Réforme des retraites: un double non edit

11 septembre 2013

 

 

Fallait-il une nouvelle réforme des retraites ? François Hollande vient de répondre deux fois non. Non ! parce que les incertitudes économiques, l’absence d’urgence financière le risque de coalition des oppositions rendaient à ses yeux inutile une réforme censée régler tous les problèmes à l’horizon 2020. Non ! parce que la réforme structurelle de longue portée qui s’attaque à la racine du problème, qui aboutit à un équilibre soutenable de long terme et qui donne à Bruxelles les garanties demandées au risque de déclencher un conflit social majeur est contraire à sa culture politique. Alors qu’a t-il fait ? Un plan de financement lacunaire, riche en habiletés techniques, au confluent des lignes rouges syndicales mais dont le principal mérite est d’avaliser les réformes passées.

Ses choix ont été salués par un concert immédiat d'approbations molles, d'oppositions peu convaincues et d’appels en catimini à la mobilisation. La mère de toutes les réformes, celle qui était susceptible, selon Rocard, de faire sauter dix gouvernements devient ainsi un non événement.

Comment un tel résultat a t-il été atteint ? Par une combinaison habile d’actions et de discours permettant l’escamotage progressif du problème, la neutralisation des diverses oppositions syndicales et patronales et, grâce à la mise en scène du thème de la pénibilité, de l’adhésion des élus de gauche.

 

2010-2013

Faut-il le rappeler, la réforme Sarkozy de 2010 avait suscité, au-delà des critiques sur les paramètres de la réforme, une critique fondamentale sur la méthode : une accumulation de réformes partielles, dépassées avant d’avoir été mises en œuvre, fondées sur des hypothèses irréalistes de croissance et de gains de productivité et financées par des expédients divers ne pouvait rassurer les Français quant à la pérennité du système. Il convenait donc de s’attaquer enfin à une réforme durable, basée sur un financement pérenne et possédant des propriétés d’auto-ajustement. Rendez-vous était donc pris en 2013 pour lancer une réforme systémique.

Avant les élections la gauche était favorable à une réforme systémique. Depuis, elle y a renoncé. Pourquoi ?

Le régime français de retraites est l’un des plus généreux dans le monde, il a permis de faire reculer la pauvreté des personnes âgées. Bâti presqu’exclusivement sur la répartition, puisque les régimes de base et complémentaire sont obligatoires et en répartition, il permet aujourd’hui une parité de niveau de vie entre actifs et inactifs. Il est donc crucial que le contrat intergénérationnel soit périodiquement refondé ce qui suppose que la charge des retraites présentes soit supportable par les générations présentes de cotisants. Par ailleurs le régime actuel présente quelques défauts notoires, qui ont conduit nombre d’experts, de syndicalistes et de politiques à envisager une réforme de grande ampleur.

Ce système est illisible, au sens où la pluralité des régimes obligatoires, de base et complémentaires avec leurs règles propres de liquidation rendent très difficile pour ne pas dire impossible à un cotisant au cours de sa carrière de savoir ce que sont ses droits et de choisir en connaissance de cause le meilleur moment de cessation d’activité.

Il est inégalitaire, car les 38 régimes obligatoires ouvrent à leurs cotisants des droits variés. La situation diffère selon que vous êtes fonctionnaire ou non, adhérent à un régime spécial ou pas. La pension est calculée sur des périodes de référence différentes. Les régimes complémentaires du privé relèvent d’un système à points.

Il est inefficace, car la diversité des droits et la pluralité des régimes rendent l’administration des retraites particulièrement coûteuses. Par rapport aux meilleures normes de gestion, on estime qu’on pourrait économiser près de 2,5 milliards d’euros annuels dans l’administration du système, s’il était unifié.

Il est surtout instable car il ne permet pas d’assurer d’équilibre de long terme : il requiert l’intervention périodique de l’État et des partenaires sociaux pour fixer les termes d’un nouveau compromis.

L’absence de lisibilité, d’adaptabilité et de soutenabilité sur le long terme a des effets délétères sur la population qui estime à juste titre que le système n’est pas sécurisé.

