Leçons d’une élection (II) edit

18 mai 2012

L’élection de 2012 a confirmé que l’élection présidentielle demeurait plus que jamais l’élection phare en France. Ce qui ne veut pas dire qu’elle soit absolument décisive puisque dans notre régime largement parlementaire, le président ne peut être le véritable chef de l’exécutif que s’il dispose d’une majorité à l’Assemblée nationale. Mais cette élection demeure pour les Français la consultation majeure. Ils l’ont montré par leur forte participation aux deux tours d’élection et notamment au second où plus de 80% des électeurs ont voté. Ce pourcentage est inférieur à celui de 2007, exceptionnellement élevé, mais dépasse légèrement ceux de 2002 et 1995, attestant que si crise de la représentation il y a, celle-ci épargne cette consultation. En outre, jamais la médiatisation de cette élection n’a été si importante, avec le développement des chaînes d’info et des réseaux sociaux et jamais les sondages d’opinion n’ont été aussi nombreux. De plus, avec l’innovation constituée par la primaire socialiste, jamais la campagne n’a été aussi longue. Faut-il en conclure que la présidentialisation du régime va se poursuivre ?

Certains éléments pourraient inciter à répondre par la négative à cette question. En effet le nouveau président socialiste a affirmé à plusieurs reprises qu’après l’hyper-présidence de son prédécesseur, il reviendrait à la conception de la gauche des institutions, à une présidence « normale ». Son Premier ministre ne serait pas son collaborateur mais le véritable chef du gouvernement, comme l’indique la Constitution, et le chef de la majorité, lui se réservant les grandes options. La pratique de la Constitution serait ainsi profondément modifiée. Mais peut-il vraiment en être ainsi ? Certes, dans la forme, comme certains de ses prédécesseurs, le nouveau président pourrait préférer se mettre un peu en retrait, laissant plus de marge de manœuvre et de visibilité au Premier ministre, n’apparaissant pas s’occuper de tout et tout le temps. Mais un tel changement, pour souhaitable et probable qu’il soit, changerait-il vraiment la présidentialisation du régime hors un éventuel retour à la cohabitation ? Rien n’est moins sûr. Si l’on compare l’attitude et l’action de François Hollande dans la campagne présidentielle puis depuis son élection avec celles de son illustre prédécesseur socialiste, François Mitterrand, les ressemblances l’emportent fortement sur les différences.

D’abord, les changements institutionnels intervenus en 2000 et 2001 ont marqué un tournant interdisant tout retour en arrière. Le quinquennat présidentiel et la tenue des élections législatives dans la foulée de l’élection présidentielle constituent un cadre institutionnel qui ne peut que renforcer la présidentialisation ou au moins la poursuivre. Le candidat socialiste a clairement affirmé avant l’élection de 2012 que seules ses propositions et non celles de son parti constitueraient la feuille de route de son gouvernement et il a fait de l’acceptation de ces propositions la base de toute alliance gouvernementale. Dans une logique présidentielle et non parlementaire le Premier ministre est donc d’abord le principal exécutant de la politique présidentielle et non l’auteur du programme gouvernemental. Sa nomination par le président, avant les élections législatives, est donc disjointe de celles-ci. Certes, une défaite législative de la gauche entraînerait une cohabitation mais, dans le cas d’une victoire, le Premier ministre précède donc la formation de sa majorité. La notion de majorité présidentielle, dans ce cas, continue de marquer la primauté du président.

En outre, le nouveau président a nommé un Premier ministre qui, par sa complicité à la fois politique et personnelle avec lui et son acceptation claire de la primauté présidentielle, atteste que, dans la continuité du fonctionnement du régime, celui-ci, s’il n’est pas le « collaborateur » du président est en tout cas son second. Il n’y aura pas de dyarchie exécutive. Et, comme hier, le nouveau président a joué un rôle majeur dans le choix des membres du nouveau gouvernement. En intégrant à celui-ci des membres de Europe-Ecologie et des radicaux de gauche, il a formé sa majorité gouvernementale avant les élections législatives. Il est possible qu’après celles-ci le Front de Gauche et le Parti communiste ne fassent pas partie de la nouvelle majorité gouvernementale, mais dans le cas contraire, il leur faudra accepter la plate-forme présidentielle comme programme de gouvernement. Ce programme ne s’élaborera donc pas au moyen de négociations entre partis.

Enfin, comme hier, le leitmotiv du parti socialiste et du gouvernement, dans la campagne législative, sera l’affirmation de la nécessité de donner une majorité au nouveau président, ces élections étant en quelque sorte des élections de confirmation et les deuxième et troisième tours de cette consultation à quatre tours qui a débuté avec le premier tour de l’élection présidentielle. En décidant l’inversion du calendrier électoral pour les élections de 2002, Lionel Jospin avait clairement revendiqué la logique du régime de la Ve république c’est à dire la primauté présidentielle. Seule une nouvelle cohabitation pourrait dérégler ce système. Dans ce cas, pour la première fois dans l’histoire du régime, un président et une Assemblée de couleur différente seraient élus en même temps, ce qui, à l’évidence, créerait un problème politique majeur. Jusqu’à présent, en 1981, en 1988, en 2002 et en 2007, le président a toujours gagné les élections législatives, profitant de l’effet d’entraînement de sa propre élection. Une défaite de la gauche ferait la preuve que les réformes de 2000 et 2001 n’ont pas résolu tous les problèmes que notre étrange régime politique renferme potentiellement. Mais François Hollande, comme ses prédécesseurs, tentera de convaincre les électeurs de la nécessité absolue de lui donner une majorité parlementaire pour appliquer son programme.

S’il remporte les élections législatives, François Hollande, comme François Mitterrand jadis, sera le véritable chef de l’exécutif. Ainsi, les socialistes confirmeront qu’ils mènent leur action dans un cadre constitutionnel  qu’ils continuent de critiquer mais qu’ils ont renoncé depuis longtemps dans les faits à modifier fondamentalement. Ils montreront ainsi que l’idée d’une sixième république parlementaire n’était qu’un vœu pieux. François Hollande lui-même dans sa campagne n’a t-il pas, au moins par omission, renoncé à changer un régime que François Mitterrand avait sinon dans le discours au moins dans les faits contribué à enraciner ?