Brexit: les propositions de Donald Tusk edit

18 février 2016

Le président du Conseil européen, Donald Tusk, a rendu publiques le 2 février dernier ses propositions (une version révisée a fuité dans la presse le 11 février) en réponse aux demandes que le Premier ministre britannique, David Cameron, avait exprimées en novembre dernier, afin que le Royaume-Uni reste dans l'Union européenne.

Ces propositions constituent la base des négociations entre les États membres lors du Conseil européen des 18 et 19 février. Elles portent sur la gouvernance économique, la compétitivité, la souveraineté, les prestations sociales et la libre circulation. Gouvernance et libre circulation sont les sujets les plus controversés.

Sur la gouvernance économique
Le texte présenté par Donal Tusk ne remet pas en cause le principe selon lequel l’euro est la monnaie de l’Union et reconnaît la nécessité d’approfondir l’UEM, à laquelle les Etats hors zone euro ne doivent pas faire obstacle. Le texte souligne la nécessité pour la zone euro de respecter le marché intérieur : il pourrait être clarifié que cette obligation n’est en rien limitée à la zone euro et que le Traité de l’UE ne prévoit pas de hiérarchie entre le marché intérieur et l’Union économique et monétaire (Voir l’article 3, paragraphes 3 et 4 du Traité de l’UE). De la même façon, les obligations des Etats hors zone euro en matière monétaire (par exemple en matière de politique de change, Article 142 du Traité sur le fonctionnement de l’UE) ne sont pas rappelées.

M. Tusk propose que les pays qui n'ont pas adopté la monnaie unique soient autorisés à faire remonter leurs inquiétudes au Conseil européen : cela ne doit en aucun cas être un frein à l'intégration de la zone euro. En particulier le seuil pour déclencher cette procédure ne devrait pas être fixé trop bas (le Royaume-Uni souhaite que la demande par un seul Etat soit suffisante).

Mais le diable est dans les détails et le texte initial pose plusieurs difficultés majeures.

Le texte prévoit que la supervision des établissements de crédits dans le cadre de l’Union bancaire ne s’appliquerait qu’aux banques localisées dans les Etats participants, ce qui poserait problème pour la supervision consolidées et la résolution des crises de groupes bancaires dont certaines filiales sont situées hors de l’Union bancaire (par exemple au Royaume-Uni).

Le texte indique que la stabilité financière est une compétence nationale pour les autorités hors zone euro, sans préjuger des compétences existantes des institutions de l’Union. Cela risque à la fois de remettre en cause les pouvoirs existants des autorités européennes de supervision (l’autorité bancaire européenne, l’autorité européenne des valeurs mobilières, l’autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles, le comité européen du risque systémique ; ces autorités ne sont pas des institutions de l’Union mais des agences) et donnerait de facto un droit de veto pour les États hors zone euro à toute tentative d’étendre les pouvoirs au niveau de l’Union en matière de supervision financière.

Le texte laisse la porte ouverte à l’adoption de règles différentes en matière financière pour les Etats hors zone euro, ce qui risque de créer des distorsions de concurrence au bénéfice de la City londonienne et le risque d’un moins disant réglementaire.

Le texte implique que les Etats hors zone euro ne porteraient pas la responsabilité budgétaire des mesures nécessaires pour assurer la stabilité financière de la zone euro. Cela crée le risque que la zone euro doive porter seule le fardeau financier de la résolution d’une crise d’établissements financiers qui ont une importance systémique pour la zone euro mais qui sont établis au Royaume-Uni et supervisés par les autorités britanniques (par exemples les chambres de compensation).

Dans cette perspective, le risque est celui d’un approfondissement d’une ligne de partage artificielle entre les « deux Europe » (marché intérieur et UEM) avec le risque d’incohérences réglementaires et de rupture des conditions d’égalité injustifiées au regard de l’intégration financière entre la zone euro et le Royaume-Uni.