 

L’enterrement de la réforme systémique

La solution optimale, inspirée à la fois par l’expérience des comptes notionnels suédois et des régimes à points français, est un système de comptes individuels sur lesquels sont portés les droits acquis et permettant à tout moment de déterminer les droits à retraire sur la base de règles universelles et de clauses d’indexation liées à la croissance.

Une réflexion aurait pu être engagée sur la base de ces orientations : la CFDT et le Medef y étaient favorables, la France aurait pu bénéficier du retour d’expérience suédois, la gauche y aurait trouvé l’occasion d’avancer ses arguments en faveur de la jeunesse, de l’égalité, et de la pérennité du système. Tel n’a pas été le cas.

À défaut d’une réforme systémique, vite enterrée, François Hollande a fait le choix du retour au COR. L’intérêt était triple : disposer d’un état des lieux, recenser les solutions possibles, les pré-tester auprès des syndicats.

Comme il fallait s’y attendre le rapport Moreau établit le besoin de financement à l’horizon 2020 (20 milliards d’euros) sur la base d’hypothèses optimistes de croissance et de gains de productivité, il évoque les pistes classiques de solutions qui vont de l’allongement de la durée de cotisation à l’augmentation des cotisations en passant par l’alignement partiel des modalités de calcul des pensions entre fonctionnaires et non fonctionnaires, la désindexation des pensions et l’érosion des avantages fiscaux des retraités.

Mais la 5e réforme des retraites annoncée par M. Ayrault ne règle pas la question du besoin de financement à l’horizon 2020, ne reprend complètement aucune des propositions du rapport Moreau et est largement fondée sur des habiletés financières.

Par glissements successifs le besoin de financement est passé de 20 milliards à 7 milliards. L’escamotage s’est fait en deux temps : le débat public a été centré sur le déficit du régime général, puis les déficits des pensions publiques et des régimes complémentaires ont été déclarés non pertinents pour le débat public puisque relevant du Budget ou des partenaires sociaux. Quant aux recommandations de Yannick Moreau elles sont soit écartées, soit différées, soit émasculées. Qu’on en juge.

L’allongement de la durée de cotisations au-delà de 41,5 années pour obtenir une retraite à taux plein est renvoyée à 2035 et donc ne peut contribuer à financer l’équilibre en 2020.

Aucune révision des modalités de calcul des pensions de fonctionnaires n’est décidée au motif que les taux de remplacement sont à peu près équivalents.

Le gouvernement renonce à l’idée de désindexation provisoire des pensions même si cette hypothèse avait été évoquée. Tout au plus décide-t-il de décaler de six mois la date de révision des pensions.

Après avoir agité l’hypothèse d’une fiscalisation partielle du financement des retraites au moyen de la CSG, le gouvernement abandonne l’idée, de même qu’il renonce à la suppression de l’abattement de 10% dont bénéficient les retraités et qu’il maintient le différentiel de taux de cotisation à la CSG entre actifs et retraités. De tous les débats fiscaux il ne subsiste guère que la fiscalisation de l’avantage familial.

Le bouclage financier se fait donc essentiellement par augmentation des cotisations salariales et patronales. Cette mesure est elle-même atténuée par la promesse de compenser ce coût dans le cadre de la politique de compétitivité.

On attendait une réforme d’envergure et à l’arrivée on a donc un plan de financement a minima, des choix différés, une collection d’habiletés financières et fiscales et la certitude qu’il faudra dans quelques années régler à nouveau  les problèmes de financement qui ne manqueront pas de surgir.

Pourquoi donc avoir opéré cette mise en scène, multiplié les ballons d’essai si à l’arrivée le résultat devait être aussi dérisoire ?

 

Droite-gauche

L’objet essentiel de cette non-réforme est en fait de faire adopter, par la gauche, les réformes Balladur, Raffarin et Fillon jusqu’ici rejetées. Pour la gauche, ces réformes étaient injustes car les espérances de vie sont différentes selon que l’on est cadre ou ouvrier, elles privaient donc les travailleurs de leurs droits légitimes à la bonne vie en retraite. Elles étaient, de plus, ennemies du progrès car les gains d’espérance de vie devaient être consacrés pour les 2/3 au travail et pour 1/3 seulement à la retraite. Ces réformes enfin étaient régressives puisqu’elles cumulaient recul de l’âge légal de la retraite et allongement de la durée de cotisation alors que les débuts de carrière sont précoces chez certains travailleurs, elles ne traitaient pas la question de la pénibilité ou alors de manière très restrictive.

