Et si l’Italie quittait l’euro ? edit

26 novembre 2007

Dans les changements continuels de l’économie mondiale, il y a au moins une constante : le mécontentement suscité par l’euro. Au début de la décennie, le principal motif de plainte était que l’euro était trop faible pour des économies en plein essor comme l’Irlande. Désormais, il est trop fort pour les pays comme l’Italie, qui ont un problème de croissance. Il est clair que la source du problème actuel est externe. Elle est liée à la chute du dollar, qui traduit une combinaison de problèmes économiques et financiers aux Etats-Unis, et au fait que les autorités chinoises persistent à indexer le renminbi sur le billet vert. Mais les récriminations ne cessent pas pour autant.

L'impact négatif est ressenti par tous les pays de la zone euro, mais ceux dont la croissance était déjà molle, comme l’Italie, ont encore plus de mal à faire face. En juin 2005 déjà, après deux années d’appréciation de la monnaie commune, le ministre des Affaires sociales italien, Roberto Maroni, avait déclaré qu’il fallait abandonner l’euro. Le Premier ministre d’alors, Silvio Berlusconi, avait renchéri en appelant l'euro « un désastre ». Cette première phase de hausse n’était pourtant rien au regard de l’envolée actuelle. Si le dollar continue à baisser et que les Etats-Unis entrent vraiment en récession – ce qui est aujourd’hui plus probable qu’improbable – on risque fort d’entendre à nouveau ce genre de déclaration.
        
Alors, l'euro est-il condamné ? Après que le nombre de pays de la zone euro est passé de 10 en 1999 à 15 au début de 2008, le mouvement va-t-il s’inverser ? Si un pays quitte l’euro en réintroduisant sa monnaie nationale, les autres suivront-ils ? L'entreprise tout entière va-t-elle s'effondrer ?
       
La réponse est non. La décision de rejoindre la zone euro est pratiquement irréversible. La rhétorique de la défection peut avoir ses charmes aux yeux de certains politiciens populistes, mais une sortie effective est impossible. Et ce pour des raisons qui ne sont pas apparues dans le débat jusqu’ici.

Jusqu’à présent, la première raison invoquée était les coûts économiques d’une éventuelle sortie de l’euro. Un pays quittant la zone euro à cause de problèmes de compétitivité dévaluerait sans doute sa monnaie nationale peu après l’avoir réintroduite. Mais les travailleurs le sauraient, et l'inflation des salaires qui en résulterait neutraliserait les avantages de la dévaluation sur la compétitivité. En outre, le pays serait forcé de payer des taux d'intérêt plus élevés sur sa dette publique. Ceux qui sont assez vieux pour se rappeler le coût du service de la dette italienne dans les années 1980 comprendront que c’est là un problème sérieux.

Mais pour chaque argument sur les coûts économiques, il y a un contre-argument. Si la réintroduction de la monnaie nationale est accompagnée d’une réforme du marché du travail, les salaires réels s’ajusteront. Si la sortie de l'euro est accompagnée d’une réforme fiscale qui laisse augurer aux investisseurs une diminution des déficits, il n'y a pas de raison pour que les taux d'intérêt augmentent. Les études empiriques montrent que le fait de rejoindre la zone euro induit une modeste réduction des coûts du service de la dette. On peut en déduire que le fait d’en partir élèverait ces coûts. Mais cette hausse pourrait être neutralisée par une petite réforme institutionnelle, par exemple en faisant passer les pouvoirs fiscaux du ministre des Finance des niveaux portugais aux niveaux autrichiens. Les politiciens, même populistes, savent bien que l’abandon de l'euro ne résoudra pas tous les problèmes ; ils combineront cet abandon avec des réformes structurelles.
       
La deuxième raison généralement avancée, ce sont les coûts politiques d’une éventuelle sortie de l’euro. Un pays qui reviendrait sur ses engagements contrarierait ses partenaires. Il ne serait pas très bien accueilli à la table des négociations où sont prises les autres décisions relatives à l’Union européenne. Il serait traité comme un membre de deuxième classe, s’il en restait membre.
       
Ces coûts politiques bien réels seraient toutefois compensés par des avantages pour les politiciens qui pourrait affirmer qu'ils mettent d’abord en avant les intérêts de leurs mandants politiques. Et des pays comme le Danemark et la Suède, qui ont refusé fermement d'adopter l’euro, ne sont pas devenus pour autant des Etats-membres de deuxième classe.
       
L'obstacle le plus insurmontable pour sortir de l’euro n’est en réalité ni économique ni politique : il tient à la procédure. Réintroduire la monnaie nationale exigerait de relibeller tous les contrats – y compris ceux portant sur les salaires, les dépôts de banque, les emprunts, les hypothèques, les impôts, etc. Le corps législatif pourrait certes faire passer une loi obligeant les banques, les entreprises, les ménages et les administrations à relibeller leurs contrats. Mais dans une démocratie, cette décision serait précédée de discussions. Et pour être exécutée facilement, elle devrait s’accompagner d’une planification précise. Les ordinateurs devraient être reprogrammés, les distributeurs automatiques modifiés, les caisses automatiques surveillées pour empêcher les automobilistes d'être pris au piège dans les parkings souterrains. Les billets et les pièces devraient être mis en place dans l’ensemble du pays. Qu’on se rappelle simplement les efforts qui ont précédé l'introduction de l'euro.

À l’époque, cependant, on ne prévoyait pas d’évolution des taux de change dans la dernière ligne droite et il y avait donc peu de risque de spéculation. En 1998 en effet, les membres fondateurs de la zone euro ont accepté de verrouiller le cours de leur monnaie nationale. Cela a permis d’éliminer efficacement la possibilité, dans l'intervalle qui précédait l'union monétaire pleine et entière (1999), de dévaluer les monnaies nationales afin de voler un avantage en termes de compétition. À l’inverse, si un État décidait aujourd’hui de quitter la zone euro, un tel verrouillage ne serait pas possible. La motivation première de son départ serait précisément de dévaluer, et la pression des autres États-membres serait par définition inefficace.

Les participants au marché en seraient conscients. Prévoyant que les dépôts domestiques seraient relibellés dans une monnaie, disons la lire, vouée à perdre sa valeur contre l'euro, ils feraient passer leurs dépôts aux autres banques de la zone euro. Une panique à l’échelle du système bancaire national tout entier s’ensuivrait. Les investisseurs, prévoyant que leurs obligations sur le gouvernement italien seraient relibellées en lires, s’en débarrasseraient au profit d’obligations sur les autres États de la zone euro, ce qui conduirait à une crise du marché obligataire. Si le facteur décisif d’une telle crise était le débat parlementaire sur l’abandon de l’euro, il ne faudrait pas attendre de la BCE qu’elle joue pleinement les prêteurs de dernier recours. Et si le gouvernement était déjà dans une position fiscale faible, il ne pourrait pas emprunter pour aider les banques en rachetant leurs dettes. Ce serait la mère de toutes crise financières.
       
Quel État préoccupé de sa propre survie envisagerait sérieusement cette option ? La conclusion, c’est qu'aussitôt que les discussions sur la restauration de la monnaie nationale commenceront sérieusement, ce sont ces discussions, et non l’euro, que l’on abandonnera.

Une version anglaise de ce texte est publiée sur le site de notre partenaire VoxEU.