Sortie de crise : le travail n’est pas terminé edit

15 octobre 2010

Assurer une « reprise mondiale forte, équilibrée et durable», ainsi que le demandait le G20 à Pittsburgh, est un défi de taille pour les décideurs. Deux axes doivent être privilégiés : un rééquilibrage interne – en substituant aux dépenses publiques la demande du secteur privé – et un rééquilibrage externe – en s’attaquant aux déséquilibres mondiaux entre pays exportateurs et importateurs. Mais sur ces deux points nous allons trop lentement.

Personne n’a jamais cru qu’il serait facile d’assurer une « reprise mondiale forte, équilibrée et durable ». En effet, cet objectif exige bien plus qu’un simple retour aux affaires courantes. Comme le précise le World Economic Outlook du FMI publié début octobre (Recovery, Risk, and Rebalancing, le double rééquilibrage qu’il implique est à la fois fondamental et complexe.

Il y a d’abord un rééquilibrage interne. Lorsque la demande privée s’est effondrée, la relance budgétaire a contribué à réduire la chute de la production. Cela a permis d’éviter le pire. Mais la demande privée doit maintenant devenir assez forte pour être le principal moteur de la croissance, tandis que la relance budgétaire cède la place à une consolidation budgétaire.

Il y a aussi un rééquilibrage externe. De nombreux pays avancés, notamment les États-Unis, ont trop compté sur la demande intérieure avant la crise, et ils doivent désormais compter davantage sur leurs exportations nettes. De nombreux pays émergents, notamment la Chine, avait trop compté sur leurs exportations nettes, et ils doivent maintenant se tourner vers la demande intérieure.

Or ce double rééquilibrage est aujourd’hui trop lent.

Dans les pays avancés la demande intérieure privée reste faible. Cela reflète à la fois une correction des excès d’avant la crise et les cicatrices de la crise. Les consommateurs américains qui avaient trop emprunté avant la crise épargnent davantage et consomment moins. Bien que ce soit bon pour le long terme, cela constitue à court terme un frein à la demande. Le boom de l’immobilier a cédé la place à une spirale de baisse des prix, l’investissement en logements restera déprimé pendant un certain temps, et les faiblesses du système financier pèsent encore sur l’octroi de crédits.

Le rééquilibrage externe reste lui aussi limité. Les exportations nettes des pays avancés ne contribuent pas à leur croissance, et le déficit commercial des États-Unis, en particulier, reste important. De nombreux marchés émergents continuent à présenter d’importants excédents du compte courant, répondant aux entrées de capitaux principalement par l’accumulation de réserves plutôt que par une appréciation de leurs monnaies. Les réserves de changes internationales sont plus élevées qu’elles ne l’ont jamais été et elles continuent à croître.

Le résultat est une reprise qui n’est ni forte, ni équilibrée, et qui court le risque de ne pas être soutenue. L’an dernier, l’accumulation des stocks et la relance budgétaire ont été le moteur de la reprise. La première touche naturellement à sa fin. La seconde se termine elle aussi. La consommation et l’investissement doivent désormais prendre le relais. Mais, dans les économies les plus avancées, la consommation et l’investissement restent faibles, ce qui, combiné avec la médiocre amélioration des exportations nettes, conduit à une faible croissance. Le chômage reste élevé, et il baisse très peu.

En revanche, dans de nombreux pays émergents, où les excès ont été limités et où les cicatrices de la crise ne sont pas trop profondes, la consommation, l’investissement et les exportations nettes contribuent tous à une forte croissance, et la production est à nouveau proche de son potentiel.

Quelle sont les implications de cette situation en termes de politique ?

Tout d’abord, là où la demande privée reste faible, les banques centrales devraient poursuivre une politique monétaire accommodante.

Nous devons cependant être réalistes. Il est difficile de faire plus, et nous ne devrions pas trop attendre de nouvelles mesures d’assouplissement quantitatif ou d’une facilitation du crédit. Bien qu’il n’y ait encore aucune preuve que le maintien de taux d’intérêt faibles conduise à une prise de risque excessive, si ces risques se matérialisaient, ils devraient être traités grâce à des mesures macroprudentielles, et non par des hausses des taux directeurs.

Deuxièmement, et là où c’est nécessaire, les gouvernements doivent poursuivre à la fois la réparation des dégâts de la crise et les réformes financières.

De nombreuses banques n’ont pas suffisamment de capital, et le resserrement du crédit pèse sur certains segments de la demande. La titrisation, qui devra demain jouer un rôle important dans tout système financier, est toujours moribonde. Les réformes financières se poursuivent, mais des questions demeurent à propos des institutions trop grandes pour faire faillite, sur le périmètre de la réglementation et les questions transfrontalières. Plus vite on réduira les incertitudes sur la réforme, plus vite le système financier sera en état de soutenir la demande et la croissance.

Troisièmement, et là encore à chaque fois que cela sera nécessaire, les gouvernements doivent s’attaquer à l’assainissement budgétaire.

Ce qui est essentiel ici n’est pas tant d’éliminer dès aujourd’hui les mesures de relance budgétaire, que de proposer un plan crédible, à moyen terme, pour la stabilisation de la dette, puis pour sa réduction. De tels plans peuvent comporter des règles budgétaires, la création d’agences indépendantes, et des réformes progressives des systèmes sociaux. Dans la plupart des pays, tout ou presque reste à faire. Et pourtant ces mesures sont essentielles car une fois mises en œuvre elles donneront aux gouvernements des marges de manœuvre budgétaires accrues pour soutenir la croissance à court terme.

Quatrièmement, les pays émergents qui ont des excédents de compte courant doivent accélérer le rééquilibrage.

Ce n’est pas seulement dans l’intérêt de l’économie mondiale, mais aussi dans leur propre intérêt. Dans beaucoup de ces pays, les distorsions ont conduit à un niveau trop bas de la consommation, ou à un trop faible niveau d’investissement. La suppression de ces distorsions, qui permettra à la consommation et à l’investissement de croître, est hautement souhaitable. Dans une large mesure, les forces du marché, sous la forme d’entrées massives de capitaux, poussent ces pays dans la bonne direction. Cependant, dans la mesure où ils ne permettent pas un ajustement suffisant de leur taux de change, certains pays exacerbent les difficultés subies par d’autres pays. L’utilisation des réserves devrait être limitée, et le rôle des contrôles de capitaux, le cas échéant, devrait être de diriger les flux en accord avec les préoccupations macroprudentielles, et non d’empêcher les ajustements nécessaires des taux de change.

Tous ces éléments sont largement interconnectés. Si les pays avancés ne peuvent compter sur une demande privée plus forte, à la fois domestique et extérieure, il leur sera difficile de parvenir à la consolidation budgétaire. Et les inquiétudes sur les risques souverains peuvent facilement faire dérailler la croissance. Si la croissance s’arrête dans les pays avancés, les pays émergents auront du mal à y échapper. Ces risques de rechute, qui ont été décrits dans le Global Financial Stability Report, ne doivent pas être ignorés.

Le besoin de politiques bien conçues au niveau national et celui d’une coordination au niveau mondial sont peut-être encore plus importants aujourd’hui qu’ils ne l’étaient à l’apogée de la crise il y a un an et demi.

Une version anglaise de ce texte est publiée par notre partenaire VoxEU.