L’Amérique vers une cohabitation explosive edit

25 octobre 2022

Quel usage le parti républicain fera-t-il de son pouvoir si, comme c’est presque certain, il prend le contrôle de l'une ou des deux chambres du Congrès lors des élections de mi-mandat en novembre – un succès facilité par ce que j'ai décrit ailleurs comme un coup d'État légal[1] ? En temps normal, le système américain de séparation des pouvoirs fait qu’une situation de cohabitation produise une impasse, un statu quo. Mais on peut craindre cette fois-ci que le résultat soit substantiel : les républicains utiliseront leur pouvoir au Congrès non seulement pour bloquer les initiatives présidentielles, mais aussi pour remodeler la politique américaine dans des directions réactionnaires, ultra-droitières et antidémocratiques.

La situation politique actuelle de l'Amérique est souvent décrite à travers l’image d’une polarisation partisane, résultat de la dérive des deux partis vers les extrêmes politiques. Toutefois, cela reflète une mauvaise compréhension de ce qui s'est passé. Si le parti démocrate s'est un peu déplacé vers la gauche, le Grand Old Party (GOP) est devenu un parti de droite radicale qui a violé les normes et procédures démocratiques en rejetant les résultats des élections et en participant à des insurrections. La journaliste Jennifer Rubin commente : « Ce n'est pas de la polarisation lorsqu'un parti reconnaît les résultats d'une élection démocratique et que l'autre ne le fait pas. C'est une radicalisation du GOP[2]. » Dans le même temps, le GOP a adopté des politiques sociales et économiques racistes, xénophobes, homophobes et réactionnaires. Bien que le virage du parti vers l'extrême droite ait largement précédé l'ascension politique de Donald Trump, il s'est accéléré depuis son élection en 2016 et a atteint de nouveaux sommets (ou, plutôt, de nouvelles profondeurs) depuis sa défaite en 2020[3]. D'autres réactions et régressions sont probables après les élections de mi-mandat, lorsque le Parti républicain gagnera un substantiel pouvoir supplémentaire, et lorsqu'il deviendra encore plus extrême et réactionnaire parce que des candidats ultra-droitiers au Congrès, qui ont récemment remporté les primaires du GOP contre des titulaires moins extrêmes, seront élus.

Si le GOP prend le contrôle de l'une ou l'autre ou des deux chambres du Congrès en novembre, on peut s’attendre à différents développements.

Tout d’abord, en bloquant les initiatives du président Joseph Biden pour faire face au changement climatique et répondre aux défis touchant à l'économie, à la santé publique et à la gouvernance démocratique, le GOP exacerbera ces graves crises pour le reste du mandat de Biden.

Ensuite, l'influence du parti républicain ira bien au-delà du blocage des propositions démocrates. Les républicains du Congrès obtiendront un levier pour remodeler les politiques publiques lors des négociations budgétaires annuelles. Si le président Biden rejette les demandes d'extrême droite du GOP et qu'au moins une chambre refuse d'approuver le budget, une grande partie de l'activité gouvernementale sera interrompue. En outre, si le GOP choisit de s'opposer au relèvement du plafond de la dette du gouvernement fédéral, comme les dirigeants en font planer la menace, la faillite du gouvernement américain qui en résulterait créerait une crise financière sans précédent aux États-Unis et dans le monde.

Quels types de changements politiques le GOP exigera-t-il ? Le document publié en septembre 2022 par les dirigeants républicains de la Chambre des représentants, intitulé « Commitment to America », énumère les priorités du parti. La plateforme est courte en propositions concrètes, à la fois en raison des divisions au sein du parti républicain et parce que de nombreuses priorités républicaines sont très impopulaires, notamment de nouvelles restrictions à l'avortement, des politiques d'immigration draconiennes, des politiques fiscales régressives et des coupes sombres dans les dépenses sociales. Mais il y a un objectif sur lequel le parti est très clair. Comme l'observe le chroniqueur E. J. Dionne Jr., les dirigeants du GOP « se sont vraiment engagés à faire de Washington un champ de bataille sans pitié[4] ». Autrement dit, le parti utilisera son pouvoir considérable pour poursuivre la politique du pire.