Par la grâce du dispositif Ayrault toutes ces critiques passées sont purgées et on se prend à imaginer ce qu’un Pierre Mauroy aurait trouvé à dire devant cette consécration de la perte d’un acquis social majeur qui n’était rien moins que le droit à la vie après le travail gagné de haute lutte par la classe ouvrière. La principale vertu de la non-réforme est donc là, dans cette manifestation de la capacité de la gauche à s’inscrire dans la continuité de l’action publique et à renoncer à ses critiques d’opposant quand elle accède au pouvoir.

Ne peut-on voir au moins dans le dispositif du compte individuel « pénibilité » la signature de gauche du projet et le caractère réformateur du plan gouvernemental? En limitant à deux ans l’avancement maximal de l’âge du départ à la retraite à taux plein pour les salariés ayant exercé continument les taches les plus pénibles, le Gouvernement ne fait que corriger pour 10% des salariés les effets du maintien du report à 62 ans de l’âge légal du départ à la retraite.

Mais pour François Hollande la manœuvre est réussie, désamorcer dans un même mouvement les syndicats et les diverses tendances du PS est un coup de maître. D’autant que les marchés sont aux abonnés absents depuis que M. Draghi a lancé l’OMT et annoncé sa détermination absolue à sauver l’euro « whatever it takes ».

 

La fin des réformes ?

La non-réforme des retraites, au-delà de ses implications immédiates, est une décision de grande portée. Elle confirme que le président n’a pas le goût des réformes structurelles, elle annonce la fin des tentatives de réforme d’ici la fin du quinquennat.

Au moment de son arrivée au pouvoir nous discutions dans ces mêmes colonnes des marges de manœuvre qui étaient les siennes tant à Bruxelles qu’à Paris et défendions l’idée d’un troc entre assouplissement de la contrainte de retour à l’équilibre budgétaire et engagement de mener à bien les réformes structurelles reconnues nécessaires par le FMI, l’UE et l’OCDE et tant d’experts français.  Le rigorisme dans le respect de l’objectif de réduction à 3% du déficit de finances publiques d’emblée affiché par le nouvel élu n’avait en fait rien à voire avec une conversion à l’orthodoxie et tout à voir avec le refus de s’engager sur des réformes structurelles de longue portée.

Depuis la violence des propos utilisés pour dénoncer les gardiens du camp de redressement européen et pour réaffirmer la souveraineté française face aux empiètements de Bruxelles dans la conduite de la réforme en France confirme que le président Hollande n’entend pas être prisonnier d’un agenda de réforme qu’il ne maîtriserait pas totalement. L’abandon de la réforme du millefeuille territorial, l’indigence de la politique de modernisation de l’État, le renoncement programmé de la réforme de la formation… tout indique que ce quinquennat n’ira pas plus loin en matière de réformes structurelles.

En fait, François Hollande juge avec amusement les réformateurs en toge, ignorants des complexités et des contraintes du jeu politico-syndical. En politicien madré qu’il a fini par devenir, il n’est guère impressionné par les grands réformateurs européens qui perdent les élections comme Schroeder, ou qui s’effondrent après avoir brillé comme Monti.

Par tempérament, par conviction mais aussi au terme d’un long apprentissage politique il en venu à rejeter le discours churchillien du sang et des larmes, à écarter l’idée d’accords transpartisans sur des sujets-clés pour l’avenir du pays et au total l’idée même de la réforme structurelle en ce qu’elle modifie brutalement les équilibres redistributifs financiers et la hiérarchie des pouvoirs et de l’influence lui est étrangère.

Son obsession est la recherche du point de moindre résistance, de l’équilibre entre les lignes rouges et les demandes minimales, bref de l’acceptabilité du changement fût-il-il minime. La non-réforme des retraites est de ce point de vue un vrai cas d’école.