Heures supplémentaires : une fausse mauvaise idée edit

5 juin 2007

La défiscalisation des heures supplémentaires au-delà des 35 heures peut paraître politiquement habile. On ne s'attaque pas au symbole, mais on le vide de sa substance. Cette mesure n’échappe pas entièrement à la logique qu'il s’agit de remettre en cause. Pourtant, même si elle fait l'objet d’abus, la mesure va réduire les charges salariales et réduire le coût du travail.

Commençons par les critiques. Défiscalisées, les heures supplémentaires coûteront moins cher aux entreprises et rapporteront plus aux salariés. Plus de travail mieux payé mais moins coûteux, cela relève quasiment du miracle. Hélas, il n’y a pas de miracle en économie. Employeurs et employés vont avoir tout intérêt à recourir aux heures supplémentaires, de préférence aux heures normales. Cette incitation, très forte, va avoir plusieurs effets, qui ne sont pas tous positifs.

Tout d’abord, on devrait assister à une substitution des heures supplémentaires aux emplois. Beaucoup travailleront plus et il y aura moins d’embauches qu’autrement. Dans la mesure où le sous-emploi est le problème majeur de l’économie française, ce n’est pas la bonne incitation.

Le second effet va agir en sens inverse. La mesure va faire baisser le coût moyen – heures normales et supplémentaires confondues – du travail pour les entreprises tout en augmentant le revenu moyen reçu par les employés. Cela devrait encourager certaines personnes à rechercher un emploi et, ça tombe bien, les entreprises chercheront à employer plus de monde. On va donc assister à une deuxième substitution, plus de travail et moins de capital (moins de dépenses en équipements productifs destinés à économiser l’utilisation de la main d’œuvre). A l’inverse des 35 heures, qui ont réduit la demande de travail et donc l’emploi – ce que les subventions Aubry ont cherché à contrebalancer – cet aspect de la défiscalisation des heures supplémentaires va avoir un effet positif sur l’emploi.

Au total donc, la mesure annoncée produira deux effets opposés en matière d’emploi : une substitution des heures à l’emploi et une substitution de l’emploi au capital. A ce stade de nos connaissances, malheureusement, il n’est guère possible de pronostiquer quel effet pourrait dominer. Disons que l’impact sera probablement négligeable.

Mais le raisonnement ne peut pas s’arrêter là, hélas. Défiscaliser représente un manque à gagner pour l’état et les assurances sociales. L’apparent miracle qui fait que tout le monde, employés et employeurs, y gagnent a un prix. Une manière de voir les choses est de conclure que la défiscalisation revient à subventionner les heures supplémentaires. Une autre manière est de dire que la défiscalisation réduit, partiellement, la désincitation au travail provoquée par les charges salariales existantes. Autrement dit, c’est du bricolage qui se greffe sur une situation déjà peu claire, et qui va coûter cher.

Il y a pire. Le risque est grand que la mesure soit déviée de son objectif premier. Employés et employeurs vont avoir grand intérêt à s’entendre pour maquiller les hausses du salaire normal – donc taxé – en heures supplémentaires défiscalisées. Les possibilités de contrôle sont minimes et l’affaire bien tentante. Outre l’aspect pénible d’une fraude généralisée, cette possibilité revient à gravement alourdir le coût de la mesure de défiscalisation des heures supplémentaires. Plus le temps passera, plus cette fraude va s’étendre.

Dopées par le risque de maquillage, les sommes en jeu pourraient être tout à fait considérables. Il faudra alors compenser le manque à gagner, soit en augmentant d’autres prélèvements obligatoires, soit en réduisant les dépenses, soit enfin en laissant filer la dette. Effet limité sur l’emploi, coût budgétaire élevé, l’affaire apparaît comme une mauvaise idée.

