Peut-on superviser les banques sans argent ? edit

26 octobre 2012

L’intégration des marchés bancaires et financiers en Europe a longtemps progressé sans que les Etats membres ne consentent à mettre en place un véritable système européen de supervision. La crise a cependant accéléré la réforme institutionnelle en la matière. Le Parlement et le Conseil européens ont institué en novembre 2010 une Autorité bancaire européenne (ABE), une Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles, une Autorité européenne des marchés financiers, accompagnés d’un comité mixte des autorités européennes de surveillance et d’un Comité européen du risque systémique (CERS). Les trois autorités de supervision européennes et le CERS sont entrés en activité en janvier 2011 et remplacent depuis lors les anciens comités de surveillance dont les prérogatives étaient moindres.

Pour faire fonctionner ce dispositif, il a été convenu au sein du Conseil en juin 2010 que les États membres devaient « instaurer des systèmes de prélèvements et de taxes sur les établissements financiers afin d’assurer une répartition équitable des charges et d’inciter les parties concernées à contenir les risques systémiques ».

La plupart des pays européens sont a priori favorables à ce principe puisqu’ils sont eux-mêmes nombreux à avoir opté pour la contribution des établissements financiers au financement de leurs autorités de supervision. En France, c’est d’ailleurs ainsi qu’est financée l’ACP depuis 2010  son budget provient d’une contribution pour frais de contrôle recouvrée par la Banque de France auprès des organismes assujettis et intégralement affectée à l’ACP. Des dotations additionnelles de la Banque de France peuvent venir compléter ce budget. En 2011, le total des contributions s’est élevé à 162,4 millions d’euros pour un ensemble de dépenses de 172,1 millions d’euros.

Au niveau européen, il conviendrait d’exploiter davantage ce dispositif, comme les textes le permettent, pour assurer l’autonomie budgétaire des autorités de surveillance. Le fait que le budget des superviseurs ne dépende plus du budget des Etats est important pour l’indépendance de ces instances. Les économistes ont coutume de souligner que l’indépendance des banques centrales est indispensable à la bonne conduite de leur mission (en particulier pour rendre crédible leur capacité à lutter contre l’inflation). Ne pas se soumettre à l’influence des pouvoirs politiques est aussi essentiel pour les autorités de surveillance. De même qu’il leur faut aussi résister à l’influence grandissante des lobbies bancaires. Tout comme Kenneth Rogoff qui plaidait en faveur d’un banquier central conservateur pour asseoir l’indépendance de la politique monétaire, on pourrait souhaiter que les autorités de supervision soient dirigées par des personnalités connues pour leurs indépendance d’esprit et leur esprit critique à l’égard du secteur bancaire et financier. A cet égard, c’est peut-être aussi vis-à-vis des autorités de tutelle nationales qu’il faudra veiller à l’indépendance du superviseur européen, ce qui plaiderait en faveur d’un budget qui dépende directement d’un prélèvement auprès des banques et non pas auprès des superviseurs nationaux comme c’est le cas aujourd’hui.

L’autonomie vis-à-vis du budget des Etats ou de l’Union devrait aussi permettre au superviseur de se doter de moyens accrus. Les moyens financiers de l’autorité de surveillance déterminent pleinement sa faculté à payer ses salariés. Or il en va de l’efficacité de la supervision. La seule manière de ne pas éloigner les talents du contrôle des risques est de les rémunérer comme ceux qui s’investissent dans la prise de risque.

Comment faire pour augmenter le budget des autorités de supervision européennes ? Celui-ci repose aujourd’hui pour partie sur les contributions des autorités nationales, pour partie (plus de la moitié du budget de l’ABE) sur le budget européen. Or, il n’y a guère de marge de manœuvre de ce côté-là. La seule façon consiste donc pour le moment à augmenter la contribution des autorités nationales, et par là-même les prélèvements opérés sur les établissements assujettis. De ce côté, les marges de manœuvre existent car les taux de prélèvement sont très faibles, et se veulent d’ailleurs parfaitement indolores pour les établissements assujettis. En France par exemple, en ce qui concerne les banques, le taux de la contribution pour frais de contrôle des entités du secteur bancaire est fixé à 0,6 pour mille du montant des exigences en fonds propres ou à celui du capital minimum, avec une contribution minimale de 500 euros. Le taux de la contribution pour frais de contrôle applicable aux assurances est fixé à 0,12 pour mille du montant des primes ou cotisations émises, avec une contribution minimale de 500 euros.

Le taux appliqué aux banques et celui appliqué aux assurances sont uniformes. On pourrait tout à fait imaginer que le prélèvement opéré soit proportionné au coût de supervision des établissements. Celui-ci croît avec la taille, la gamme et la complexité des activités des établissements assujettis. Cela plaide pour une proportionnalité du prélèvement en fonction de ce qu’on pourrait appeler « la difficulté à superviser ». On peut également souligner l’intérêt qu’il y aurait à ajuster les contributions en fonction du cycle. Les périodes d’instabilité rendent la supervision plus coûteuse : plus de contrôles sur place et sur pièces à opérer, des stress tests à mettre en œuvre, etc. En prévision de ces coûts plus élevés en période d’instabilité, les prélèvements pourraient être augmentés en période calme. De manière plus générale, la flexibilité des contributions faciliterait une adaptation plus rapide des autorités de supervision aux évolutions de la sphère bancaire et financière.

C’est sur des moyens financiers et humains accrus, s’appuyant sur une contribution plus conséquente des autorités nationales, que l’ABE aurait pu mieux asseoir sa crédibilité. Il ne s’agit pas dire que l’on fait nécessairement mieux avec plus de moyens mais qu’on ne fait tout simplement rien sans un minimum de moyens. La question se posera dans les mêmes termes pour la BCE.

En bref, il nous semblerait opportun de financer l’intégralité des budgets des superviseurs nationaux et européens par des contributions obligatoires des banques, revues à la hausse et ajustables en fonction de la difficulté à superviser. Cela garantirait aux superviseurs l’autonomie budgétaire, les mettrait à l’abri des interférences politiques, et les doterait des moyens dont ils ont besoin pour faire du contrôle des risques une activité attractive.