Faut-il instaurer une taxe carbone ? edit

3 juillet 2009

La taxe carbone consiste à imposer l’usage de combustibles fossiles à la hauteur de leur teneur en carbone pour combattre le changement climatique. Après avoir été abandonnée au début des années 1990, cette idée refait surface en Europe. A-t-elle une chance de voir le jour sous une forme efficace ? Pour répondre à cette question, il faut se demander comment elle pourra s’articuler aux systèmes de permis d’émission qui se développent aujourd’hui. Des systèmes hybrides, permis et taxes, sont théoriquement possibles, mais s’avèrent peu convaincants dans un contexte où certains agents économiques tenteront à toute force de négocier des exemptions.

Notons d’emblée qu’il n’y a aujourd’hui aucune chance raisonnable de voir instaurée une taxe carbone généralisée au niveau international. La Commission européenne perdrait toute crédibilité en abolissant le système européen d'échange de quotas d'émissions (ETS). Aux États-Unis, la Chambre des représentants américaine vient d’adopter la loi Waxman-Markey qui prévoit également un marché de permis d’émissions. La Commission européenne vise à coordonner l’ETS avec le nouveau système américain.

Pourquoi alors reparle-t-on de la taxe carbone en Europe ? Cette idée a été lancée par la Suède qui entend en faire une des initiatives principales de sa présidence de l’Union européenne. Il s’agirait selon toute vraisemblance d’encourager des mesures nationales de taxation, ce que le protocole de Kyoto autorise, et d’en assurer une certaine coordination au niveau européen. Par la voix du président Sarkozy au congrès de Versailles, la France s’est déclarée fortement intéressée et prévoit l’introduction d’une telle mesure en 2011. Mais il y a fort à parier en revanche que la Grande-Bretagne ne va pas suivre puisqu’elle a déjà choisi d’introduire un marché national de permis d’émission, ce qui va empêcher toute initiative centralisée au niveau européen.

Ainsi, bien que les contours d’une telle taxe soient encore assez flous aussi bien dans ses détails (qu’est-ce qui va être exactement taxé) que dans son ampleur (montant), on peut néanmoins affirmer qu’elle devra coexister avec les systèmes d’échanges ETS. On aura ainsi en Europe un système hybride de taxations et de permis. Le gouvernement français prévoit ainsi d’imposer tous les secteurs dits diffus c’est-à-dire l’ensemble des petits et moyens consommateurs qui ne sont pas couverts par le système ETS, soit environ 60% de l’ensemble. Cela peut-il fonctionner ?

En théorie un système hybride peut se révéler aussi efficace qu’un régime fondé sur un seul instrument, à condition que tous les secteurs soient touchés de la même manière, c’est-à-dire qu’ils soient tous taxés et soumis à un marché de permis négociables. En effet, comme un système de permis commence par une restriction quantitative ou un quota sur un polluant, cette limitation est équivalente à une taxe mise en place à un moment donné et qui empêche les utilisateurs de consommer la source du polluant, ici les combustibles fossiles au delà d’une certaine limite. Il est donc légitime de mettre en place un système dans lequel on commence par taxer le polluant de manieère progressive et en fonction de sa production, pour ensuite en arrêter complètement l’usage au moment où la limite quantitative est atteinte et un marché de permis est organisé.

Si tous les secteurs ne sont pas soumis à ce système et que certains payent la taxe alors que d’autres sont soumis au quota puis au permis négociables, nous pouvons avoir deux possibilités.  Soit la progressivité de la taxe est maintenue et certains secteurs payeront au delà du quota, ce qui va nuire à leur compétitivité par rapport à ceux qui sont soumis au régime des permis. Soit les autorités fixent les taxes à un niveau qui ne permet jamais d’atteindre l’équivalent du quota et ce sont alors les secteurs soumis aux permis qui sont prétérités. Ces problèmes se compliquent encore davantage si tous les pays européens n’appliquent pas les mêmes principes de taxation, ce qui est probable, et créent de ce fait des distorsions considérables dans leurs échanges.

Or dans les projets d’imposition du carbone, les grands producteurs ou les grands consommateurs d’énergie ne seront pas imposés. Au contraire, ces agents économiques se verront éventuellement attribuer une rente qui dérive de la raréfaction des combustibles fossiles imposée par un système de permis. Pour que la rente soit réalisée il faudrait que les grands groupes puissent répercuter les effets de l’opération sur les consommateurs finaux et ainsi renchérir l’utilisation de combustibles fossiles afin d’en faire diminuer l’usage. Ils bénéficieraient ainsi de droits qu’ils pourraient revendre sans avoir besoin de se les procurer eux-mêmes à un prix trop élevé puisque le système ETS leur permettrait de les acquérir soit gratuitement soit à des conditions favorables. On peut facilement voir que si ce renchérissement touche effectivement les consommateurs et que ceux-ci sont soumis à l’imposition carbone, ils risquent de payer deux fois la même rente, une fois aux secteurs qui bénéficient du système ETS et une autre fois à l’Etat à travers la taxe! Les gagnants seront donc les grands groupes industriels non taxés et bénéficiant de la rente, et l’État qui encaisse la taxe et vend les allocations initiales de permis aux grandes industries. Les perdants sont les petits et moyens consommateurs qui seraient alors surtaxés.

Il est cependant douteux que l’on en arrive là puisque les gouvernements européens et le gouvernement français en particulier ont l’habitude de céder à des groupes de pression bien organisés tels que les pêcheurs et les camionneurs, les agriculteurs n’étant pas loin derrière. On aura ainsi affaire dans le secteur soi-disant diffus à deux groupes, l’un soumis à la taxe et l’autre jouissant d’une situation pratiquement détaxée et probablement aussi de prix réglementés qui empêchent le prélèvement de la rente de rareté des combustibles fossiles. Il est alors fort probable que la consommation de combustible du groupe détaxé augmente considérablement puisqu’il ne sera pratiquement pas freiné. Par exemple, en ce qui concerne la pêche on fait face au paradoxe que moins il y a de poissons suite à la surpêche, plus les opérateurs utilisent du fuel pour en trouver quand même.

En dernière analyse, on peut donc s’attendre à une application très sélective de la taxe, en fonction de la puissance des groupes de pression. Le consommateur moyen, non membre d’une organisation importante, risque d’en faire les frais. En d’autres termes, l’effet d’une telle taxe sera probablement minime à cause des exemptions qui pousseront à la consommation et favorisera les grands groupes et les lobbies les plus puissants. Pourquoi ne pas loger tout le monde à la même enseigne ?