurs parviennent à se mettre d’accord à temps pour éviter des défauts en série. Sans accord, personne ne prêtera à la Grèce l’argent dont elle a besoin pour rembourser des prêts précédents qui arrivent à maturité. Que se passera-t-il alors ? Il semble que tout dépendra des choix de la BCE. La littérature économique fournit deux enseignements utiles : les défauts sur des dettes publiques sont fréquents et banals ; historiquement, la Grèce est le pays qui a fait le plus de défauts. Ce qui est nouveau c’est que les défauts à venir se produiront au sein d’une union monétaire.

Il est essentiel d’observer qu’il n’y a pas de lien automatique entre un défaut et une sortie de l’union monétaire. Il existe de nombreux exemples de défauts au sein de l’union monétaire que constitue la zone dollar. Par exemple, le comté d’Orange en Californie (3 millions d’habitants dans la métropole de Los Angeles) a fait défaut en 1994, tout comme la ville de Detroit en 2013, et une sortie de la zone dollar n’a jamais été envisagée. Le problème, dans ces conditions est double. Premièrement, il est impossible de dévaluer le taux de change pour atténuer le choc. Deuxièmement, il n’y a pas de banque centrale autonome qui puisse fournir des liquidités au gouvernement et aux banques commerciales.

Une solution pour le gouvernement grec serait de quitter la zone euro mais, à court terme, les coûts risquent fort d’excéder les bénéfices. Un bon précédent est le défaut argentin en 2001. À cette époque, l’Argentine avait fixé rigidement son taux de change au dollar, qui était utilisé dans de nombreux contrats et pour une multitude de paiements. Au moins l’Argentine avait sa propre monnaie, ce qui rendait l’opération moins dramatique. L’abandon du lien entre le peso et le dollar avait cependant conduit à une brutale récession dans un contexte de crise bancaire et une profonde instabilité politique. A long terme, cependant, la dépréciation du peso de quelque 50% a permis à l’Argentine de retrouver une croissance économique rapide et durable. Ce sera aux autorités grecques de soupeser ces coûts à court terme et ces bénéfices à long terme. La conclusion est loin d’être évidente. En particulier, elle dépend de deux questions institutionnelles. La Grèce sera-t-elle alors capable d’instaurer par elle-même la discipline budgétaire, ce qu’elle n’a pas réussi à faire jusqu’à maintenant ? La zone euro saura-t-elle tirer les leçons d’un Grexit, et modifier ses politiques et son mode de gouvernance ?

À court terme, après un défaut, le gouvernement grec ne pourra plus rien emprunter, ni auprès du FMI et de l’Europe, ni auprès des marchés financiers. Il devra donc impérativement équilibrer son budget. Mais « équilibrer le budget » est un concept ambigu.

Cela peut signifier servir les intérêts sur la dette publique existante, ce qui requiert en fait un excédent budgétaire hors service de la dette. La Commission a prévu un déficit de 2,1% du PIB pour 2015, après un déficit de 3.5% en 2014. Comme les rentrées fiscales sont en chute libre depuis le début de l’année, atteindre l’équilibre constitue un défi majeur.

Une autre option est de ne plus servir les intérêts de la dette et donc d’atteindre l’équilibre sur le reste du budget, appelé budget primaire. Ce budget primaire était à peu près en équilibre en 2014 et la Commission table sur un surplus de plus de 3% en 2015. Même si la situation s’est détériorée depuis ces prévisions, l’équilibre primaire n’est par hors d’atteinte, mais à condition que le gouvernement ne tienne pas ses promesses électorales.

Un équilibre primaire permettrait à la Grèce de s’affranchir de pressions auxquelles elle est soumise de la part de la Troïka, mais cela signifie aussi qu’elle continuerait à faire défaut sur les prêts au fur et à mesure où ils arriveront à échéance. Des accords de restructuration passés ces derniers temps ont considérablement allongé la maturité des dettes existantes. Elle est en moyenne de l’ordre de 15 ans, avec une période de grâce de 10 ans sur une partie importante de la dette publique. Mais, même ainsi, les échéances qui tombent d’ici la fin de l’année atteignent une somme de quelque 20 milliards d’euros, soit 8,5% du PIB. De quelque manière que l’on retourne le problème, il n’y a pas d’issue sans un effacement significatif de la dette. C’est ce que demande le gouvernement grec et ce que refusent les autres pays européens, l’Allemagne en tête. C’est pour cela, sans doute, qu’un défaut est inéluctable.

