Nucléaire: le premier qui dit la vérité… edit
Nicolas Hulot vient d’annoncer, à la suite de RTE, ce que chacun savait depuis la loi de transition énergétique (2015), et même avant : la France ne pourra réduire la part du nucléaire à 50% d’ici 2025. Il propose donc d’atteindre le même objectif à l’horizon 2030-2035.
L’objectif de 50%, forgé par Martine Aubry et Cécile Duflot et lesté d’un paquet de circonscriptions accordées aux Verts en vue des élections de 2012, n’avait jamais été étayé, n’avait jamais reçu le moindre début d’application, et relevait de la politique déclamatoire dont raffolent les appareils politiques hors sol et les politiciens habiles.
Ce constat d’évidence formulé par le ministre responsable a déchaîné la critique des écologistes et des socialistes au nom du manquement aux engagements pris, de la dénonciation de l’imperium d’EDF, de la procastination des décideurs publics dès qu’il s’agit de s’engager dans la transition énergétique.
Le débat ainsi engagé nous livre deux traits de notre débat politique. Le dévoiement de la loi par le vote de lois d’affichage, ce que fit Hollande avec la loi de transition énergétique, et le dévoiement du débat politique par la prolifération de discours à côté des réalités. Ainsi s’organise le débat public autour d’enjeux parfaitement confus, dans la méconnaissance des réalités et dans l’impossibilité de faire la balance entre solutions alternatives sur la base de connaissances argumentées.
Un constat d’évidence
L’objectif de 2025 n’était pas atteignable sauf à faire prendre au pays des risques majeurs.
Tout d’abord, les énergies alternatives ont un triple défaut : elles sont intermittentes, elles requièrent de lourds investissements en réseaux, et enfin leur déploiement suscite des oppositions récurrentes… notamment chez les écologistes ! L’intermittence oblige à déployer une plus grande puissance installée (qui se mesure en MW), pour assurer la même production énergétique (qui se mesure en MWh). Selon RTE, pour assurer la production électrique d’un réacteur nucléaire d’une puissance de 900 MW, il faut installer 4800 MW de solaire ou 2700 MW d’éolien. Il y a par ailleurs des délais de mise en œuvre de 4 ans dans le premier cas et de 7 ans dans le deuxième. Et au coût des installations s’ajoute celui de la reconfiguration d’un réseau qui a été optimisé pour une production centralisée, celle du nucléaire. Cette reconfiguration peut être jugée souhaitable dans le futur, ce n’est pas la question : mais elle ne se décrète pas d’un claquement de doigts et demande à être évaluée sérieusement.
Deuxième risque, le premier effet de la sortie du nucléaire, observé notamment en Allemagne, est le retour du charbon et du gaz. Le remplacement du nucléaire par le charbon et le gaz serait aller dans la mauvaise direction en matière d’émissions de gaz à effet de serre ; la décarbonation du mix énergétique ne plaide pas pour une sortie accélérée du nucléaire. Pour respecter l’objectif de fermeture de 24 réacteurs inscrit dans la loi de 2015, nous dit RTE, il faudrait doubler le nombre de centrales à gaz et donc doubler les émissions de CO2 du secteur électrique.
Troisième risque, la demande augmente : l’électrification progressive du transport, programmée notamment après les scandales du diesel, accroîtra les besoins en électricité. Certains rêvent d’une révolution de l’hydrogène qui nous permettrait de faire l’économie de l’électrique mais il n’y a pas à ce jour de solutions viables économiquement.
Enfin, il n’y a aucune raison économique ou technologique de fermer 24 tranches d’ici 2025 (sur les 58 du parc actuel) si l’on poursuit l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’Autorité de sûreté nucléaire ne le réclame pas.
Les pathologies du débat public
Mais sitôt connue la position du ministère, on a assisté à un déchaînement de critiques des écologistes emmenés par Yannick Jadot accusant Nicolas Hulot de se faire le porte-voix du lobby nucléaire, mais aussi de Delphine Batho proclamant que tant que l’État ne reprenait pas le contrôle d’EDF la volonté politique serait mise en défaut et de Michel Sapin qui « sincèrement » déplorait qu’on rejette sur les autres ce qu’on n’était pas capable d’assumer soi-même.
