Président des riches? edit

14 juin 2018

L’affaire est entendue : Emmanuel Macron serait bien le président des riches. Et ce qui était stigmatisation de la part de la France insoumise a fini par s’installer dans le débat public comme une évidence relayée quotidiennement par la presse, confirmée par les tropismes de Bercy et le discours de certains marcheurs, validée par l’OFCE après l’adoption de la réforme de la taxation du capital et consacrée par les travaux du Cevipof qui montrent un déplacement vers la droite du positionnement du président perçu par l’opinion publique. Pour que le forfait soit définitivement signé, il manquait encore la parole de fidèles qui instruisent aujourd’hui le procès en dérive droitière.

Dans une note récente publiée par le Monde, trois économistes font valoir que la stratégie présidentielle souffrirait d’un manque de clarté. En particulier, par des mesures fiscales favorables aux plus riches, elle n’afficherait pas assez sa cohérence avec l’objectif social d’une plus grande mobilité sociale et d’une « égalité des possibles pour tous ». Et cette note avance alors un ensemble de propositions de réformes très spécifiques visant à combler cette lacune, allant de la suppression des grands corps à la modulation de la durée de l’indemnisation chômage selon la situation conjoncturelle, au maintien de la taxe d’habitation (TH) sur les 20% des ménages les plus aisés, à une progressivité de la taxe foncière (TF) et à un alourdissement des droits de succession sur les très gros héritages…

Cette note, qui n’était pas destinée à être publiée, mêle le diagnostic désenchanté et les propositions de redressement, l’indignation morale et les prescriptions de politique publique, la critique d’une communication gouvernementale confisquée par la droite du Gouvernement et la dénonciation d’une stratégie politique d’ouverture à droite dans la perspective des prochaines élections. Si bien qu’à la lecture on ne sait plus si nos experts approuvent toujours la stratégie d’ensemble mais déplorent les retards et les râtés de communication ou si leurs objections sont plus fondamentales.

La réforme du marché du travail portée par les ordonnances du 22 septembre est curieusement absente du diagnostic. Mais plus globalement, à nos yeux cette note passe à côté de l’essentiel. Oui, la stratégie doit être éclaircie. Elle doit s’afficher clairement comme une politique d’offre, dont le renforcement de la mobilité sociale est une dimension sociale forte. Car comme nous l’avons montré dans notre ouvrage Changer de modèle (de Philippe Aghion, Gilbert Cette et Elie Cohen, éd. Odile Jacob, 2014), c’est de problèmes d’offre dont souffre essentiellement la France, qui se traduisent par une insuffisante compétitivité et un déficit de nos échanges extérieurs. C’est par une telle politique d’offre que la croissance et l’emploi pourront connaître une accélération qui permettra une sortie du chômage de masse. La réforme fiscale adoptée dans la loi de finances, qui rend forfaitaire l’impôt sur les revenus du capital, abaisse le taux d’IS et concentre l’assiette de l’ISF sur la richesse immobilière, contribue à cette politique d’offre et ne fait que rapprocher la fiscalité en France de celle des autres pays de l’OCDE, parmi lesquels les pays nordiques et scandinaves souvent donnés en exemple comme peu inégalitaires et inclusifs. Simultanément, la réforme de l’Etat est essentielle pour contribuer à la baisse de la dépense et des prélèvements publics, dont les niveaux (exprimés en pourcentage du PIB) sont, au sein des pays de l’OCDE, parmi les plus (sinon les plus) élevés.

Dans cet esprit, la réforme de la taxe d’habitation ne nous paraît pas un bon choix. Son coût annuel correspond à trois fois le budget du CNRS. La réforme indispensable de la taxe d’habitation comme celle de la taxe foncière sont celle des valeurs cadastrales. Mais plutôt que de faire disparaitre la taxe d’habitation pour 80% ou la totalité des contribuables, il aurait été préférable, à nos yeux, de mobiliser cette marge de manoeuvre pour tout à la fois augmenter les dépenses de recherche et d’enseignement supérieur, et pour contribuer au désendettement public.

La France est un pays spontanément inégalitaire. Les évaluations de l’OCDE indiquent que, avant transferts et taxes, le coefficient de Gini sur les revenus y est comparable à celui observé aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, et bien supérieur à celui des pays nordiques et scandinaves. La puissante intervention de la fiscalité, sous la forme des impôts et transferts, y fait descendre le coefficient de Gini nettement au-dessous de celui des pays anglo-saxons. Il n’est pas souhaitable à nos yeux d’augmenter encore par les impôts et transferts la redistribution déjà très élevée, comparée aux autres pays. Dans cet esprit, la concentration de la taxe d’habitation sur les plus riches, même si elle est écartée pour des raisons constitutionnelles, ne se justifie pas plus qu’une progressivité de la taxe foncière. Essentiellement, ce sont les créations d’emploi induites par une politique d’offre résolue qui permettront une baisse des inégalités de revenus, et donc du coefficient de Gini concernant la répartition des revenus avant impôts et transferts.

L’autre inégalité inacceptable d’une faible mobilité sociale doit être combattue avec la plus grande détermination. La suppression des grands corps peut y contribuer, mais le volet essentiel en sera la réforme radicale de l’enseignement et de la formation. La modulation de l’indemnisation chômage selon la situation conjoncturelle nous semble quant à elle une fausse bonne idée : l’objectif recherché devrait être plus efficacement atteint par l’instauration actuellement prévue de sanctions en cas de refus d’offres valables d’emploi et de recherche insuffisante d’emploi. L’alourdissement des droits de succession sur les très gros héritages comme la disparition des grands corps nous semblent plus souhaitable.

Le président l’a affirmé d’emblée : sa politique se résume dans le triptyque Libérer, Protéger, Promouvoir. Son objectif majeur est de faire reculer le chômage structurel, améliorer l’attractivité du pays et équiper les individus pour affronter les défis de la mondialisation et de la numérisation. En même temps, il met en œuvre une politique sociale ciblée, par la hausse des minima sociaux, la baisse des charges sociales et avec le plan pauvreté à venir.

Oui, la stratégie doit être éclaircie. La politique d’offre sera le plus fort levier de réduction des inégalités et l’augmentation de la mobilité sociale appelle la réforme de l’enseignement. Des onze candidats à l’élection présidentielle, Emmanuel Macron était celui dont le programme se rapprochait le plus, et de beaucoup, de ces orientations. Son échec verrait le triomphe des populistes. Si les doutes expriment une impatience et une invitation au débat au moment où on annonce des coupes mal venues dans tel ou tel dispositif de retour à l’emploi ou autre politique sociale, écoutons-les. Sans pour autant remettre en cause l’orientation globale qui nous paraît la seule à la fois européenne, progressiste et soutenable.