La primaire citoyenne ou la fin programmée du parti socialiste edit

12 avril 2016

Après le vote du Conseil national du parti socialiste approuvant à l’unanimité le projet d’une « primaire citoyenne » de « toute la gauche », il semble que la machine socialiste avance désormais  en plein brouillard. Car si les socialistes réfléchissaient une seconde sur leur proposition, ils se rendraient compte qu’elle pourrait détruire leur propre parti si elle était mise en application. Certes, nous répondra-t-on, tout ceci est un jeu de poker menteur ; personne ne veut de cette primaire et elle n’aura pas lieu. Soit, encore que tout ceci ne contribue pas à relever le niveau de la politique. Mais, même si tout ceci n’est que jeu de dupes, les socialistes devraient se convaincre pour l’avenir que la logique d’une primaire socialiste et la logique d’une « primaire de toute la gauche » sont radicalement contradictoires et que si la première peut constituer un atout majeur de ce parti, la seconde le lui retirerait totalement.

Une primaire présidentielle consistait jusqu’ici, rappelons-le, en l’organisation par un parti politique d’un vote de ses sympathisants pour désigner son candidat à l’élection présidentielle. La primaire de 2011 était non pas une « primaire citoyenne », comme on la nomma à l’époque, bien à tort d’ailleurs, sous prétexte que le PS y fit entrer son appendice radical de gauche, mais une primaire socialiste. C’est un parti donné qui organise l’ensemble de la consultation et en fixe souverainement les règles. Dans le cadre, certes lâche, des positions du parti, le candidat désigné impose sa plate-forme présidentielle au parti, qui accepte de le soutenir et, s’il est élu, de constituer l’armature politique de son gouvernement. Tous les candidats battus se rangent derrière celui qui a été désigné. Il existe donc entre ce dernier et son parti un minimum de loyauté, de règles admises et d’intérêts partagés. Quelle que soit la place éminente du candidat, le parti conserve un rôle aussi important que nécessaire dans la relation avec les électeurs et dans le fonctionnement du système politique. En outre, l’électeur choisit son candidat à la primaire en connaissant à peu près le périmètre idéologique et politique du parti qui l’organise. Ce parti lui sert de repère. S’établit ainsi un lien, certes ténu, entre l’électeur et lui. La primaire, ainsi organisée, est bien une primaire partisane qui doit permettre au bout du compte au parti qui l’organise d’exercer le pouvoir.

