Faut-il un conseil de la presse en France ? edit

29 juillet 2013

Verra-t-on bientôt la création en France d’une instance déontologique autonome capable de faire la lumière sur les pratiques journalistiques douteuses et de stimuler les bonnes ? La crise actuelle de la presse s’avèrera-t-elle un contexte plus favorable que les grands moments de l’histoire du journalisme où le projet a déjà été débattu, en 1881, 1918, 1935 ? La profession réussira-t-elle à passer enfin à l’acte ? Les politiques sauront-ils rebondir, par voie législative s’il le faut ? La mobilisation autour de l’enjeu déontologique est-elle au contraire vouée à rester en France à l’état de discours, comme le suggère Denis Ruellan ?

L’Association de préfiguration d’un conseil de presse, qui rassemble notamment journalistes, médiateurs, chercheurs, citoyens, associations préoccupées de la qualité de l’information se fait un devoir de faire avancer le projet d’une instance qui serait dotée de 3 fonctions, « autorégulation et médiation », « observatoire de la déontologie des pratiques » et « action pédagogique ». Elle s’est créée fin 2006 en écho aux dysfonctionnements relevés par la Commission d’enquête sur l’affaire « d’Outreau ». Les médias avaient fini par mettre en cause les nombreuses erreurs de la justice et de l’administration mais ne sont jamais revenus sur leurs propres dérapages. Le 13 juin dernier l’APCP organisait un colloque à la Sorbonne visant à faire accoucher la profession, en partenariat avec les Assises internationales du journalisme et Information et citoyenneté, une branche d’Enjeux e-medias créée par la Ligue de l’enseignement, les CEMEA, la FCPE et les Francas. La maïeutique a pris et le projet a marqué un point. Avaient répondu à l’appel les principaux syndicats de journalistes, des éditeurs, des représentants de quatre partis politiques : PS, EELV, PCF, UMP. Venaient aussi témoigner des déontologues, et un membre du conseil de presse belge. Tous les participants ont reconnu l’importance que revêtirait la création d’une telle instance qui devrait concerner l’ensemble des journalistes, quel que soit leur support médiatique.

Dans le contexte actuel, l’instauration d’un conseil de presse représenterait pour la profession un atout. Elle pourrait lui permettre de mieux résister aux pressions économiques et aux annonceurs, comme l’a notamment reconnu Laurent Joffrin. La crise économique de la presse est en effet aussi une crise de la confiance dans les médias, en baisse depuis les années 1990. L’indépendance des journalistes vis-à-vis du politique comme des pressions économiques fait l’objet d’un doute sérieux pour 6 Français sur 10 selon le baromètre de confiance dans les médias TNS Sofrès 2011. La création d’une telle instance permettrait de raffermir la crédibilité des médias en nouant des relations nouvelles entre le public et les journalistes. Enjeux-e-medias soutient le projet comme une avancée pour le droit du public à une information de qualité.

En 1999 dans un rapport sur la déontologie de l’information remis à la ministre de la Culture, Catherine Trautmann, Jean-Marie Charon diagnostiquait un fossé entre la perception du public et celle des journalistes quant à leur responsabilité, et le mettait en relation avec la perte de crédibilité des médias. Les journalistes étant plus sensibles aux questions d’indépendance des rédactions et de protection des sources, le public étant choqué d’abord par les atteintes à la vie privée et à la présomption d’innocence, par les inexactitudes, mais aussi par la surexposition de la violence et par la recherche du spectaculaire. Il organise depuis « les Entretiens de l’information ». Un conseil de presse ouvert aux saisines du public, auquel participerait de façon significative des représentants de la société civile pourrait aussi travailler à rapprocher les points de vue. Implicitement, il viendrait également ressouder l’identité professionnelle des journalistes qui a tendance à se diluer sur le web. Les deux n’étant pas incompatibles.

La qualité de l’information est un des piliers de la démocratie. La fragilisation de la presse, la baisse de confiance des Français affaiblissent les institutions, facilitent la montée des rumeurs et des extrémismes. L’Union européenne s’est emparée récemment du sujet. Un groupe de travail « Freedom and Pluralism » a remis en janvier 2013 un rapport énergique proposant de renforcer les aides à la presse lorsqu’elle contribue à la diversité et au pluralisme, mais d’exiger en retour la publication de chartes déontologiques pour chaque média et des conseils de médias dans tous les États membres. La Commissaire européenne en charge du numérique Neelie Kroes a préconisé à la suite de ce rapport la création d’un conseil de presse dans chaque État membre. 20 des 28 États membres en ont déjà un. Le Parlement européen a voté une résolution le 21 mai dernier en faveur de l’autorégulation et l’indépendance des médias.