On écartera les critiques qui ne grandissent pas leurs auteurs. Prétendre comme le font Michel Sapin ou Ségolène Royal qu’une loi avait été adoptée et qu’il suffisait de l’appliquer est ridicule à plus d’un titre. D’une part le président Hollande n’a même pas fermé Fessenheim durant son quinquennat. Par ailleurs rien n’avait été entrepris pour atteindre l’objectif 2025, ni en matière d’accélération du programme d’énergies renouvelables (ENR), ni en matière de planification des fermetures par EDF dont l’Etat est actionnaire à près de 85%, ni même en matière d’économies d’énergie.
On écartera également les discours opportunistes des écologistes pour qui la LTE est sacrée parce que votée par le Parlement. On ne savait pas que les écologistes avaient cette religion du vote majoritaire, en particulier à Notre-Dame des Landes ou partout en France où ils usent de tous les ressorts de la procédure pour ralentir, casser, ou différer des décisions qui leur déplaisent.
Il y a plus grave. Lorsqu’on pratique le déni de réalité, que l’on invoque des exemples étrangers en distordant les faits et que l’on s’exonère de l’obligation de cohérence des choix.
Le mépris des réalités : l’exemple allemand de l’Energiewende (2011)
L’Energiewende (tournant énergétique) décidé en 2011 par Angela Merckel au lendemain de Fukushima a l’avantage de présenter un cas d’école, avec suffisamment de recul désormais pour en tirer quelques enseignements. C’est ce qu’a fait, parmi d’autres, France Stratégie dans un rapport de 2017 : « Mis à part les ENR électriques qui ont connu un essor spectaculaire et qui devraient dépasser 35% du mix énergétique en 2020, aucun autre objectif ne semble en mesure d’être atteint.[1] » Pire encore, selon McKinsey, en 2016 on s’est éloigné du but sur 11 des 15 critères suivis. La performance des renouvelables accompagnée du retrait du nucléaire (total en 2022) se paie au prix fort puisque le prix de l’électricité pour les petits consommateurs a doublé entre 2000 et 2013, et que l’Allemagne obligée de continuer à recourir massivement au charbon et au lignite est un des plus gros émetteurs européens de gaz à effet de serre ! Par sucroît un tel choix fragilise les réseaux et accroît donc les risques de black out. Résultat : le mix électrique allemand reste très carbonné : 500 grammes de CO2/kWh contre 80 en France ! Il est de plus massivement inefficace d’un point de vue économique puisque la surproduction des ENR à certaines heures certains jours conduit à des mesures d’arrêt de la production ou de vente d’électricité verte à des prix négatifs. Autre résultat de cette stratégie de sortie du nucléaire, les exploitants sont ruinés et l’État allemand sera contraint de les indemniser pour les fermetures anticipées de centrales nucléaires. Cerise sur le gâteau, l’investissement massif dans le solaire qui devait faire naître un champion industriel des énergies renouvelables a abouti à la disparition pure et simple de cette activité sur le sol allemand, en stimulant principalement l’industrie chinoise du photovoltaïque. Et à la COP 23 l’Allemagne s’est retrouvée avec les Etats-Unis de Donald Trump dans le camp des défenseurs du charbon !
Si on raisonne à présent en termes d’énergie primaire, la part des ENR dans la consommation totale n’est que de 12,6% en Allemagne contre 10,4% en France, les énergies fossiles représentant 80% en Allemagne alors que grâce au nucléaire (40% du mix total) la France est un modèle de décarbonation. S’il fallait une illustration de l’échec de la stratégie de décarbonation du mix allemand, on la trouverait dans l’opposition résolue de l’Allemagne à l’adoption d’une taxe carbone significative au niveau européen au motif qu’un telle mesure favoriserait le nucléaire français !
La confusion des horizons : l’erreur de choix du nucléaire
Les écologistes se battent avec conviction pour la sortie du nucléaire, ils se battent aussi contre le réchauffement climatique et pour la décarbonation du mix énergétique. La solution passe donc pour eux par une moindre consommation d’énergie voire par une décroissance. Une telle vision devrait les conduire à privilégier le nucléaire + les ENR + les économies d’énergie. Or ils sont en majorité anti-nucléaires.
