Retour à 1929? edit

2 octobre 2008

Quelle que soit sa forme définitive, le Plan Paulson ne mettra pas fin immédiatement à la crise. Faut-il penser alors que nous sommes partis pour une récession durable ? Pour s’en faire une idée, il convient de tirer les leçons de la Grande Dépression et surtout faire le tri entre les comparaisons pertinentes et celles qui ne le sont pas.

Il y a quelques mois, j’ai demandé à un observateur réputé de la Réserve Fédérale quelles étaient selon lui les chances de voir le taux de chômage américain atteindre 10% avant la fin de la crise.  « Aucune », me répondit-il avec assurance. Les observateurs ayant tendance à intérioriser les idées de ceux qu’ils observent, j’en ai conclu que c’était là l'opinion en vogue à la Fed. Nous étions certes dans les affres de la crise la plus grave depuis la Grande Dépression, mais rien de ce qui nous arrivait ne pouvait être comparé à une crise qui a conduit le taux de chômage américain au delà des 25%. La Réserve Fédérale et le Trésor étaient à l’œuvre, les fondamentaux de l’économie américaine étaient robustes : toute comparaison avec les années 30 était exagérée.

Les événements de la semaine dernière ont mis à mal ce bel optimisme. Suite à l’envolée de leur cours, le rendement des bons du Trésor à trois mois est presque tombé à zéro, pour la première fois depuis le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale. Le Ted Spread, c’est-à-dire la différence entre un emprunt de 3 mois sur le marché interbancaire et un bon du Trésor à trois mois, est passé brutalement de un à cinq pourcents : dans les faits, cela signifie que le prêt interbancaire est mort. Tout le secteur de la banque d’affaires aux Etats-Unis a été vaporisé.

Et ce n’est pas fini. Qelle que soit sa forme définitive, le Plan Paulson n’éteindra pas à lui seul l’incendie.. Les conséquences de la crise sont clairement passées de Wall Street à Main Street, de la bourse à l’économie réelle. Les performances récentes des actions non financières montrent que les investisseurs en sont bien conscients.

Les comparaisons avec la Grande Crise, qui avaient jusqu’ici quelque intérêt académique mais peu de pertinence pratique, reviennent donc en force. Certaines ont du sens, les autres ne servent qu’à faire les gros titres des journaux.

En premier lieu, la Réserve Fédérale avance aujourd’hui à tâtons, tout comme la Fed des années 30. Chaque crise financière est différente, et celle-ci ne fait pas exception à la règle. D’où les erreurs inévitables. On a ainsi du mal à présent à ne pas considérer que la Fed s’est lourdement trompée en pensant que Lehman Brothers pouvait faire faillite sans que les autres grandes banques d’affaires en souffrent. La Fed n'a pas compris ce que pouvait signifier pour ces institutions le fait de permettre la faillite d’un primary dealer (correspondant en valeurs du Trésor) ; elle n’a pas su apprécier les implications de cette faillite pour les credit default swaps de l’assureur AIG, ces contrats financiers qui permettent de se prémunir contre les « événements de crédit » et favorisent ainsi la liquidité des marchés. La Fed n'a pas compris en somme que ses décisions nous amenaient encore plus près de la catastrophe.

Si l’on veut plaider en faveur de la Banque centrale américaine, on peut citer Rick Mishkin, un de ses anciens gouverneurs, qui a affirmé que le choc subi aujourd’hui par le système financier est encore plus complexe que celui de la Grande Dépression. Il n’a pas tort sur ce point. Dans les années 30, le choc est venu de la chute de plus de 30% du niveau général des prix et de l'effondrement consécutif de l'activité économique. La solution était simple : en stabilisant le niveau des prix, comme l’a fait Roosevelt en gonflant la masse monétaire, il était possible de stabiliser l'économie et de remettre d’aplomb le système bancaire.

Il est plus difficile aujourd’hui d’absorber le choc, parce qu’il s’est produit à l’intérieur même du système financier. Des effets de levier excessifs, une grande opacité, et une prise de risque au sein même du secteur financier sont parmi les causes principales du problème actuel. On a certes assisté à un effondrement du marché immobilier, mais contrairement aux années 30, il n'y a pas eu d'effondrement général des prix et de l'activité économique. Les faillites d'entreprises sont restées relativement stables, ce qui a grandement contribué dans un premier temps à maintenir en vie le système financier. Mais cela rend aussi le problème plus difficile à résoudre : puisqu’il n'y a pas eu d'effondrement des prix et de l'activité économique, nous ne pourrons pas cette fois-ci sortir de la crise par la croissance ou l’inflation, comme cela fut le cas après 1933.

En outre, les progrès de la titrisation compliquent la tâche à ceux qui essaient de sortir du désordre actuel. Dans les années 30, la Federal Home Owners Loan Corporation a racheté les prêts hypothécaires pour nettoyer les bilans des banques et aider les propriétaires endettés. Cette fois, l'agence fédérale chargée de nettoyer le système financier devra racheter des obligations appuyées sur des prêts hypothécaires, des titres de dette collatéralisée, et toutes sortes de titres coupés en tranches et repackagés. Il sera infiniment plus complexe de renforcer les bilans des banques et de fournir une aide aux propriétaires aux abois. Il sera enfin extrêmement difficile de donner au système la transparence nécessaire pour restaurer la confiance.

Cela dit, nous ne verrons pas le taux de chômage grimper jusqu’à 25% comme ce fut le cas il y a 80 ans. Pour établir ce triste record, il a fallu l’extraordinaire incurie de la Fed, du Congrès et de l'Administration Hoover réunis. Cette fois-ci, la Fed fournira autant de liquidités qu’il en faudra pour soutenir l’économie. Quels que soient les résultats de l’élection présidentielle à venir, la prochaine administration ne va pas augmenter les impôts pour équilibrer le budget, comme le fit l’équipe Hoover en 1930. Il a alors fallu trois ans pour que le Congrès comprenne le besoin de recapitaliser le système bancaire et de garantir les hypothèques ; cela prendra sans doute moitié moins de temps cette fois-ci. Ben Bernanke, Hank Paulson et Barney Frank connaissent tous cette histoire et ne veulent certainement pas qu’elle se répète.

La sortie de crise prendra du temps et verra un rééquilibrage de l’économie réelle. Ce que coûtera en points de croissance la contraction du secteur des services financiers, les exportations peuvent le rendre, car dans les années 1930 aucune région du monde ne connaissait la croissance toujours vigoureuse aujourd’hui du Brésil, de la Russie, de l’Inde et de la Chine). La baisse continue du dollar devrait favoriser cette réallocation des ressources. Pour autant, malgré la flexibilité remarquable de ses marchés du travail, l'économie américaine ne pourra pas offrir des postes en usine à tous les banquiers d'affaires au chômage. Il se pourrait donc que je ne passe plus pour un fou la prochaine fois que je demanderai si le chômage peut passer les 10%.

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