Revenu de base universel: une percée sans lendemain? edit

24 septembre 2021

Au moment de la pandémie de coronavirus, l’idée de revenu de base universel a connu un regain d’intérêt. De nombreux experts et décideurs politiques l’ont vue comme une solution qui pourrait non seulement atténuer efficacement la crise économique actuelle, mais aussi offrir une nouvelle forme de sécurité sociale dans le monde de l’emploi précaire. Pourtant, les attitudes du public envers le revenu de base restent polarisées, notamment en ce qui concerne son équité et son impact sur le marché du travail. Ce manque de légitimité sociale reste un obstacle crucial pour ceux qui prônent l’introduction du revenu de base.

L’idée du revenu de base universel a récemment fait une percée dans l’agenda politique mondial. Des candidats politiques de premier plan, comme le Sud-Coréen Lee Jae-myung et l’Américain Andrew Yang, en ont fait le principal point de leurs campagnes lors des primaires de leur parti. Ils ont tous deux affirmé que, face aux disparités croissantes de revenus, à la pauvreté grandissante et aux performances économiques fragiles, le RBI stabiliserait la demande des consommateurs, rendant ainsi le capitalisme plus durable à long terme. Cette attente est présente dans la littérature économique qui traite l’UBI comme un élément de politique économique (Hall et al., 2019).

La pandémie a donné de nouveaux arguments aux promoteurs du concept. En mars 2020, alors que les gouvernements tentaient de toute urgence à la fois de sécuriser les revenus des individus et de prévenir un effondrement de la demande globale, le RBI semblait être une solution parfaite. Les États-Unis, le Canada, l’Espagne et le Japon ont introduit des distributions d’urgence d’argent liquide qui ressemblaient à de nombreux égards au RBI. De plus, dans une logique de politique budgétaire expansionniste, alors que les dettes des gouvernements montaient en flèche et que les principales institutions économiques mondiales appelaient à mettre de côté les règles de la dette, l’idée du revenu de base semblait gérable en termes de financement, comme le pointait une étude du Fonds monétaire international.

Il semble toutefois que la reconnaissance croissante du fait que le revenu de base pourrait potentiellement se substituer à des systèmes d’État-providence vus comme inefficaces soit sapée par un soutien public étonnamment faible pour cette solution. À première vue, les données de l’enquête sociale européenne menée en 2016 ont confirmé que, en moyenne, 54% des citoyens européens approuvaient la solution (Parolin & Siöland, 2020). Cependant, une étude récente menée en Pologne concernant les attitudes du public à l’égard du revenu de base (PEI, 2020) suggère que ces chiffres pourraient être trompeurs.

Le premier enseignement majeur de l’étude révèle que seule une petite partie des citoyens polonais (13%) avait déjà entendu parler du RBI. Dans le même temps, une part importante des citoyens (30%) surestiment leur connaissance de la solution, affirmant avoir déjà entendu parler de l’UBI alors que ce n’est pas le cas. Les 57% restants ont ouvertement admis qu’ils n’en avaient jamais entendu parler auparavant. Il semble donc que la solution soit largement inconnue du public et que le débat en cours sur l’UBI soit largement confiné aux experts, aux universitaires et aux décideurs politiques. L’enquête a été menée en Pologne, mais on peut s’attendre à ce que le concept de revenu de base ne soit pas non plus très connu dans les autres pays.

La deuxième conclusion majeure qui découle de l’étude met en évidence le fait que le soutien au revenu de base fond de manière significative lorsque des schémas de financement spécifiques sont envisagés. D’une manière générale, 51% des personnes interrogées ont déclaré soutenir le programme lorsqu’aucune option financière spécifique n’était évoquée. Toutefois, ce niveau général de soutien tomberait à 30% (soit une baisse de 21 points) si le programme devait être financé par des augmentations d’impôts prélevés sur les revenus des entreprises et des particuliers. Le soutien au programme chuterait encore plus si deux autres options de financement étaient envisagées, de 23 points s’il devait être financé par la suppression ou la restriction d’autres services ou prestations sociales et de 27 points s’il devait être financé par une augmentation des niveaux de la dette publique.

Il semble donc que le soutien de l’opinion publique à l’UBI soit beaucoup plus faible que ne le suggèrent les enquêtes d’opinion générales. Cet aspect est souvent ignoré dans le débat actuel qui ne prend en compte que le niveau général de soutien à l’UBI. Le référendum suisse (Library of Congress, 2016) plaide en faveur de cet argument. Alors que 34,7% des Suisses soutenaient l’idée générale du revenu de base dans l’enquête sociale européenne de 2016, seuls 23,1% des citoyens ont voté pour le RBI lors du référendum fédéral qui a eu lieu la même année. Cette divergence peut s’expliquer par le fait que l’initiative référendaire indiquait clairement que le programme serait financé principalement par une nouvelle forme d’impôt prélevé sur les citoyens et la réaffectation de certains transferts de sécurité sociale.

