Inflation : faut-il faire sauter le verrou des 2 % ? edit

26 février 2010

La crise a montré que la politique macroéconomique doit avoir des cibles nombreuses ; la bonne nouvelle, c’est qu'elle nous a rappelé aussi que nous avons beaucoup d'instruments, de la politique monétaire « exotique » aux instruments fiscaux, en passant par les outils de régulation. Il faudra du temps et un réel effort de recherche pour déterminer quels instruments conviennent le mieux à une cible donnée. On peut toutefois dès aujourd'hui proposer quelques pistes sérieuses.

Il convient d’abord de rappeler qu’il ne faudrait pas jeter le bébé avec l'eau du bain. La plupart des éléments qui faisaient consensus avant la crise tiennent toujours. En particulier, les cibles ultimes restent le niveau d’activité et la stabilité des prix. Maintenir une inflation faible et stable doit rester un objectif majeur de politique monétaire. La soutenabilité des politiques fiscales est non seulement essentielle pour le long terme, mais elle affecte aussi les attentes à court terme. Un certain nombre de questions sont en revanche ouvertes.

Quel devrait exactement le niveau des cibles d’inflation ? La crise a montré que des chocs majeurs peuvent survenir. Les décideurs devraient-ils viser une cible d'inflation plus élevée en temps normal, afin d’augmenter leurs marges de manœuvre en cas de choc ? Les coûts nets de l’inflation sont-ils beaucoup plus élevés avec un taux de 4%, par exemple, qu'avec la cible actuelle de 2% ? Est-il plus difficile de contrôler les anticipations des agents à 4% qu'à 2% ? Parvenir à une inflation basse, grâce à l'indépendance des banques centrales, a été un accomplissement historique. Répondre à ces questions implique donc de repenser soigneusement les avantages et les coûts de l’inflation. Une question liée est de savoir si, quand le taux d'inflation tombe très bas, les décideurs devraient s’autoriser une politique monétaire plus souple, afin de minimiser la probabilité de déflation, même si cela signifie de courir le risque d’une remontée de l’inflation en cas d'une hausse subite de la demande. Ce problème, qui occupait la Réserve Fédérale au début des années 2000, est l’un de ceux que nous devons aujourd’hui chercher à résoudre.

Comment combiner politique monétaire et politique régulatrice ? Une partie du débat sur la politique monétaire, même avant la crise, était de savoir si la fixation des taux d’intérêt devait être guidée aussi par l’évolution du prix des actifs financiers. La crise a ajouté un certain nombre de candidats à la liste, de l'effet de levier aux mesures du risque systémique. Or cela semble une mauvaise façon d'aborder le problème. Les taux d’intérêts sont un outil insuffisant pour décourager les excès dans la prise de risque ou l’effet de levier, insuffisant pour corriger les déviations apparentes du prix des actifs par rapport à leurs fondamentaux. Et une hausse des taux d’intérêts implique aussi d’élargir l’output gap.

D’autres instruments sont à la disposition des décideurs ; appelons-les des outils régulateurs cycliques. Si l'effet de levier apparaît excessif, les règles sur les ratios de capitaux peuvent être durcies ; si les liquidités paraissent trop peu abondante, des règles sur les ratios de liquidités peuvent être introduites et, au besoin, durcies ; pour calmer les prix immobiliers, on peut jouer sur les règles régissant les proportions entre le montant de l’emprunt et la valeur du bien ; pour limiter les hausses des valeurs boursières, on peut augmenter les dépôts de garantie obligatoires. Si les outils monétaires et la régulation sont ainsi combinés, il s’ensuit que les cadres régulateurs et prudentiels traditionnels doivent acquérir une dimension macroéconomique. Cela pose un problème : comment amener les autorités monétaires et les autorités de régulation à coordonner leur action ? La tendance à la séparation entre ces instances qu’on observait depuis plusieurs décennies pourrait bien s’inverser. Et les banques centrales sont un candidat évident au rôle de régulateur macroprudentiel.

