Angela Merkel ou l’art de la triangulation edit
Les élections régionales qui viennent d’avoir lieu dans trois Länder ont bouleversé le paysage politique allemand. A l’ouest, en Rhénanie-Palatinat et dans le Bade-Wurtemberg, le parti de la droite extrême, Aletrnative für Deutschland (AfD), recueille entre 12 et 15% des suffrages. A l’est, en Saxe-Anhalt, il atteint 24%, deux fois plus que le Parti social-démocrate et plus que la gauche radicale Die Linke, réceptacle traditionnel des votes protestataires. Ce « Supersonntag » – par analogie avec le « Super Tuesday » des primaires américaines –, était considéré comme un sondage grandeur nature, 13 millions d’électeurs étant appelés aux urnes. Il confirme les enquêtes d’opinion qui créditent l’AfD de plus de 10% des voix si les élections générales, prévues pour septembre 2017, avaient lieu prochainement.
Or si l’AfD fait subir des pertes à la démocratie-chrétienne, Angela Merkel reste largement épargnée. Ceux de ses « amis » politiques qui ont perdu des voix paient en grande partie le fait d’avoir pris leurs distances avec son attitude d’ouverture dans la crise des réfugiés. Au contraire, dans le Bade-Wurtemberg, le ministre-président du parti des Verts qui la soutenait a été plébiscité. Winfred Kretschmann a mené campagne, parfois aux côtés de l’ancienne star des écologistes, Joschka Fischer, en prenant fait et cause pour la chancelière. A tel point que les Verts ont distribué des tracts affirmant : « Si vous voulez Angela Merkel. Votez Vert ! », pour attirer vers eux des électeurs chrétiens-démocrates déçus par les bisbilles au sein du parti.
Ce soutien est bien venu pour la chancelière. Il représente le juste retour des choses pour une femme politique qui est passée maitre dans l’art de la « triangulation », cette pratique théorisée par un conseiller de Bill Clinton en 1995 consistant à puiser dans le programme des adversaires politiques afin de les phagocyter. Avant d’arriver au pouvoir en 2005, Angela Merkel avait adopté un programme qualifié d’ultra-libéral, dans le sillage d’un professeur d’économie qui proposait de remplacer l’impôt progressif par une flat tax. Ce positionnement faillit lui faire perdre les élections face à Gerhard Schröder. Elle en changea immédiatement après le scrutin, formant une grande coalition avec la Parti social-démocrate et engrangeant les fruits des réformes du marché de l’Etat-providence amorcées par son prédécesseur.
Après les élections de 2009, nouveau changement de cap : la démocratie-chrétienne s’allie avec le petit parti libéral qui prône une baisse massive des impôts pour les entreprises. Celle-ci n’aura pas lieu parce que la chancelière ne veut pas s’aliéner les électeurs populaires qu’elle espère éloigner des sociaux-démocrates. En 2011, à la suite de la catastrophe de Fukushima, elle annonce la sortie de l’énergie nucléaire, au grand dam de ses alliés libéraux et des sociétés productrices d’électricité qui accusent des pertes colossales. Ce tournant brusque et inattendu lui ouvre la perspective d’une possible coalition avec les écologistes, pour qui l’hostilité au nucléaire civil et militaire est un acte de foi.
Cette alliance, jamais expérimentée en Allemagne au niveau fédéral, ne verra pas le jour après les élections de 2013, malgré des prises de position en faveur d’un gouvernement dit « noir-vert » de la part de certains dirigeants écologistes, dont Daniel Cohn-Bendit. Une coalition « noire-verte » est au pouvoir dans le Land de Hesse, et une coalition « verte-noire » devrait être constituée dans le Bade-Wurtemberg, à la suite des élections du dimanche 13 mars, entre un parti vert qui a le vent en poupe et un parti chrétien-démocrate arrivé en deuxième position. Dans la législature précédente, les Verts gouvernaient le Land avec les sociaux-démocrates qui se sont effondrés. Ces changements montrent la plasticité des coalitions en Allemagne. « Nous sommes collègues, pas ennemis », a déclaré le président du parti écologiste, Cem Özdemir.
En 2013, ni Angela Merkel ni les Verts n’étaient prêts à franchir le pas. La chancelière a préféré le confort d’une grande coalition avec le SPD. Cette fois encore, elle a appliqué la stratégie de la « triangulation ». Dans le contrat de gouvernement, elle a accepté de nombreux points du programme social-démocrate, tels l’instauration d’un salaire minimum, la baisse de l’âge du départ à la retraite, les allocations familiales, les unions entre personnes du même sexe, la discrimination positive pour les femmes dans les entreprises, etc. Et beaucoup de ces réformes ont été mises en œuvre.
Le SPD a imposé ses revendications mais n’en a tiré aucun profit électoral. Au contraire Angela Merkel a consolidé sa popularité même si elle a provoqué une certaine grogne dans son propre parti qui ne se reconnait pas toujours dans ses prises de positions. Ayant écarté les uns après les autres ses rivaux ou rivales potentiels, elle peut se permettre d’agacer la vieille garde chrétienne-démocrate. L’échec de la CDU aux récentes élections de Rhénanie-Palatinat a encore éliminé une prétendante à la course à la chancellerie. Julia Klöckner, une jeune femme de 43 ans à laquelle les observateurs promettaient un grand avenir, n’a pas réussi à détrôner la chef social-démocrate du gouvernement régional.
Dans la crise des réfugiés, la chancelière mène une politique que l’on attendait plus de la gauche que d’un parti conservateur. Elle est d’ailleurs soutenue par le SPD et les Verts, auxquels s’ajoute un carré de fidèles. A contrario elle est critiquée mezzo voce par une partie de la CDU et plus ouvertement par la CSU bavaroise. Elle manœuvre habilement entre la fermeté sur ses principes d’ouverture et la Realpolitik qui la pousse à limiter le nombre des réfugiés arrivant en Europe et en particulier en Allemagne, tout en cherchant les moyens d’intégrer ceux qui s’y trouvent déjà. Et cet équilibre lui a permis de restaurer sa popularité.
La montée d’un parti de la droite extrême constitue certes un avertissement. Toutefois aucun challengeur n’apparaît à l’horizon et la fragmentation du paysage politique allemand multiplie les combinaisons gouvernementales possibles après les prochaines élections générales de 2017. Avec sa souplesse idéologique, Angela Merkel aura l’embarras du choix si elle décide de rester à la chancellerie pour un quatrième mandat.
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