Energie : vers l'Europe des projets ? edit

21 mars 2007

20% d'énergies renouvelables dans l'approvisionnement énergétique de l'Union, avec une amélioration de 20% de l'efficacité énergétique, afin de ramener les émissions de gaz à effet de serre 20% en dessous de leur niveau de 1990 en 2020, tels sont les termes de l'accord concluant le Conseil européen du 9 mars. Et si cet accord était le premier pas vers l'Europe des projets ?

Il y avait jusqu'au 9 mars trois principaux jeux d'objectifs quantitatifs pour l'énergie et le climat. Le plus connu est le Protocole de Kyoto. Datant de 1997, cet accord portait sur la période 2008-2012 et imposait à l'Europe une réduction des émissions de 8% en moyenne sur cette période par rapport à 1990 (contre 7% pour les Etats-Unis, 6% pour le Japon). L'Europe avait elle-même décidé d'effectuer une différenciation des objectifs nationaux, à l'intérieur de l'enveloppe globale. C'est ainsi que dans l'accord dit du burden sharing européen (partage du fardeau) l'Allemagne avait accepté de devoir réduire ses émissions de 21% à l'horizon 2010, alors que la France pouvait se contenter de stabiliser les siennes au niveau de 1990.

Mais les objectifs de Kyoto furent ultérieurement complétés, d'abord par la Directive électricité renouvelable, puis par la Directive biocarburants. Au titre de la première, un objectif européen contraignant de 22% d'énergies renouvelables dans la production électrique de 2010 était décliné entre les différents pays : dans ce contexte l'Allemagne devait passer de 4,5% d'électricité renouvelable en 1997 à 12,5% en 2010, la France de 15% (pour la quasi-totalité de la grande hydraulique dont l'essentiel du potentiel est équipé) à 21%. Les rappels à l'ordre de la Commission et les menaces de sanctions, récemment réitérées pour le retard français dans ce domaine, ont témoigné du caractère effectivement contraignant du dispositif.

La Directive biocarburants imposait quant à elle une valeur unique de 5,75% de biocarburants dans la consommation, en 2010. Dans ce domaine au contraire, la France serait plutôt en avance et atteindrait l'objectif dès 2008. Il faut enfin rappeler que ces mesures étaient complétées par la mise en œuvre de certificats d'économie d'énergie et par le système d'échange de quotas d'émissions européen (ETS, pour Emission Trading System), qui concerne la grande industrie et le secteur électrique. Ce marché des quotas a permis d'anticiper en 2005-2007 le Protocole de Kyoto pour ces secteurs et s'est poursuivi par la mise en place, difficile, de la deuxième vague de Plans nationaux d'allocation des quotas pour la véritable période Kyoto, 2008-2012.

L'accord du 9 mars offre la nécessaire projection à l'horizon 2020 de ce système d'objectifs quantitatifs. A nouveau l'élément central est constitué par l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Contrainte d'adopter une démarche unilatérale depuis le retrait américain du Protocole de Kyoto, la Commission proposait dans sa communication du 10 janvier : premièrement d'adopter pour objectif climatique la limitation à moins de 2°C de l'augmentation de température moyenne ; deuxièmement de réduire ses propres émissions de 20% en 2020 par rapport à 1990 si elle devait s'engager seule dans cette voie, mais de 30% si un accord international pouvait être établi. Le Conseil du 9 mars a entériné cet engagement conditionnel, donnant ainsi la trajectoire d'émissions pour le moyen et long terme. Dans l'attente des négociations à venir, cet engagement n'a pas encore de dimension internationale contraignante. De même l'amélioration de l'efficacité énergétique de 20% en 2020 demeure un objectif, certes exprimé en chiffres, mais plus difficilement mesurable et pour l'instant non contraignant.

En revanche, l'objectif d'amener les énergies renouvelables à 20% est, lui, contraignant. Cela a été, à juste titre, considéré comme un résultat majeur par les ONG environnementales et les promoteurs des énergies renouvelables. C'est, de fait, un objectif très ambitieux car il est mesuré par rapport à l'ensemble de la consommation d'énergie et non plus sur la seule consommation d'électricité, qui constitue un marché propice à la diffusion des énergies renouvelables. La décision du Conseil impose donc un développement généralisé des énergies renouvelables – éolien, solaire, biomasse –, dans tous les secteurs – industrie, bâtiment, transports. Mais elle ne dit rien sur la future répartition des objectifs entre les pays. Or cette répartition signifiera aussi une répartition des coûts, et ceux-ci peuvent être élevés, s'il advient que certains des potentiels d'énergies renouvelables commencent à être saturés. C'est ce qui a justifié les réticences de la France et des nouveaux pays membres, jusqu'au dernier moment. C'est aussi ce qui va déclencher d'intenses négociations dans les prochains mois autour de la répartition nationale des objectifs.

Le bilan à tirer des décisions du dernier Conseil européen est, bien sûr, globalement positif. D'abord parce que les trajectoires indiquées par les différents objectifs quantifiés sont certes ambitieuses, mais bien conformes à la politique de l'Europe en matière de lutte contre le changement climatique : en particulier il s'agit de réduire d'un « Facteur 4 » les émissions en 2050. Mais cet accord est aussi bienvenu car, après l'échec au début des années 1990 de la « taxe carbone européenne » – que les Allemands auraient voulue énergie-carbone et les Français seulement carbone, au nom du nucléaire –, il constitue un signe très positif pour la politique européenne, dans un domaine sensible. Il y a eu finalement volonté de coopération du côté français, qui a accepté que l'objectif pour les énergies renouvelables soit contraignant et que le nucléaire ne soit pas traité comme les énergies renouvelables.

Mais c'est là aussi qu'apparaît l'inconnue majeure de l'équation énergétique européenne : s'il est incontestable que le nucléaire n'est pas renouvelable, il reste très peu émetteur de gaz à effet de serre. Il constitue de ce fait, avec les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique, un élément central des stratégies de lutte contre le changement climatique. Plus tôt cela pourra être reconnu par un grand nombre de pays, plus les fondements du futur système énergétique européen seront solides, afin d'affronter le double risque du changement climatique et de la dépendance énergétique. En 2020 et au delà, il sera en effet de plus en plus difficile de poursuivre les trajectoires Facteur 4 sans entreprendre une relance raisonnée de l'énergie nucléaire en Europe.