Sur la compétitivité
Sur le plan économique : importance réaffirmée à l’objectif général d’approfondir le marché unique, compétitivité, libre-échange, simplification réglementaire. Il est notable que ce programme, qui converge avec les préférences économiques de la plupart des Etats membres, est peu détaillé et qu’aucun calendrier n’est mentionné. C’est regrettable car c’est sur ces aspects (à l’exception de TTIP) que les discussions auraient pu être les plus consensuelles et donner lieu aux engagements les plus concrets. Ceci aurait permis à David Cameron de disposer d’arguments positifs dans la campagne référendaire (en soulignant la valeur ajoutée pour l’économie britannique de la participation au marché unique).

Sur la souveraineté
A la demande de Londres d’être exempté de l’objectif historique d’ « union toujours plus étroite » inscrit dans les traités, le texte de Donald Tusk reprend  l’idée – déjà exprimée dans les conclusions du Conseil européen de juin 2014 – selon laquelle la notion d’union toujours plus étroite permet aux différents pays d’emprunter différentes voies d’intégration, en laissant aller de l’avant ceux qui souhaitent approfondir l’intégration, tout en respectant la volonté de ceux qui ne souhaitent pas poursuivre l’approfondissement.

Concernant le rôle des parlements nationaux, le texte actuellement disponible propose un « système de carton rouge », sur décision de 55% de l'ensemble des votes des parlements nationaux (le calcul est effectué sur la base de deux voix pour un Parlement monocaméral et d’une voix pour chacune des chambres d’un Parlement bicaméral), qui permettrait de stopper des projets législatifs de la Commission européenne.

Une telle procédure existe déjà partiellement sous la forme du « mécanisme d’alerte précoce » introduit par le Traité de Lisbonne qui n’a été utilisé que deux fois depuis 2010. Le premier cas, en 2012, concerna la proposition législative « Monti II » de la Commission ; le deuxième cas, en 2013, concerna la création du Parquet européen.

Le nouveau système de « carton rouge », qui reste flou dans son fonctionnement, n’introduit que des innovations limitées : l’allongement de la durée d’examen des projets d’actes législatifs par les parlements nationaux de 8 à 12 semaines ; l’engagement du Conseil à cesser l’examen des textes suscitant l’opposition de 55% des Parlements nationaux (la possibilité en est d’ores et déjà prévu par la procédure de carton orange). Il est notable que ce seuil est plus élevé que celui prévu par la majorité qualifiée au sein du Conseil (pour lequel l’opposition de 45% des Etats membres suffit à bloquer un texte), ce qui en diminue sensiblement l’impact probable.

En outre, si la démocratisation du fonctionnement de l’Union européenne réside, pour partie, dans le renforcement du contrôle des décisions européennes par les parlements nationaux, la valeur ajoutée que peuvent apporter les parlementaires nationaux ne réside pas tant dans un contrôle « limitatif » voire « négatif » des projets de normes communautaires que dans une approche constructive et positive des questions européennes, comme l’a montré l’exemple des Conventions. Ce serait là une voie à explorer davantage et qui permettrait d’échapper à la « démocratie du veto » ou du blocage.

Le mécanisme du « carton vert » est également une voie intéressante puisqu’il permettrait à un certain nombre (à définir) de parlements nationaux de demander à la Commission européenne de prendre l’initiative ; à titres d’exemples, le parlement britannique pourrait utiliser cet instrument pour lancer un projet de libéralisation des services plus ambitieux ou encore le parlement français pourrait l’utiliser pour lancer un processus de convergence de la fiscalité des entreprises ou / et de définition de standards sociaux minimaux, le cas échéant dans le cadre d’une intégration différenciée (coopération renforcée par exemple). 

