Commerce mondial : pourquoi l'Afrique est-elle marginalisée ? edit

9 décembre 2007

Au moment où s'ouvre le sommet Europe-Afrique de Lisbonne  il est opportun de s'interroger sur  la capacité de l'Afrique à tirer son épingle du jeu dans le commerce mondial. Dans le débat sur les mérites respectifs de l'aide et du commerce, ceux qui considèrent que l'aide est inefficace soutiennent en effet que les perspectives africaines en matière de commerce sont réelles ; ou en tout cas qu'elles pourraient être améliorées en jouant sur l'accès au marché, principalement via des préférences discriminatoires vis-à-vis du reste du monde.

La question de la marginalisation croissante de l'Afrique dans le commerce mondial est avérée. La part du continent dans les exportations mondiales a fortement décliné, passant de 5,5 % en 1975 à environ 2,5 % en 2002. Cette marginalisation est souvent examinée en s'intéressant à l'accès insuffisant aux marchés extérieurs dont seraient victimes les pays africains, ou à la taille économique relative de ces pays, en retard de croissance sur les émergents. Une étude récente suggère que la participation de l'Afrique aux échanges dépend aussi d'autres facteurs.

Les données sur les droits de douane moyens supportés par les exportations des pays en développement font apparaître des logiques contrastées. En moyenne, l'accès au marché des pays africains est meilleur que celui de l'Amérique latine, de l'Asie, et de la région Pacifique. Il y a cependant des variations significatives entre les différents pays du continent. Nous observons que 21 d'entre eux bénéficient d'un meilleur accès que la moyenne mondiale, et parmi ceux-ci que 11 pays ne voient leurs exportations taxées qu'à hauteur de 2%. En revanche 32 pays ont un accès au marché en dessous de la moyenne mondiale, 13 d'entre eux supportant des taxes à l'exportation moyennes de plus de 10%, le Malawi détenant le record avec un tarif moyen de 23 %.

Ce tableau contrasté résulte de deux effets différents. En premier lieu, les pays qui sont extrêmement spécialisés dans les produits agricoles très protégés, comme la viande, le lait, le sucre, ou certaines céréales, sont pénalisés, tout comme ceux qui exportent vers des pays protectionnistes. Il s'agit de ce que l'on pourrait appeler un " effet de structure ". En même temps, l'accès préférentiel donné par différents pays à travers le monde fait diminuer la valeur moyenne des taxes à l'exportation, pour les pays à lesquels cet accès est accordé, à structure donnée de leurs exportations. C'est que nous appellerons la " vraie marge de préférence ".  La marge de préférence observée est donc la combinaison d'une vraie marge, et d'un effet de structure.

Les pays africains sont avantagés quand ils sont spécialisés dans le pétrole, le gaz, et les matières premières qui ne sont pas hautement taxées dans le monde : l'Angola, le Tchad, la République démocratique du Congo et la Libye sont dans cette situation. A l'inverse, l'effet de structure est défavorable pour le Bénin, le Malawi, l'Ile Maurice, le Swaziland ou le Togo, qui sont pénalisés du fait de leurs spécialisation dans des produits faisant face à une forte protection, que les préférences ne compensent que partiellement.

En réalité, offrir des préférences améliorées, pour passer à travers les mailles de la protection là où elle reste présente, ne réglerait que très partiellement le problème d'exportation de l'Afrique. C'est ce que montre une étude récente de l'International Food Policy Research Institute. Un modèle économétrique explique le commerce bilatéral (c'est-à-dire les échanges entre deux pays), comme une fonction des coûts au commerce (coûts de transport ou barrières protectionnistes) et de la taille économique des deux pays. Une variable contrôle de surcroît si l'exportateur est un pays africain afin de répondre à la question : toutes choses égales par ailleurs, les pays africains sont-ils oui ou non face à un problème d'exportation ?. Globalement, si l'on ne prend pas compte l'impact des infrastructures locales, dont la mauvaise qualité en Afrique plombe les exportations, le coefficient de la variable " Afrique " est bien négatif et statistiquement significatif. Nous avons là l'illustration de ce que la taille économique, la distance géographique et l'accès aux marchés étrangers n'expliquent pas entièrement la mauvaise performance des pays africains en matière de commerce. Si l'on prend en compte les infrastructures locales (transports par air et par route, infrastructures de communications), la variable " Afrique " perd beaucoup de son pouvoir explicatif.

Ayant établi que ces infrastructures sont un facteur de mauvaise performance commerciale, notons toutefois que différentes interactions sont possibles entre elles. En considérant la densité du réseau routier et le taux d'équipement en téléphones mobiles et en estimant leur impact sur le commerce, sans supposer dans un premier temps l'existence d'une substitution ou d'une complémentarité entre ces deux types d'infrastructures, nous montrons que l'impact de la densité des téléphones portables s'élève significativement en fin de période. Puisque la densité des portables a augmenté significativement ces dernières années, ceci montre l'existence d'effets de réseau : un même taux d'augmentation dans la densité des téléphones portables aura aujourd'hui un effet beaucoup plus fort, étant donné le nombre bien plus élevé à présent des utilisateurs de portables.

En allant plus loin dans l'exercice, on peut examiner ce qui se passerait si tous les pays de l'échantillon avaient la même densité de routes ; on évalue ensuite l'impact marginal de l'équipement en téléphones portables, avec un niveau de densité de routes égal à 50% de la moyenne de l'échantillon, puis à 90%. Le résultat est clair : l'impact marginal de l'équipement en portables augmente avec la densité de routes. Cela suggère que la route et les infrastructures de téléphonie mobile sont complémentaires.

Quelle interprétation tirer de ces résultats, en termes de politique économique ? Même si offrir de meilleures préférences commerciales irait vers une amélioration des niveaux d'exportations, il est probable que la performance de l'Afrique en termes d'exportations resterait décevante, et ce du fait du niveau des infrastructures. C'est donc bien du côté d'interventions visant à améliorer le niveau et la qualité des infrastructures que l'effort devrait plutôt se porter.