Une autre question se pose. Faut-il fournir les liquidités plus largement ? La crise a forcé les banques centrales à accroître leur rôle traditionnel de prêteurs de dernier ressort. Elles ont étendu leur soutien en liquidités à des institutions financières non-bancaires, elles sont intervenues directement (avec des achats) ou indirectement (en acceptant des actifs comme collatéral) sur plusieurs marchés d’actifs. Il semble raisonnable d’élargir, même en temps normal, la fourniture de liquidités par la banque centrale.. Si les problèmes de liquidité viennent de la disparition des gros investisseurs privés qui se retirent de marchés spécifiques, ou des problèmes de coordination de petits investisseurs comme dans les paniques bancaires traditionnelles, l'autorité centrale est dans une position unique pour intervenir.

Comment pouvons-nous créer des marges de manœuvre budgétaires quand tout va bien ? Une leçon majeure de la crise est qu’il est très utile de disposer de marges de manœuvres budgétaires si l’on veut pouvoir creuser les déficits quand c’est nécessaire. En allant plus loin, le degré d'ajustement budgétaire nécessaire (une fois que la reprise sera assurée) sera effrayant, quand on considère qu’il faudra réduire la dette tout en relevant le défi du financement des retraites et des services de santé dans un contexte de vieillissement démographique. Une leçon de la crise est que les objectifs de dette publique devraient être plus bas qu’avant la crise. Les implications pour les prochains dix ou vingt ans sont que, quand les conditions cycliques le permettent, un ajustement fiscal majeur est nécessaire. Si la croissance économique reprenait rapidement, il faudrait en profiter pour réduire substantiellement la charge de la dette par rapport au PIB, au lieu de financer des dépenses supplémentaires ou des baisses d'impôt. La recette consistant à s’assurer que les périodes de forte croissance se traduisent par une amélioration des positions fiscales n'est pas nouvelle, mais elle a encore gagné en pertinence. Cela conduit à insister sur la pertinence des programme budgétaires pluri-annuels et l’importance à prendre des engagements crédibles pour réduire le ratio dette PIB et de la transparence des données fiscales. On peut imaginer des règles budgétaires plus strictes (avec des clauses dérogatoires en cas de récession).

Enfin, pouvons-nous concevoir de meilleurs stabilisateurs automatiques ? Les mesures fiscales discrétionnaires viennent souvent trop tard pour combattre une récession standard. Pouvons-nous fortifier et améliorer les stabilisateurs automatiques ? Il faut distinguer les stabilisateurs véritablement automatiques – ceux qui impliquent une diminution des transferts ou l'augmentation des revenus d'impôt quand les revenus s'élèvent – et les règles qui permettent de faire jouer certains transferts et impôts, sur la base de déclencheurs déterminé à l’avance et liés à l'état de l'économie.

Le premier type de stabilisateur automatique vient de la combinaison de dépenses publiques fixes et de revenus qui varient en proportion du niveau d’activité, mais aussi de l'existence d'assurances sociales et de la progressivité de l'impôt sur le revenu. Les principales manières d’augmenter leur effet macroéconomique serait d'augmenter la taille du secteur public, de rendre les impôts plus progressifs, ou les assurances sociales plus généreuses. Cependant, l’efficacité de ces réformes ne serait garantie que si elles étaient fondées sur une vision plus large an matière d'équité et d’efficacité. Le deuxième type de stabilisateur automatique semble plus prometteur. Sur le versant impôts, on peut penser à des politiques fiscales temporaires ciblant les ménages à bas revenus, comme une remise d’impôt forfaitaire, une réduction des taux d’imposition, ou encore des politiques fiscales affectant des entreprises, comme des crédits d'impôt d'investissement cyclique. Sur le versant dépenses, on peut penser à des transferts temporaires visant les ménages à bas-revenu ou aux liquidités réduites. Ces impôts ou transferts seraient déclenchés quand une variable macro franchirait un seuil déterminé à l’avance.

Une version anglaise de cet article, plus développée, est publiée sur le site de notre partenaire VoxEU.