Pour autant l’accord de principe des différents acteurs français autour du projet de conseil de presse n’est pas parfait. Au niveau politique, des divergences sont apparues au sein même de la majorité. Le secrétaire national du PS chargé des médias Philippe Buisson s’est prononcé à deux reprises en faveur du conditionnement des aides à la presse à des exigences déontologiques qui passeraient notamment par l’adoption d’une « charte chapeau » et d’un « organe déontologique ». Mais le députéPatrick Bloche, président des affaires culturelles à l’Assemblée nationale, n’y est pas favorable. Le récent rapport sur les aides à la presse remis en avril 2013 à Aurélie Filipetti considère que la question est pertinente mais doit relever de « l’autonomie des acteurs ». Le PCF considère que les concentrations sont un problème plus urgent.

Au sein de la profession, tous les acteurs ne sont pas non plus sur la même longueur d’onde. Il n’y a pas d’accord au sein des éditeurs. Le Syndicat national des journalistes s’est prononcé pour un conseil de presse fin 2012, mais il y pose deux conditions : l’annexion de la charte au contrat de travail et la reconnaissance de l’indépendance juridique des rédactions. La CFDT, qui s’appuie sur la charte de Munich de 1971, considère qu’il existe plusieurs objectifs déontologiques importants, tels que le renforcement du droit du public et celui des rédactions, et que le choix de la méthode pour avancer reste ouvert : annexion du conseil de presse à la Commission de la carte ; reconnaissance de l’indépendance des rédactions ; révision de la convention collective ou voie législative.

D’autres questions seront aussi à régler, à commencer par l’articulation des compétences avec le CSA. Au titre des missions que lui confie la loi, le CSA fait respecter les grands principes de pluralisme, de respect de la dignité humaine, de protection des personnes plus fragiles, comme le rappelait son président Oliviers Schrameck au club parlementaire « Avenir de l’audiovisuel et des médias » le 9 juillet dernier. Il ne mentionnait pas l’honnêteté de l’information qui figure cependant dans les conventions et les cahiers des charges et que le CSA doit faire respecter comme mentionné dans plusieurs articles de la loi sur l’audiovisuel. Les journalistes sont très sourcilleux sur le sujet, nombreux sont ceux qui récusent sa légitimité en matière déontologique, du fait de l’origine politique de sa nomination. Ainsi lorsque le CSA a annoncé en février 2013 un projet de recommandation sur le traitement des conflits internationaux, RSF en a contesté la « légitimité » et la « pertinence », comme le SNJ.  À la demande des médiateurs de presse, le CSA a accepté d’en reculer la publication à la rentrée. De plus, les journalistes redoutent la volonté de « mainmise » du CSA sur la presse en ligne, alors que le CSA ne voit pas comment poursuivre son action dans un monde « asymétrique » où seuls seraient régulés les services audiovisuels traditionnels.

Le travail « déontologique » du CSA, s’il peut paraître perfectible à bien des égards, a le mérite d’exister, et d’avoir construit depuis plus de 20 ans un catalogue des erreurs en matière de sourçage des images d’archives, de respect de la dignité de la personne, de pluralisme des points de vue, de lutte contre les discriminations et les tensions communautaires, de prise en compte du jeune public devant les images d’information. Le juge judiciaire joue également un rôle essentiel dans l’édification d’une déontologie à travers sa jurisprudence en matière de diffamation, de vie privée, de droit à l’image et de dignité de la personne notamment. Mais il peut lui aussi être critiqué, comme le fait Mediapart suite à la censure des enregistrements dans l’affaire Bettencourt par la Cour d’appel de Versailles.

L’action du CSA comme celle du juge laissent de la place pour une réflexion approfondie de la profession elle-même sur ses pratiques. L’une des sources d’inspiration de l’APCP est le conseil de déontologie journalistique belge francophone créé il y a trois ans, dont la composition est tripartite : journalistes, éditeurs, public. Ses avis sont motivés, détaillés sur plusieurs pages, publiés sur son site. Il peut aussi en imposer la publication dans les journaux à titre de sanction. Ses avis peuvent ainsi nourrir le débat et la vigilance sur ces questions sensibles mais essentielles pour le public, pour l’enseignement des bonnes pratiques, pour l’équilibre des pouvoirs en démocratie. Les compétences du CSA belge lui ont été assez largement déléguées en matière de déontologie de l’information pour l’audiovisuel (sauf en cas de récidive ou de plainte de 3 partis politiques). Mais il ne dispose pas de pouvoir de sanction allant au-delà de la publication de son avis. De quoi rassurer les journalistes qui ne veulent pas d’un « tribunal », mais peut-être pas suffisant pour transformer les pratiques.