Etats-Unis - Russie: de la collusion à la collision en Syrie? edit

4 mai 2017

Cette interrogation est notamment celle du directeur de la Fondation Carnegie à Moscou, l’expérimenté Dimitri Trenin, même si ce dernier n’exclut pas un dénouement moins tragique. L’ancien ambassadeur américain en Russie (2012-2014) et professeur à Stanford, Michael McFaul, se réjouit pour sa part de voir ce que l’on pourrait considérer comme « la plus courte détente de l’histoire », du fait de la prise de distance de l’Administration américaine vis-à-vis de la Russie. Sommes-nous pour autant en train d’assister à une erreur d’aiguillage, amenant sur les mêmes rails et en sens contraire deux trains à pleine vitesse ?

De fait, trois scénarios principaux sont à explorer pour analyser les relations russes américaines à l’aune de la crise syrienne : celui de la collision, du chaos et de la coopération.

Le scénario de la collision s’appuie sur l’idée selon laquelle la guerre civile en Syrie n’a que trop duré – nous sommes maintenant entrés dans sa septième année – et nécessite une action résolue de la part des États-Unis. La Syrie a été le symbole d’une politique offensive de la Russie au Moyen-Orient, à la suite de la déclaration de Vladimir Poutine à l’Assemblée générale des Nations-Unies en septembre 2015. Cette initiative a remis la Russie au centre du jeu international après les épisodes de la guerre en Ukraine, où Moscou s’était grandement isolé. La Russie est une puissance  traditionnellement  implantée au Moyen-Orient, bien avant les développements liés à la Guerre froide : la société russe impériale avait des institutions diplomatiques, religieuses, culturelles présentes et actives en Syrie et en Palestine dès le XIXe siècle. Depuis quelques années, elle a choisi d’occuper un créneau qui était celui traditionnellement de la France, combinant volonté d’exercer des relations d’équilibre avec les puissances chiites et les puissances sunnites, tout en s’affirmant comme le défenseur des populations  chrétiennes du Moyen-Orient. La grande nouveauté réside finalement dans le risque djihadiste, bien réel, considérant le nombre de candidats issus de l’ancien espace soviétique. De ce fait, la présence russe au Moyen-Orient répond autant à une question de prestige international que d’équilibre intérieur, ce qui rend le scénario de la collision d’autant plus crédible.

Le second scénario est celui du chaos, alimenté par les mécanismes de prise de décision aux Etats-Unis, aux groupes autour du président et à l’imprévisibilité de Donald Trump lui-même. De fait, il convient de rappeler que la prise en compte d’une succession d’urgences humanitaires ne suffit pas à définir les ressorts d’une stratégie de long terme. L’indignation de Donald Trump contredit d’ailleurs la volonté de ne pas accueillir de réfugiés syriens sur son sol. Si le chaos est envisageable, c’est qu’il faut reconnaître que l’équipe Trump n’est pas encore totalement stabilisée. En effet, le président américain vit sous la menace d’une procédure d’impeachment, sur fond de collusion avec les intérêts russes. Plusieurs de ses proches et membres actifs de sa campagne ont fait l’objet d’attaques : son ancien conseiller Carter Page, son ancien Secrétaire à la Défense Michael Flynn, Jeff Sessions le Secrétaire d’Etat à la Jutice et Paul Manafort, son ancien directeur de campagne, en sont les meilleurs exemples. C’est un peu comme si le président était la victime d’un État profond s’opposant à une politique plus pragmatique avec la Russie, venant du Congrès, de la CIA et du FBI. Par ailleurs, on trouve autour de Donald Trump des globalistes tout autant que des représentants de la droite alternative (alt-right). Avec le départ de Bannon, cette dernière se trouve incontestablement fragilisée. En outre, les militaires américains, très présents au sein de l’administration, hésitent aujourd’hui sur diverses objectifs : le principal ennemi et soutien du terrorisme est-il Daesh ou l’Iran ? L’objectif est-il de détrôner Daesh ou d’entreprendre un changement de régime à Damas ? L’absence d’objectifs clairs et partagés ne peut que nourrir le chaos ambiant, compte tenu de la complexité du conflit lui-même.

Le troisième scénario, contre-intuitif à première vue, est celui de la coopération entre les deux membres du Conseil de Sécurité, résultant d’une nouvelle situation. À dire vrai, la Russie soutient l’État syrien reposant sur son armée plutôt que sur la seule personne de Bachar el-Assad. Les frappes américaines permettent de ce point de vue à la Russie d’exercer une pression directe sur le président syrien, qui est pour Moscou un allié difficile. Il faut d’ailleurs noter que si la Russie a qualifié le bombardement d’ « acte d’agression », sa réponse a été plutôt mesurée vis-à-vis des États-Unis, qui ont par ailleurs tout fait pour déminer les risques liés à l’opération. D’abord parce que la Russie n’a pas fait mine de mobiliser sa défense anti-aérienne sur place (les Russes n’ont de toute façon pas en Syrie les défenses anti-aériennes pour contrer une attaque avec des missiles de croisière), qui aurait pu mener à une escalade du conflit. Ensuite parce que la visite du Secrétaire d’État américain Rex Tillerson le 12 avril n’a pas fait l’objet d’une annulation. Qui plus est, Rex Tillerson a été accueilli par Vladimir Poutine lui-même pendant près de deux heures ; ce dernier a d’ailleurs eu la courtoisie de ne pas faire attendre son hôte, marque de respect loin d’être systématique. Donald Trump a toujours revendiqué des talents de négociation, et son imprévisibilité rentre sans doute dans cette équation. S’il devait mener des négociations dignes des meilleurs praticiens de la Realpolitik, il a dans ses équipes, entre Rex Tillerson, James Mattis, ou H. R. McMaster, des personnes chevronnées.

Ce paysage contrasté, où les variables sont multiples au niveau des dirigeants russes, des mécanismes de prise de décision aux Etats-Unis ou de l’évolution de la situation locale, où toutes les scénarios sont possibles et combinables, fait plus que jamais de la Syrie le laboratoire des relations russo-américaines.