Un Sénat dominé par les républicains refuserait probablement l'approbation nécessaire à de nombreux candidats du président Biden à la magistrature fédérale et aux postes exécutifs, paralysant ainsi le gouvernement fédéral.

Des enquêtes partisanes. Les futurs présidents républicains des commissions du Congrès ont annoncé leur intention de lancer des enquêtes partisanes pour discréditer l'administration Biden[5]. On peut s’attendre à une concurrence acharnée entre les présidents républicains des commissions du Congrès pour obtenir une attention maximale des médias. Plus extrême encore, plusieurs dirigeants républicains préviennent qu'une Chambre des représentants contrôlée par les républicains pourrait lancer une procédure d’impeachment contre le président Biden (une action qui ne nécessite qu'une majorité simple de la Chambre des représentants).

Une réponse efficace des démocrates aux développements décrits ici semble peu probable, étant donné la perspective que le GOP remportera les élections de mi-mandat par tous les moyens. Il n'y a pas non plus eu de mouvement populaire suffisamment large et puissant pour contrer le coup d'État lent et bien organisé du GOP.

Si cette sombre analyse suggère l'ampleur des enjeux du 8 novembre, le pire se produira sans aucun doute si le lent coup d'État de Trump réussit en 2024 et qu'il est réélu président[6]. Si la réaction devient une catastrophe, Trump et le GOP auront provoqué la crise politique la plus grave aux États-Unis depuis la guerre civile.

[1]. Voir mes articles précédents, « Le risque d’un coup d’État légal aux Etats-Unis », Telos, 11 octobre 2021 ; « États-Unis : un coup d’Etat légal… au ralenti », Telos, 11 janvier 2022 ; et « Le populisme, une réponse à la crise de la politique ? », in Regards croises USA-France, Mouvements et politique en temps de crise », sous la direction de Daniel Cirera, Guy Groux, et Mark Kesselman (Paris, Editions de l’Arbre bleu, 2022). Bien que cet article se limite aux conséquences du contrôle du Congrès par les Républicains, une question connexe concerne les actions des Républicains dans la grande majorité des États où les responsables gouvernementaux du GOP sont puissants. Des fonctionnaires peu scrupuleux du GOP pourraient utiliser leur pouvoir de manière frauduleuse pour certifier une victoire républicaine, par exemple, lors du vote populaire pour les électeurs présidentiels au Collège électoral.

[2]. Jennifer Rubin, « Forget ‘polarization.’ The problem is right-wing extremism », Washington Post, 28 septembre 2022.

[3]. Pour une analyse précoce de ce phénomène, voir Thomas E. Mann and Norman J. Ornstein, It’s Even Worse Than It Looks: How the American Constitutional System Collided with the New Politics of Extremism (New York, Basic Books, 2016). On peut citer aussi Peter Baker et Susan Glasser, The Divider: Trump in the White House, 2017-2021 (New York, Doubleday, 2022) ; David Corn, American Psychosis: A Historical Investigation of How the Republican Party Went Wrong (New York, Twelve Books, 2022) ; Robert Draper, Weapons of Mass Delusion: When the Republican Party Lost its Mind (New York, Penguin, 2022) ; Maggie Haberman, Confidence Man: The Making of Donald Trump and the Breaking of America (New York, Penguin Press, 2022) ; et Dana Milbank, The Destructionists: The Twenty-Five Year Crack-Up of the Republican Party (New York, Doubleday, 2022). Sur Telos, on peut aussi lire l’article d’Antoine de Tarlé, « Etats-Unis : les choix du Parti républicain », Telos, 17 mai 2022.

[4]. E. J. Dionne Jr., « The GOP’s ‘Commitment’ is to total political warfare », Washington Post, 25 septembre 2022. Voir aussi Jonathan Weisman, « Why a narrow hard-right G.O.P. House majority could spell chaos », New York Times, 8 septembre 2022.

[5]. Robert Kuttner, « The coming Republican Inquisition », The American Prospect, 30 août 2022.

[6]. Voir David Montgomery, « What will happen to America if Trump wins again? Experts weigh in », Washington Post, 10 octobre 2022.