États-Unis: l’impossible contrôle des armes edit

9 octobre 2017

Après la tuerie de Las Vegas qui a fait 58 morts et plus de 500 blessés, les réactions des politiques américains ont été totalement divergentes. Côté Républicain, Donald Trump comme Paul Ryan, le président de la Chambre des Représentants, se sont contentés de faire part de leur chagrin et de leur compassion pour les victimes. Côté Démocrate, de nombreux élus ont réclamé, une fois de plus, une réglementation stricte de l’usage des armes et surtout des armes de guerre dont la puissance de feu est meurtrière. Une demande qui a bien peu de chances d’aboutir dans un pays profondément divisé sur ce sujet.

Pour expliquer une situation qui fait des États-Unis le champion mondial de possession d’armes par habitant et aussi le pays où le niveau de violence est le plus élevé (297 homicides par million d’habitants contre 5,1 pour le Canada voisin) , il faut à la fois tenir compte de l’histoire et des réalités politiques d’aujourd’hui.

La détention d’armes. Un droit fondamental

L’Histoire, c’est le sacrosaint deuxième amendement voté en 1789 par le Congrès, en complément de la Constitution, pour reconnaître aux citoyens le droit de porter des armes. À l’époque, il s’agissait d’autoriser des milices prêtes à défendre la jeune République ou d’autoriser les propriétaires à combattre les Indiens et à se défendre contre d’éventuelles révoltes d’esclaves.

Il est évident que depuis la fin du 18e siècle, la société américaine a radicalement changé. Le pays s’est doté depuis la Seconde Guerre mondiale d’un appareil militaire colossal et présent sur tous les continents et les armes à feu sont infiniment plus dangereuses qu’en 1789. Néanmoins le droit à la propriété des armes à feu inscrit dans la Constitution n’a pas été modifié avec des résultats que quelques chiffres illustrent parfaitement.

C’est ainsi qu’on compte plus de 300 millions d’armes à feu en circulation dans le pays, soit pratiquement une arme par habitant, sachant que certains observateurs estiment que le chiffre réel est probablement plus élevé tant il est malaisé de collecter des statistiques fiables sur ce sujet. Au surplus, la ventilation de la possession d’armes révèle de grandes disparités. Environ 40% de la population est armée ou vit dans un foyer où se trouvent des armes et 3% des Américains sont surarmés et détiennent plusieurs dizaines de fusils et d’armes de guerre, ce qui était le cas du tueur de Las Vegas. De même, les détenteurs d’armes sont en grande majorité des Blancs, vivant dans des régions rurales du Sud et du Middle West.

On pourrait penser que la succession des massacres opérés depuis une vingtaine d’années dans différents lieux publics et qui ont rarement été le fait de terroristes mais plutôt d’Américains blancs pris d’une folie meurtrière inciterait les gouvernants à agir sous la pression du public. En fait, il n’en a rien été.

Une opinion publique divisée

Certes les sondages montrent qu’une majorité des Américains (55%) est en faveur d’une réglementation moins laxiste alors que seulement 34% y sont hostiles.

Toutefois, plusieurs facteurs importants jouent en sens inverse et expliquent cette apathie des pouvoirs publics.

On met souvent en valeur l’influence de la National Rifle Association (NRA). Ce lobby qui a pignon sur rue à Washington dispose de ressources considérables, alimentées par ses centaines de milliers d’adhérents mais surtout par l’industrie d’armement qui prospère grâce à d’innombrables foires aux armes organisée dans tout le pays. Elle est relayée dans la plupart des circonscriptions électorales par des associations locales qui surveillent de près les élus. Elle finance généreusement les candidats qui lui sont favorables et combat souvent avec succès et à coup de spots télévisés ceux qui veulent proposer des réformes. Lors des présidentielles de 2016, la NRA a contribué pour 30 millions de dollars à la campagne de Trump qui s’est affirmé comme un chaud partisan des droits des citoyens à disposer d’un nombre illimité d’armes et s’est empressé de revenir sur des mesures restrictives décidées par Obama.

On ne peut néanmoins se contenter d’attribuer à la NRA la seule responsabilité de cet état désolant de la société. Là encore, les sondages montrent que les Américains sont profondément divisés sur une question étroitement liée à l’histoire d’un pays qui, contrairement à l’Europe, a toujours accepté des formes de violence citoyenne.

Certes 50% des Américains considèrent que la violence liée aux armes à feu est un problème très sérieux mais près de 47% relativisent l’importance de ce problème, voire estiment qu’il ne mérite pas de considération. Au surplus, et ce n’est pas une surprise, le clivage politique est très net : les deux tiers des électeurs démocrates accordent de l’importance à cette question contre à peine un tiers des républicains.

La détention d’armes, une liberté publique

Enfin, toutes les enquêtes montrent qu’une proportion importante des électeurs est convaincue du fait que la possession d’armes est un droit fondamental qu’il serait dangereux de remettre en cause. On se heurte ici à une caractéristique essentielle de la mentalité des citoyens américains qui se méfient toujours de l’État fédéral jugé trop intrusif et même potentiellement tyrannique et liberticide. On ne saurait oublier qu’on ne trouve pas, de l’autre côté de l’Atlantique, même dans les milieux les plus libéraux, la confiance dans l’État qui est largement partagée en Europe.

Dans ces conditions, une réforme de fond du régime des armes à feu n’a aucune chance d’aboutir même si le Congrès peut se résoudre à adopter des dispositions qui atténuent de manière marginale le droit au port d’armes comme certains responsables républicains l’ont suggéré après Las Vegas.

Les élus, et surtout les Républicains qui sont majoritaires dans les deux Chambres, ne voudront pas affronter dans des primaires des candidats dissidents financés par la NRA et soutenus par la frange la plus extrême de leurs électeurs. Du côté des Démocrates, on ne constate pas de mouvement de fond comme c’est le cas pour d’autres sujets de société qui mobilisent les citoyens tels que la défense du planning familial ou du droit à l’avortement. Il est très significatif que Bernie Sanders, le porte-parole très populaire de l’aile gauche du parti, ait toujours fait preuve d’une grande prudence sur cette question. Il sait bien que ses électeurs ruraux du Vermont sont tous détenteurs d’armes pour la chasse.

Le carnage de Las Vegas ne sera certainement pas le dernier. Tous les observateurs s’accordent sur le fait que d’autres tueurs de masse se manifesteront dans les mois ou les années qui viennent. Cet état de choses qui est désolant est, sans aucun doute, le reflet d’une crise profonde de la société américaine. Celle-ci est trop divisée en factions inconciliables pour garantir un fonctionnement normal de ses institutions démocratiques comme cela a pu être le cas dans le passé. On constate qu’il est devenu impossible d’obtenir l’accord d’une majorité pour accomplir les réformes nécessaires dans tous les domaines. Cet immobilisme qui n’est pas limité à la réglementation des armes à feu est préoccupant pour ses citoyens mais aussi pour le reste du monde qui assiste avec consternation aux déchirements de la puissance encore dominante de la planète.