Aubry et Hadopi edit

15 septembre 2011

Martine Aubry annonce vouloir abroger la loi Hadopi si elle est élue présidente de la République. Elle préconise l’instauration d’un prélèvement d’un euro sur l’abonnement Internet afin de financer les droits d’auteur et la création musicale. Que penser de ce projet qui revient à dépénaliser le téléchargement illégal ?

Aujourd’hui tout le PS rejette Hadopi et fait un pas résolu en faveur de la licence globale –même si, contrairement à François Hollande, Martine Aubry refuse cette référence sémantique. Plusieurs raisons expliquent cette unanimité. D’abord l’offensive électorale en faveur des jeunes. Ensuite, la mobilisation des artistes en faveur de cette loi sur la riposte graduée a faibli. Du côté des musiciens, en tout cas, la proposition Aubry a entraîné un silence sidéral – et sidérant.

Les détracteurs de la loi Hadopi ont toujours fait valoir son caractère antijeunes. Lors du débat parlementaire, Patrick Bloche remarquait que le peer-to-peer (donc l’échange gratuit de fichiers) avait permis à nombre d’adolescents d’origine défavorisée d’accéder plus largement à la culture musicale. Dans ses propos, Internet, par là même, gagnait presque ses galons d’outil intégrateur. Toutes les études le confirment, y compris la dernière en date financée par l’Autorité de régulation Hadopi et effectuée en octobre-novembre 2010, au moment des premiers envois d’avertissements par l’Autorité de régulation : les jeunes sont les premiers adeptes du téléchargement de fichiers. Ainsi cette étude révèle que 49% des internautes (nettement plus les hommes que les femmes) continuent de télécharger illégalement, de temps en temps ou fréquemment (13%). Et ce chiffre est plus impressionnant pour les 15-24 ans : 70% déclarent télécharger illégalement. Il est encore de 55% pour les 25-39 ans. Le motif le plus souvent invoqué est la cherté des biens culturels tant à l’unité qu’à l’abonnement (« Biens culturels et usages d’internet, pratiques et perceptions des internautes français », janvier 2011).

Surtout, le dispositif de la riposte graduée atteint-il son objectif, décourager le piratage et pousser le consommateur à rémunérer la création musicale ? Sa mise en marche démarre lentement : l’instance Hadopi qui devait envoyer 10 000 lettres par jour de mise en garde contre des téléchargements illégaux en adresse, de fait, un nombre beaucoup plus faible. Par ailleurs son impact est difficile à évaluer.

La promulgation de cette loi dissuade-t-elle de télécharger illégalement ? 42% des sondés de l’étude lancée par la Hadopi en 2010 indiquaient que la loi les dissuaderait de consommer illégalement des produits culturels, mais cette affirmation était plus nette chez les internautes qui ne le font jamais. Une seconde vague de sondages, lancée par la Hadopi fin mars 2011, signalait toutefois que la loi contribuait à réduire les comportements illicites : sur 93% des internautes ayant dit consommer de façon illicite, 38% affirment avoir arrêté et 55% reconnaissent agir avec modération (« Biens culturels et usages d’internet : pratiques et perceptions des internautes français », Hadopi, mai 2011, étude réalisée en ligne du 23 mars au 1er avril 2011 auprès de 1500 internautes).

Les « pirates » auraient-ils acheté les biens culturels numérisés qu’ils se sont procurés gratuitement sur le Net si cette opportunité de gratuité ne s’était pas présentée ? Les sondages indiquent que seule une minuscule poignée de consommateurs l’auraient fait. Se procurer gratuitement des biens numérisés relève d’un simple clic, d’une opportunité, et ne remplace pas un acte d’achat. Au total, on peut cesser de pirater sans pour autant acheter davantage de musique : en ce sens l’effet de dissuasion Hadopi peut se révéler mineur pour les artistes. Les adeptes de téléchargement illégal sont-ils donc des acheteurs fréquents de CD ? Apparemment oui : les adeptes du téléchargement illicite dépensent en moyenne davantage pour se procurer des produits culturels que ceux qui ne s’approvisionnent que sur des sites licites (étude Hadopi novembre 2010).

De fait, la réalité des comportements est difficile à saisir. Les imprécisions des études sont dues à différents facteurs, en particulier à la faible fiabilité des réponses et, dans certaines enquêtes, à la fréquente confusion entre population globale et population internaute (un peu moins du tiers de la population française n’est pas internaute en 2011). D’un côté, il est certain que le changement de mode de consommation de l’industrie musicale a fait chuter les ventes de CD, entraînant ainsi une réduction drastique des recettes de l’industrie musicale : son chiffre d’affaires a diminué de plus de moitié depuis le début des années 2000. En 2010, cette tendance a perduré : avec un chiffre d’affaires de 554 millions d’euros, le marché français de la musique enregistrée connaît une baisse de 6% par rapport à 2009. Les ventes de musique dématérialisée (sonneries, téléchargements, abonnements) représentent 88 millions d’euros, soit 16% (contre 13% en 2009) de ces revenus (chiffres du SNEP, Midem 2011). Toutes les recettes liées à internet (publicité notamment captée par le streaming, ventes de musiques numérisée, ou carte musicale instituée par le gouvernement en septembre 2010) sont loin de compenser les pertes. D’un autre côté, il est tout aussi certain que grâce au numérique l’écoute de musique a explosé, que des artistes en herbe ont pu accéder plus facilement à la visibilité et que, plus généralement, Internet encourage les initiatives d’amateur.

Le flou qui entoure les résultats des études et les effets contrastés de la mise en place de Hadopi aboutissent à ce que cette loi demeure soit mal comprise, soit franchement impopulaire. La position sans nuance de la part du PS contre Hadopi se comprend dans un tel contexte. En revanche la contribution à un euro risque aussi de faire grincer des dents. D’une part, elle serait infligée à tout le monde, y compris à ceux qui ne téléchargent pas : elle prend ainsi l’allure d’un impôt culturel. D’autre part, l’incertitude demeure sur le rendement de cette disposition qui intensifierait le téléchargement et accélérerait encore la réduction des achats de CD. En outre, la clef de répartition entre ayants droit n’est pas définie et les modalités et le coût de la gestion globale de ce mécanisme, pas davantage. En revanche, les 70 millions que coûte actuellement la gestion d’Hadopi réduiraient les dépenses publiques d’autant et seraient reversés en partie à la CNIL selon le projet Aubry.

Cette disposition pourrait-elle orienter le vote des jeunes en faveur du PS ? Compte tenu de l’humeur anti-Hadopi qui règne dans la communauté des jeunes internautes, compte tenu de la puissance fédératrice de la musique sur la planète des ados, la réponse est oui.