Faut-il punir les banques ? edit

28 octobre 2009

Lorsque la crise se développe, que le chômage gagne en ampleur, que des PME disparaissent et que les banques sauvées par les pouvoirs publics reprennent leurs habitudes, on peut comprendre que des élus soient animés d’une volonté répressive. Il faut y résister car un enjeu plus important se joue, celui de l’invention d’une nouvelle régulation pour une finance complexe, interconnectée, globale et qui a révélé d’étonnantes fragilités dans un passé récent.

L'amendement Migaud a été adopté puis rejeté. Est-ce un acte manqué, une erreur technique ou un moment d’audace suivi d’un profond remord ? À la vérité cela importe peu. La volonté de punir les banques est largement partagée : comment justifier que celles-ci reprennent si vite leurs comportements à risque, qu’elles accumulent les bénéfices et distribuent des bonus alors que leurs résultats doivent tout à l’intervention publique et bien peu à leurs mérites ? Faut-il rappeler qu’il y a peu encore ces banques ont été sauvées de la faillite par des recapitalisations publiques, par le sauvetage de contreparties comme AIG, par un accès simplifié et illimité à la liquidité des banques centrales, par le maintien de taux très bas… Bref, comme le dit Georges Soros, les bénéfices bancaires doivent tout à l’État.

Il faut pourtant résister à cette tentation, et ce pour trois raisons. La première est qu’il ne faut jamais recourir en matière fiscale aux mesures prises à chaud. De plus il ne faut pas traiter sur le plan national un problème qui est global. La deuxième est qu’il y a de bonnes raisons de repenser à terme la rémunération de l’État pour prix de la garantie qu’il apporte aux banques. La troisième enfin est qu’il convient de traiter sérieusement la question de l’assurance des institutions systémiques, celles qu’on ne peut laisser faire faillite : la précipitation est ici ennemie de l'efficacité. Si l’on veut sortir d’une situation où, de fait, l’État garantit gratuitement l’ensemble du système financier, il faut prendre le temps de trouver une solution durable et partagée.

Dire cela c’est reconnaître la légitimité des motivations des élus, c’est accepter même le projet Lagarde d’une taxe prélevée sur les institutions financières pour financer une régulation plus mordante, mais c’est surtout refuser de traiter à chaud et avec des instruments inappropriés le problème de la régulation financière pour l’après-crise.

Trois lignes d’argumentation en effet s’opposent sur la justification de la taxation des banques pour infléchir leurs comportements. Considérons les plus en détail.

La première obéit à une triple motivation : confisquer une part des profits bancaires indus, désinciter les banques à distribuer généreusement des bonus, et les inviter à moins développer les activités « casino ». En fait tout se passe comme si les élus, saisis d’un soudain remord, voulaient revenir sur les conditions de la recapitalisation des banques. On sait qu’à l’époque, le gouvernement avait renoncé à acquérir les actions fortement dépréciées des banques pour prix de son aide à la recapitalisation. Ce que les Émirats ou le gouvernement britannique ont réussi en cédant à bon prix les actions acquises au cœur de la crise, le gouvernement français l’a raté. La taxe est un moyen de corriger ex post cette erreur de jugement qui devient erreur politique quand les banques remboursent l’État. En surtaxant les banques, les pouvoirs politiques veulent envoyer un deuxième message : l’argent public n’a pas été distribué pour que les banques développent les activités produits dérivés et plus généralement la finance de marché qui reste plus rentable que le crédit aux PME. Enfin en taxant les banques l’État tarit une part des bénéfices redistribuables. Les actionnaires comme les hauts salariés devraient en pâtir, ce qui devrait les inciter à des comportements moins risqués.