Sur les questions de libre-circulation et des prestations sociales aux Européens résidant en Grande-Bretagne
Limiter les aides sociales aux migrants européens était considéré comme une ligne rouge par les partenaires européens de Londres. Pour les autres pays de l’UE, cette disposition risque en effet de porter atteinte à la libre circulation, une des quatre libertés fondamentales du marché européen, ainsi qu’au principe de non-discrimination. La proposition de Donald Tusk semble donc refléter une réelle évolution sur le sujet, avec la proposition d’un mécanisme de « frein d’urgence », pouvant bloquer les aides pendant une durée maximum de quatre ans en cas d’affluence exceptionnelle de migrants affectant des aspects essentiels du système de sécurité sociale. En outre, la Commission indique, dans une déclaration annexée à la proposition, que la situation actuelle est effectivement de cette  nature et permettrait donc au Royaume-Uni d’activer le frein d’urgence. Sur ce point, la proposition est proche de la demande de David Cameron et appelle plusieurs commentaires.

La solidité juridique de la proposition n’est pas suffisamment attestée. Un jugement de la Cour de justice de l’UE qui considérerait le frein d’urgence comme contraire aux traités après un référendum dans lequel le Royaume-Uni aurait décidé sur cette base de rester dans l’UE pourrait déclencher une crise politique majeure.

La définition de la « déstabilisation du marché du travail » et d’une situation d’une « ampleur exceptionnelle » est floue.

À ce stade, le texte ne garantit pas que les immigrés venant d’un Etat membre de l’UE ne soient pas moins bien traités que les immigrés venant d’un Etat hors UE.

On peut craindre que le frein d’urgence conduise à une surenchère populiste poussant les gouvernements nationaux à en faire utilisation de façon abusive par les uns et les autres avec le risque de conflits forts au Conseil, ce qui aboutira au même résultat : le détricotage d’une liberté et d’un acquis fondamentaux.

Le dispositif ne concernerait pas ceux qui sont déjà les immigrants déjà installés  et repose donc sur l’hypothèse de nouveaux flux massifs de migrants venant des pays d’Europe centrale (l’ironie étant que le Royaume-Uni n’avait pas instauré de clause de sauvegarde tandis que les autres « grands » Etats l’avaient décidé après 2004).

Enfin, quid des prestations sociales pour les Britanniques installés dans d’autres pays membres de l’UE (1 278 000, au total, dont 380 000 en Espagne, 173 000 en France et 100 000 en Allemagne, etc.) ?

Si David Cameron a considéré que le texte initial constituait un « accord équitable », il est sous la pression des eurosceptiques britanniques, qui ont déjà annoncé que les avancées étaient largement insuffisantes. La plate-forme pro-Brexit « Leave.EU » a par exemple fait savoir qu’elle considérait le mécanisme de frein d’urgence comme une  « farce ».

En outre, le texte de l’accord final ira probablement dans le sens d’une limitation des concessions obtenues par Cameron, ce qui pourrait être interprété comme une défaite de sa part. Dans ces conditions, il ne peut être exclu que Cameron adoptera une position dure lors du Conseil européen, refusant par exemple de faire campagne pour rester dans l’UE si les changements au texte initial sont trop importants.

À terme, le choix de David Cameron de mettre au centre de sa stratégie la renégociation avec ses partenaires européens – de façon à obtenir plus d’eux –, risque de se retourner contre lui. Le risque est que la campagne référendaire ne se focalise sur ce qu’il a réussi à obtenir dans la négociation ce qui pose deux problèmes majeurs : d’abord, il aura du mal à défendre ce qu’il a obtenu (cf. ci-dessus) ; ensuite, cela oblitère la vraie discussion sur l’intérêt à rester ou à sortir de l’UE.

Ces négociations ne sont de toute manière pas l’unique facteur qui va influencer le vote lors du référendum. Ce que réussira à obtenir Cameron ne sera jamais suffisant pour les eurosceptiques. Il faut par ailleurs être bien conscient que le référendum dépend en partie des négociations, mais aussi d’un débat politique national et d’un contexte européen très difficile, avec les suites de la crise grecque,  la menace terroriste, la crise des réfugiés et la pression sur Schengen. D’un autre côté la perspective d’une sortie de l’Union pourrait créer des tensions politiques (en reposant la question de l’indépendance de l’Ecosse, en large majorité attachée à l’UE) et financières au Royaume-Uni.