Le procès du nucléaire qu’ils instruisent depuis 40 ans n’est pas sans fondement. La double promesse d’une énergie propre portée par le progrès technique et maîtrisée en matière de sécurité d’une part et d’une énergie bon marché d’autre part n’a pas été vraiment remplie. Les accidents majeurs dont le dernier à Fukushima ont illustré la part de risque de cette technologie. Quant à l’accès à une énergie bon marché, la Cour des Comptes n’a pas tort de rappeler que le coût final du nucléaire ne pourra être établi que lorsqu’on saura ce que coûte le démantèlement. On peut donner acte aux écologistes d’avoir alerté sur les risques de cette technologie et même les suivre quand ils dénoncent les effets du despotisme éclairé à la française… et ne pas les suivre pour autant dans leur revendication de fermer 24 tranches d’ici 2025. Car de deux choses l’une : ou les tranches de 900 MW qu’on veut fermer sont dangereuses et il faut toutes les fermer sans attendre 2025, ou elles ne le sont pas et il faut laisser l’Autorité de Sureté décider ce qu’il convient de faire et quand. Le débat sur les origines du choix du nucléaire, la contestation des données économiques fournies par EDF ou la Cour des Comptes sur le coût complet du nucléaire permettent de critiquer les choix passés mais n’éclairent en rien les décisions à prendre aujourd’hui sur la fermeture ou pas des 24 tranches d’ici 2024.
Politique publique et délibération démocratique
Que retenir de ce débat en trompe-l’œil ?
L’objectif de réduction, à terme, de la part du nucléaire n’est remis en cause par personne en France pour des raisons politiques, technologiques et économiques. Le consensus nucléaire français a progressivement régressé et toutes les forces politiques en tiennent compte. L’absence de solution durable pour le démantèlement et la question du stockage des déchets pèsent légitimement sur le débat. Enfin, le nouveau nucléaire pèse plus cher que les solutions alternatives carbonées et sauf à faire du nucléaire le vecteur d’une stratégie de décarbonation et d’en payer le prix, comme les Britanniques, le nucléaire n’est plus compétitif.
L’objectif de lutte contre le réchauffement climatique est de moins en moins contesté même si les nations tardent à mettre en place les mesures qui permettraient de limiter le réchauffement à 2°C d’ici la fin du siècle. Pour la France l’opinion commune est en train de basculer sans transition du tout-nucléaire au tout-renouvelable. Mais il faudra bien trouver un nouveau mix energétique plus équilibré car il n’existe pas de solution 100% renouvelable en l’état actuel des technologies.
Sur ces bases il faut baisser l’intensité énergétique, maîtriser la consommation, réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, sans faire exploser le coût de l’énergie pour les consommateurs (parmi lesquels des industries sensibles à ce coût et pourvoyeuses d’emploi, dans la chimie notamment).
En France ces données doivent conduire à un certain nombre d’arbitrages dans les années qui viennent.
Faut-il prolonger la durée de vie des centrales de 40 à 50 ou 60 ans en faisant les travaux de maintenance lourde requis ou doit-on plutôt lancer une nouvelle série d’EPR dans le cadre d’un mix énergétique rééquilibré pour assurer la fourniture de la base ?
Faut-il fermer en priorité les centrales qui utilisent le combustible MOX, au risque d’aggraver la situation d’Areva ?
Faut-il construire des EPR avec le retour d’expérience de Taichan, Flamanville et demain de Hinkley Point ou redéfinir le design de base de l’EPR pour l’optimiser, ce qui nécessitera une nouvelle procédure de validation auprès des autorités de sureté et un recul de l’horizon de renouvellement du parc ?
Quelle doctrine adopter pour le démantèlement, intégral ou limité ?
Le nucléaire aujourd’hui et demain sera de plus en plus chinois, russe ou indien. La France aura à nouer des partenariats solides et durables. Quel partenariat privilégier ?
Comment déployer les énergies renouvelables plus rapidement, faut-il limiter les recours ? Faut-il continuer à subventionner lourdement l’éolien off shore ?
On comprend à l’évocation de ces questions que l’invective soit préférée au débat éclairé, au prix d’une moindre efficacité et d’une démocratie appauvrie.
[1] France Stratégie, Note d’analyse n°59, août 2017
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