Il en va tout autrement avec la « primaire de toute la gauche ». Ici, ce n’est plus une organisation politique qui organise cette consultation mais une pluralité d’organisations qui ne sont liées entre elles par aucune solidarité, loyauté, alliances, liens organisationnels, habitudes, vocation gouvernementale commune, conception de la démocratie compatible et puissance politique et électorale comparable. Elles n’ont en commun que d’être «  de gauche » ce qui, convenons-en, n’a plus beaucoup de consistance idéologique ni de signification politique. L’électorat potentiel du parti socialiste ne se verrait pas aisément enfermer aujourd’hui dans un périmètre politique allant de Manuel Valls à Jean-Luc Mélenchon pour choisir son candidat à l’élection présidentielle. Ensuite, le Parti socialiste se trouverait devant un dilemme insoluble : soit accepter, comme il est dans la logique même de la primaire, que tous les socialistes qui le souhaitent et qui remplissent les conditions imposées puissent se présenter, au risque de voir triompher alors un candidat non socialiste, soit obliger les socialistes à ne présenter qu’un candidat à la primaire ce qui est en contradiction totale avec la logique même de la primaire partisane. Il ne s’agirait plus alors en effet de choisir parmi plusieurs candidats d’un même parti mais parmi plusieurs partis ayant chacun un seul candidat, ce qui consisterait à transformer la primaire en une sorte de scrutin proportionnel au sein de la gauche, où le but ne serait plus d’abord de choisir un candidat mais un parti ! Il n’est pas étonnant que le Conseil national du PS ait laissé ce point en suspens car il suffit à dynamiter l’ensemble de la « primaire de toute la gauche ». Tous ces efforts des socialistes, sans qu’ils en soient conscients, visent en fait à détruire leur dernier atout, celui qu’ils avaient joué avec succès en 2011. Sans primaire socialiste, le PS se déclasse en se mettant au niveau de ces petits partis que sont le Parti de gauche, le Parti communiste et les Verts, les suppliant de les considérer comme étant des leurs alors qu’il leur est nettement supérieur ; mettant à leur service son organisation partisane ; prenant sagement note de leurs exigences : que ces partis choisissent eux-mêmes les candidats socialistes qui peuvent ou non concourir, que leurs militants obligent le vainqueur de la primaire à tenir compte de leurs positions et à ne soutenir en aucun cas la politique de leur propre gouvernement, qu’ils ne s’engagent sur rien ni personne et qu’ils profitent largement de la tribune offerte par le parti socialiste pour venir l’y accuser des pires turpitudes. Il n’y aurait plus de primaire socialiste mais, du coup, il n’y aurait plus non plus, de parti socialiste, d’autant qu’une telle opération convaincrait définitivement les Français que « la gauche » n’est pas prête à gouverner. Les socialistes y perdraient leur dernier avantage : être un parti de gouvernement. Et la primaire y perdrait son plus grand intérêt, à savoir la possibilité pour les électeurs de choisir souverainement leur candidat et son programme puisque, selon les Verts, ce serait désormais la tenue de débats citoyens qui permettrait de définir un socle d'« exigences partagées » dont ne pourrait s’abstraire le vainqueur. Bref cette primaire serait tout sauf une primaire.

Les socialistes auront beau nous expliquer entre quatre yeux que tout ceci est du cinéma pour les gogos, il n’empêche que le seul fait qu’ils adoptent de telles positions  montre à quel point ils n’ont plus confiance en eux-mêmes pour proposer un plan de redressement du pays. Comme si la béquille verte d’un côté, la béquille  rouge de l’autre, allaient leur permettre de se remettre enfin à gambader !

Jean-Christophe Cambadélis a justifié cette position favorable à la « primaire de toute la gauche » ainsi : « Je ne me résous pas à une élimination de la gauche dès le premier tour en 2017. Il faut surmonter les préjugés, les divergences. Nous sommes condamnés à trouver un chemin. C’est la question de l’existence même de la gauche qui est posée. » Encore faudrait-il être sûr que ce chemin ne passe pas par la marginalisation du parti socialiste lui-même ! De deux choses l’une, en effet : soit, les socialistes sont convaincus que la seule manière d’éviter la marginalisation est d’organiser cette primaire de « toute la gauche », mais alors pourquoi ne semblent-ils pas la souhaiter en privé ? Soit ils n’y croient pas, et c’est ce que semble signifier cet oxymore politique sorti du cerveau du Premier secrétaire: « Mon choix, c'est une primaire et mon candidat, c'est François Hollande ». Pourquoi ne pas dire alors clairement que l’on ne veut ni de primaire de la gauche ni de primaire socialiste ? Bref que l’on veut que François Hollande se représente sans primaire. C’est plaidable si le président décide effectivement de se représenter. Mais si il renonce, chacun sait qu’il faudra alors organiser une primaire socialiste et non pas une primaire de gauche. En mélangeant sciemment deux questions complètement différentes pour les besoins de sa cause : la question de la primaire  « de toute la gauche » et la question de la primaire socialiste en cas de candidature du président sortant, Jean-Christophe Cambadélis tente une partie de billard à plusieurs bandes, mais, ce faisant, il crée une situation aussi inextricable qu’incompréhensible à un moment où ce qui reste d’électorat socialiste souhaiterait savoir dans quelle direction, entre Macron et Mélenchon, le Parti socialiste entend les conduire.