Mais pourquoi 40% de la population en âge de travailler n'a pas d'emploi ? edit

3 mai 2006

En France, près de 40% de la population en âge de travailler n’a pas d’emploi, et près d’un quart des 15-64 ans dépend pour vivre de prestations d’assistance sociale ou d’assurance chômage. En cela notre pays se situe dans la moyenne haute du taux de dépendance en Europe, avec un chiffre supérieur à celui de la Suède et comparable à celui du Danemark, pays pourtant considérés comme disposant des systèmes sociaux parmi les plus protecteurs.

Indemniser les chômeurs et certains inactifs peut être une manière juste et efficace d’assurer un certain degré de sécurité sur le marché du travail. En indemnisant généreusement ceux qui ne peuvent vraiment pas travailler, en soutenant la recherche d’emploi des autres, cette politique permet théoriquement d’améliorer la qualité des emplois et le bien-être des plus démunis, tout en facilitant l’ajustement de notre économie. A condition, toutefois, que l’indemnisation bénéficie à ceux qui en ont vraiment besoin, et que le suivi individualisé ainsi que les obligations de recherche d’emploi ou de formation soit respectés par tous ceux qui sont en mesure d’occuper un emploi. Sans quoi les abus du système se multiplieront au détriment de l’emploi, des finances publiques et, à terme, de notre croissance. C’est ce qui se passe en France, comme le suggèrent les récentes révélations sur les fraudes aux Assedic ou au RMI. Ces fraudes ne sont que le reflet, presque anecdotique, d’un problème beaucoup plus vaste.

Le non-emploi ne concerne pas que les chômeurs indemnisés, puisque les bénéficiaires de l'assistance sociale (RMI, Allocation parent isolé, Allocation adulte handicapé, Allocation équivalent retraite) sont aujourd’hui aussi nombreux que les chômeurs indemnisés.

Pourquoi une telle proportion de la population en âge de travailler ne le fait-elle pas ? Est-il plausible qu'un quart des 15-64 ans soit inemployables en France? On peut en douter, et il faut alors se pencher sur l’ensemble des dispositifs publics et des réglementations qui, parce qu’ils sont inefficaces et mal pensés, limitent l’intérêt du travail et contribuent à diminuer le nombre d’emplois de qualité proposés par les entreprises. A ce titre, notre système actuel d’assistance sociale et d’assurance-chômage ne favorise pas la reprise d’emploi autant qu’il le pourrait . La dépendance vis-à-vis des prestations devient alors persistante, ce qui est encore plus inquiétant lorsque une large part relève des minima sociaux.

En théorie, les moyens à mettre en œuvre afin de mieux inciter et mieux aider chômeurs et bénéficiaires de minima sociaux sont bien connus. Pour éviter que le taux de dépendance aux prestations ne continue d’augmenter, deux options sont possibles : l’une consiste à reconsidérer le niveau des prestations, l’autre à mettre en place des politiques d’activation efficaces des bénéficiaires.

Faut-il abaisser le niveau des prestations ? Certes, à contraintes et capacité de contrôle donnés, des prestations généreuses vont attirer ou retenir un nombre plus important de bénéficiaires. Dans la principale filière de l'Unedic, un célibataire qui percevait auparavant le Smic reçoit au titre de l’assurance chômage 80% de son ancien salaire pendant 23 mois. De même un parent seul sans emploi, compte tenu de l’ensemble des prestations disponibles, peut percevoir 80% du salaire minimum net sans travailler, et ce sans limitation de durée dans les faits. Associés à des durées de versement particulièrement longues en comparaison internationale, ces modes d’indemnisation peuvent donc apparaître très généreux.

Mais qui pourrait affirmer qu’il est facile de vivre avec 80% du salaire minimum lorsqu’on a deux, voire quatre enfants ? Diminuer le niveau des prestations inciterait sans doute ceux qui peuvent retrouver un emploi à le faire plus rapidement, mais cela pèserait également de la manière la plus injuste sur tous ceux qui, pour des raisons familiales, de santé, ou de compétences ont effectivement le plus grand mal à reprendre un emploi. Sans parler des conditions de vie et d’éducation de leurs enfants.