Cette première ligne de justification de la surtaxation n’est guère convaincante, et ce pour deux raisons. La première est qu’on ne peut pas changer les règles du jeu en cours de partie. L’État Français, comme l’a dit Mme Lagarde, n’entendait pas spéculer en aidant les banques à traverser une mauvaise passe. Tant mieux pour les actionnaires qui se sont enrichis. Tant pis pour le contribuable français qui a raté une occasion d’en profiter. Par ailleurs l’État n’a pas conditionné ses aides à un type d’opérations, il n’a pas ciblé les usages de l’argent public en interdisant par exemple les opérations dites spéculatives sur les marchés. Si les banques ont pu bénéficier d’un financement bon marché, d’une recapitalisation non dilutive, d’une autonomie de gestion totale, et si elles ont réussi à se redresser plus vite que prévu, on ne peut que saluer le désintéressement des autorités publiques et s’en tenir là. Quant à l'action sur les incitations, elle est perdue d’avance car sur des marchés ouverts où la compétition est forte l’État français ne peut ni agir seul, ni changer seul les règles du jeu, ni a fortiori peser sur les normes professionnelles.

La deuxième ligne d’argumentation porte sur la nécessité de développer les moyens d’une régulation efficace. Taxer pour réguler fait sens. Il ne faut pas prendre cela sur le mode de la dérision car on a besoin d’une régulation plus mordante et donc plus compétente, mieux équipée et sachant attirer et fidéliser des financiers et des juristes d’aussi bonne qualité que ceux d’en face. En d’autres termes la première condition d’une bonne régulation est que le contrôleur soit aussi compétent que le contrôlé. Il est légitime dans ces conditions de faire financer les contrôles par les contrôlés. Le problème surgit quand la nouvelle taxe est en fait une mesure de diversion imaginée dans la hâte pour calmer des députés incontrôlés qui sont en fait dans une logique punitive. La meilleure preuve est que nous sommes toujours dans la phase de questionnement sur l’architecture institutionnelle et la substance de la future régulation. On ne sait toujours pas quels dispositifs retenir pour éviter le retour de la grande crise financière que nous vivons encore. Faut-il dans l’esprit du Glass-Steagall Act de 1933 séparer banque-commodité et banque-casino ? Faut-il plutôt augmenter sensiblement les ratios de solvabilité et revoir les Accords de Bâle pour désinciter les banques à abuser des effets de levier et des opérations de titrisation de crédits ? Faut-il confier à la Banque centrale le contrôle des banques systémiques ? Le débat reste ouvert et, à ce stade, créer une nouvelle taxe pour financer une régulation qui se cherche n’est guère justifié.

La troisième ligne d’argumentation, suggérée par le Britannique Lord Turner (le président de la Financial Services Authority), est que pour combattre l’hypertrophie financière il faut réinventer la taxe Tobin sur les transactions financières. La thèse est bien connue. C’est en taxant, même faiblement, les transactions financières, notamment sur les produits dérivés, qu’on parviendrait à limiter la folle expansion de produits spéculatifs qui ne servent pas l’économie réelle. La taxe Turner obéit au même principe que la taxe Migaud : taxer pour obtenir des financiers un changement de comportement. Cette thèse est discutée : pourquoi taxer quand on peut obtenir le même résultat par des normes prudentielles mieux adaptées aux institutions financières ? On peut en effet moduler les ratios prudentiels selon la taille des établissements, la phase du cycle, la nature des activités. Par ailleurs le gouverneur de la Banque centrale britannique, Mervyn King, propose une autre piste qui consiste à faire payer aux banques le prix de la garantie offerte par le prêteur en dernier ressort. Cette assurance peut même être conçue de telle sorte qu’elle entraîne le démantèlement automatique d’une banque qui du fait d’activités trop risquées ne peut plus faire face à ces obligations. Il ne s’agit pas ici de trancher la question. Les options Migaud, Turner ou King sont à considérer dans les scénarii de sortie de crise. À ce stade notre seul propos est de montrer que le débat porte sur des enjeux sérieux, qu’il ne s’agit pas de logique punitive et que, de plus, tous les pays développés se posent les mêmes questions, ce qui accroît les chances d’une solution coopérative.

Lorsque la crise se développe, que le chômage gagne en ampleur, que des PME disparaissent et que les banques sauvées par les pouvoirs publics reprennent leurs habitudes, on peut comprendre que des élus soient animés d’une volonté répressive. Il faut y résister car un enjeu plus important se joue, celui de l’invention d’une nouvelle régulation pour une finance complexe, interconnectée, globale et qui a révélé d’étonnantes fragilités dans un passé récent.