Qu’est-ce qui motive le soutien au revenu de base?

Le soutien des citoyens au revenu de base ne doit donc pas être considéré comme acquis. Dans ces conditions, il convient d’accorder plus d’attention aux facteurs déterminant le soutien du public à cette solution. Il s’avère que le soutien au RBI est largement lié à l’exposition individuelle au risque. Les partisans les plus fréquents de l’instauration d’un revenu de base sont les personnes dont le niveau d’éducation est le plus bas, celles qui n’ont pas de sources de revenus permanentes, comme les personnes au foyer et les chômeurs, ainsi que celles qui ont un emploi précaire. Les retraités en revanche sont les moins susceptibles d’approuver la solution, puisque seuls 44 % d’entre eux ont déclaré un soutien initial à la solution, obtenant ainsi un score bien inférieur à celui des autres groupes socio-économiques. Bien que le faible niveau de soutien au revenu de base parmi la population retraitée doive être corroboré par d’autres recherches, il donne un aperçu important des déterminants potentiels du soutien au RBI. Cette constatation pourrait résulter du fait que, bien que les pensions en Pologne soient relativement faibles (49 % du salaire moyen), elles sont en quelque sorte garanties par l’État. Les retraités, dont le revenu est déjà garanti, sont méfiants envers une solution qui pourrait potentiellement remplacer les systèmes actuels.

Ces données conduisent à des conclusions quelque peu contradictoires. D’une part, on pourrait s’attendre à ce que le soutien du public à l’égard du RBI soit affecté par la performance économique globale et la polarisation du marché du travail. En accord avec cet argument, nous pourrions supposer que les tensions économiques croissantes mèneront à l’expansion des attitudes favorables à l’égard du RBI. D’autre part, le faible niveau de soutien au RBI parmi la population retraitée et le processus général de vieillissement de l’électorat réduisent les chances d’obtenir un large soutien au revenu de base.

Un autre facteur déterminant le soutien du public au RBI est lié aux orientations en matière de justice. Liebig, Hülle et May (2016) distinguent trois principes fondamentaux de justice sociale. Selon le principe du « besoin », le système de protection sociale doit se concentrer sur les personnes démunies, en protégeant les individus incapables de satisfaire eux-mêmes leurs besoins fondamentaux. Le deuxième principe, faisant référence à l’« équité », veut que les prestations soient attribuées en fonction des efforts des individus, comme leurs contributions au système. Il semble qu’aux yeux des citoyens ces deux principes puissent être violés par le concept de l’UBI. Conformément aux grandes lignes d’un régime de revenu de base, des transferts inconditionnels en espèces seraient fournis aux citoyens indépendamment des besoins des bénéficiaires (comme la pauvreté, le handicap) ou de leurs efforts individuels (tels que leur statut sur le marché du travail et leurs contributions sociales). L’enquête menée en Pologne corrobore cette hypothèse. Le soutien au RBI est le plus faible parmi ceux qui adhèrent au principe d’« équité » (42%), qui souligne le lien entre les contributions des individus et l’aide reçue. Le niveau de soutien le plus élevé se trouve parmi ceux qui attachent plus d’importance au principe d’égalité (72%), c’est-à-dire que tous les individus devraient recevoir le même montant d’aide indépendamment de leurs contributions ou de leurs besoins.

Références

Hall, R. P., Ashford, R., Ashford, N. A., & Arango-Quiroga, J. (2019). Universal basic income and inclusive capitalism: consequences for sustainability. Sustainability11(16), 4481.

International Monetary Fund. (2020). Autumn Fiscal Monitor.

Library of Congres (2016). Switzerland: Voters Reject Unconditional Basic Income.

Liebig, S., Hülle, S., & May, M. (2016). Principles of the Just Distribution of Benefits and Burdens: The ‘Basic Social Justice Orientations’ Scale for Measuring Order-Related Social Justice Attitudes.

Parolin, Z., & Siöland, L. (2020). Support for a universal basic income: A demand–capacity paradox?. Journal of European Social Policy30(1), 5–19.

Polish Economic Instiute (PEI) (2020). Universal Basic Income. A new idea for the welfare state?