Encore faut-il pouvoir s’assurer que ces personnes dépendantes ont en effet de bonnes raisons d’être incapables de travailler ou bien, pour celles qui en sont capables, s’assurer qu’elles sont bien activement en recherche d’un emploi et reçoivent à ce titre une aide efficace. L’autre voie est précisément d’améliorer très fortement l’efficacité, la capacité de contrôle et de coordination des organismes qui versent ces prestations et accompagnent le retour à l’emploi. Contrairement à une conception erronée de l’assurance-chômage, celle-ci n’indemnise pas la perte involontaire d’emploi (qui est seulement l’une des conditions possibles pour en bénéficier) mais la recherche active d’un emploi. Avec un taux d’encadrement d’un conseiller pour 120 chômeurs inscrits (en catégorie 1), une quasi-absence d’encadrement des RMIstes, un système de contrôle inefficace et un système de formation d’une complexité incroyable, la France est à ce titre très en retard par rapport à certains de ses voisins européens ou d’autres pays de l’OCDE, au premier titre desquels l’Australie.

Ce pays a en effet entrepris en 1998 de réformer son service public de l’emploi pour rendre son outil de placement plus efficace tout réaffirmant dans un premier temps le principe « d’obligation mutuelle » entre les chômeurs, qui sont les bénéficiaires de prestations les moins distants par rapport au marché du travail, et le service public. Cela a notamment signifié le contrôle effectif de la recherche d’emploi et la crédibilité des sanctions possibles, et le recours massif à des agents de placement. Avec des taux d’encadrement élevés (souvent autour de un conseiller pour trente clients), ces opérateurs, souvent privés, sont rémunérés en grande partie au résultat, et régulièrement évalués et renouvelés en cas de mauvaises performances, avec des appels d’offre réguliers. Peu à peu, ayant réduit le chômage et créé un service de placement très efficace, les autorités publiques ont établi des obligations de recherche d’emploi pour des populations de plus en plus distantes du marché du travail : parents isolés, personnes de plus de 50 ans, et certains handicaps. L’accès aux prestations sociales correspondantes a été progressivement durci, avec l’exigence pour ceux qui peuvent exercer un certain travail, ne serait-ce qu’à temps partiel, de s’inscrire au chômage. De sorte, les acteurs du service public de l’emploi continuent régulièrement d’avoir des « clients » sans être débordés. Le taux de chômage australien, qui était de 10,5% en 1992, est tombé – sans pratiquement jamais remonter – à 5% en 2005.

L’Australie n’est pas le seul pays à avoir mené une réforme de cette nature : le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont avec succès réformé de manière similaire leurs services publics de l’emploi. L’Allemagne avec les réformes Hartz vient de leur emboîter le pas. En France, hormis la fin théorique du monopole de l’ANPE, aucune perspective d’amélioration de l’efficacité de notre système n’est en vue : toujours pas de guichet unique, pas de véritable suivi des demandeurs d’emploi qui en ont vraiment besoin, pas de capacité de coordination avec les acteurs de la formation professionnelle, etc. Quant aux contrôles, il est utile de rappeler qu’un système efficace et crédible est au service des demandeurs d’emploi, puisqu’il permet d’assurer une indemnisation généreuse et doit se traduire par un faible taux de sanction et non le contraire. Enfin, réformer dans ce sens l’assurance chômage sans surveiller en parallèle l’accès aux prestations sociales et créer les obligations et moyens de recherche d’emploi correspondants serait une erreur, car les personnes souhaitant échapper aux contraintes imposées par l’assurance-chômage ne feraient que renforcer les effectifs de l’assistance sociale.

Combien de temps doit-on encore attendre pour agir ? Il est plus que nécessaire de laisser l’idéologie de côté et d’essayer des réformes de structure de notre économie, au premier titre desquelles figurent sans aucun doute la manière dont nous indemnisons le « non emploi » et celle dont nous organisons l’aide au retour à l’emploi.