Comment un tel défaut peut-il se dérouler dans la zone euro ? Dans une situation normale, un pays en défaut peut rester dans une union monétaire. Le gouvernement ne peut plus rien emprunter, mais le secteur privé peut le faire et donc l’économie peut continuer à fonctionner. Mais rien n’est normal dans ce cas. En particulier, l’idée qu’un défaut entraîne une sortie de la zone euro est une prophétie auto-réalisatrice. Si les citoyens grecs pensent que c’est bien le cas, ils ne voudront pas garder de l’argent en banque, prévoyant que leurs dépôts en euros seront automatiquement transformés en dépôts en drachmes. En fait, ils ont déjà retiré près de la moitié de leurs dépôts. Un défaut conduirait à des retraits massifs, ce qui conduirait à un effondrement du système bancaire. La marche à suivre en cas de panique bancaire est bien connue : une limitation des retraits bancaires, sans doute assortie de contrôles de capitaux ; une intervention urgente des autorités pour stabiliser les banques : des prêts aux banques solvables et la nationalisation des banques insolvables. Dans une telle situation, la distinction entre banques solvables et banques insolvables est plus du domaine de la poésie que de celui de la science.

Mais la vraie question est : qui sont « les autorités » ? En principe, le gouvernement et la banque centrale. Comme le gouvernement est en défaut, il ne peut conduire une telle opération sans prêts, ce qui est exclu. Il ne reste plus que la banque centrale, qui doit tout prendre en charge. C’est pour cela que toute banque centrale est considérée comme un prêteur en dernier ressort. Toute la question est donc de savoir si la BCE acceptera de jouer ce rôle.

Depuis le début de la panique bancaire au ralenti, la BCE a oscillé. Elle dispose d’un instrument, ELA (Emergency Liquidity Assistance, soit assistance d’urgence en liquidités). Elle prête aux banques en échange de collatéral des sommes soumises à un plafond global qu’elle revoit chaque semaine. Depuis l’arrivée au pouvoir de Syriza, elle a soufflé alternativement le chaud et le froid, relevant parfois ce plafond et parfois refusant de le relever. Elle a considérablement élargi la liste des effets qu’elle accepte en collatéral mais, de fait, l’essentiel ce que peuvent offrir les banques grecques est constitué de bons du Trésor du gouvernement grec. En cas de défaut avéré, la BCE pourrait être tenue de refuser ces bons. À ce moment-là, ELA ne sera plus disponible et la Grèce n’aura plus d’autre choix que de sortir de la zone euro pour créer sa propre monnaie et redonner vie à son système bancaire.

Pour éviter un Grexit, on le voit bien, il faut briser le cercle vicieux qui transforme un défaut en sortie de la zone euro. Ce cercle vicieux comporte trois étapes.

La première étape est le défaut lui-même. La solution est une remise substantielle de la dette publique qui est essentiellement due aux pays européens et au FMI. Cela suffirait à briser le cercle vicieux.

La seconde étape est la déclaration officielle d’un défaut en cas de non-paiement d’une ou plusieurs échéances. S’ils le veulent, les créditeurs publics peuvent traiter ces non-paiements comme un délai accordé aux autorités grecques.

La troisième et dernière étape est l’effondrement des banques grecques. La BCE peut annoncer qu’elle acceptera de remplir son rôle de prêteur en dernier ressort en adaptant son instrument ELA en conséquence.

Pour être efficaces, ces mesures doivent être annoncées à l’avance, soit maintenant. On n’en est pas là. La Grèce et la Troïka continuent à fonctionner dans un esprit de négociation. Il s’agit de mettre l’autre partie sous pression maximale pour extraire des concessions. Le gouvernement grec considère qu’il a reçu un mandat démocratique pour ne plus respecter les conditions acceptées par son prédécesseur. Les Européens estiment qu’ils « ont en fait assez pour la Grèce ».

Or les Européens n’ont pas fait de cadeau à la Grèce. Ils ont octroyé, sous des conditions très dures, des prêts, initialement à des taux punitifs qu’ils ont bien dû revoir à la baisse. L’ironie de la situation est qu’un défaut transformera ces prêts en cadeaux de fait. Les gouvernements européens ne veulent rien faire qui rende un défaut confortable. Comme un défaut représentera un coût pour leurs électeurs, le blocage politique est total. Il ne reste plus que la BCE, qui n’est pas élue, mais qui ne peut pas vraiment aller à l’encontre des gouvernements. Sauf que son rôle primordial est de préserver l’intégrité de la zone euro.

(Une première version de cetr article est parue en anglais sur le site de notre partenaire VoxEU.)