Le péché originel est l’idée même qu’il faille légiférer la durée du travail. D’autres pays, dont l’Allemagne, laissent les partenaires sociaux décider de cette question, souvent au niveau des branches. En dépolitisant la question, on permet l’émergence de solutions pragmatiques. Les besoins des employeurs sont très divers, tout comme les souhaits des employés. Imposer la même pointure à tout le monde relève d’une conception extraordinairement colbertiste qui aurait dû avoir fait son temps. En s’enfermant dans ce carcan, Sarkozy se trouve pris au piège. La défiscalisation rajoute une couche de complexité à un code du travail déjà si touffu qu’il décourage de nombreux entrepreneurs potentiels et qu’il oblige toutes les entreprises, petites et grandes, à consacrer des dépenses importantes pour se conformer à la loi. Pour la compétitivité, et donc l’emploi, ce n’est pas très bon. De plus, qui dit complexité juridique dit aussi ambigüités, et donc astuces pour en tirer parti.

La vraie rupture aurait consisté à remettre à plat le principe de durée légale du travail. Pour protéger les employés de patrons peu scrupuleux, il est possible d’instaurer une durée maximale de travail, par jour, par semaine, par mois ou par an, voire les quatre. A partir de là, il serait tellement plus simple de laisser employés et employeurs se mettre d’accord, sans bricoler des heures payées à un tarif et d’autres à un autre, et sans se lancer dans une usine à gaz fiscale. Bien sûr, dans bien des cas, les employés sont en situation de faiblesse et ne peuvent pas vraiment choisir. Mais cette situation de faiblesse est très largement le résultat d’un taux de chômage élevé. Si le chômage venait à baisser, les employeurs auraient autant besoin de trouver des employés que ces derniers de trouver un emploi, ce qui rétablirait le rapport de force. Ce qui ne fait que confirmer que la priorité des priorités devrait être de faire redescendre le chômage.

Mais, malgré tout, l’idée n’est peut-être pas si mauvaise que ça. Curieusement elle apparaît sous un jour plus favorable lorsque l’on se penche sur la redoutable question de son coût pour le budget de l’Etat. Sarkozy s’est engagé à baisser les prélèvements obligatoires. Certes, mais lesquels ? A l’évidence, le critère doit être celui du chômage : quels sont les prélèvements les plus nocifs pour l’emploi ? La réponse est triviale. La priorité doit aller à la réduction des charges salariales. Il est tout de même surprenant, pour ne pas dire scandaleux, que la « denrée » la plus lourdement taxée soit le travail, qui est notoirement insuffisante pour assurer un emploi à chaque résident. Des progrès importants ont été accomplis sur les bas salaires, mais beaucoup reste à faire pour l’ensemble des emplois. Ce devrait être la priorité des priorités. Vue sous cet angle, la défiscalisation des heures supplémentaires est un pas dans la bonne direction. Même si elle fait l’objet d’abus, en fait surtout si c’est le cas, la mesure va réduire les charges salariales et réduire le coût du travail. Plus ce coût est réduit, plus l’effet positif de la mesure a de chance de dominer l’effet négatif. Un bon point, donc.

Le péché pourrait même devenir vertu. L’un des objectifs annoncés par Sarkozy lors de la campagne, était d’être le « président du travail ». Les sondages indiquent que cet objectif a joué un rôle non négligeable dans son élection. Si, comme il le pense, la France est partagée entre ceux qui cherchent à être mieux payés en travaillant moins et ceux qui travaillent dur et ragent de ne pas en être récompensés, rendre le travail attractif est primordial. Du coup, la forte incitation en faveur des heures supplémentaires, que nous économistes considérons comme une source de distorsion, apparaît sous un jour nouveau.

Il y a d’autres approches pro-travail dépourvues de distorsions et plus favorables à l’emploi. C’est le cas, par exemple, des programmes « make work pay » mis en place par Tony Blair et partiellement repris en France avec la prime de retour à l’emploi. Ici, cependant, l’objectif est différent. Si, plutôt que de viser à réduire le chômage, la défiscalisation des heures supplémentaires ambitionne avant tout de faire remonter la durée du travail. Sans être idéale, l’idée n’est finalement pas mauvaise.