Pourquoi l'exception culturelle s'exporte mal edit

23 janvier 2006

Une politique culturelle offensive fait-elle d'un pays un conquérant des marchés internationaux ? Rien n'est moins sûr, comme en témoigne l'exemple de la France.

Un rapport de l'Unesco publié fin 2005 met à jour une vision géopolitique de la diversité culturelle en analysant les flux mondiaux du commerce culturel. Que dévoile-il, même si l'interprétation de ces chiffres doit être nuancée par le fait qu'ils ne prennent pas en compte ceux du cinéma et des programmes audiovisuels ?

En 2002, dans le peloton des pays riches bastions des échanges culturels, la France figure en cinquième place des nations exportatrices, en relatif décrochage par rapport au Royaume-Uni - pays leader - aux Etats-Unis, à l'Allemagne et la Chine. Autrement dit, dans son domaine de réputation, elle ne dispose pas d'un avantage comparatif par rapport à ses exportations globales. En matière d'importations, la France occupe aussi la cinquième place, loin après les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne, et à hauteur du Canada.

Regardons maintenant sa position dans le secteur audiovisuel et cinématographique, que le rapport de l'Unesco ne prend pas en compte. Ses ventes à l'étranger représentent moins de 1% de ses exportations. Une atonie paradoxale, si l'on songe que la France, au sein de l'Europe, est le premier pays organisateur de festivals internationaux pour le cinéma et l'audiovisuel, le premier à financer des réalisateurs issus de tous horizons et que son public manifeste un certain appétit pour des longs métrages non hexagonaux ou non américains (entre 35 et 40% des parts de marché en salle vont vers les films français, 50% vers les films américains, le reste va vers des films produits dans d'autres pays). Sa politique d'accueil, l'abondance de sa production (plus de 200 films par an, dont 160 d'origine française) ne se traduisent pas par de solides effets en retour sur sa balance des paiements.

Les recettes financières ne reflètent qu'un aspect du rayonnement du cinéma hexagonal, sa visibilité doit aussi être prise en compte. C'est en Europe que les films français séduisent un public. Ils y représentent 8% des entrées en salle, ce qui les place juste après les films nationaux et américains. Ils sont talonnés par les films anglais (6%), pourtant trois fois moins nombreux en production. Mais ce succès européen n'a pas franchi d'autres barrières : aucun long métrage français ne se place parmi les films les plus vus dans le monde en 2004. Et l'influence du cinéma français aux Etats-Unis - où sont envoyés chaque année une trentaine de films - est minuscule et concentrée sur quelques fleurons, parfois " French touch " comme Amélie Poulain et parfois " productions internationales " comme Deux frères ou La Marche de l'empereur.

Une comparaison avec d'autres pays dotés d'une puissante industrie de l'image mérite le détour. Les Etats-Unis ont produit 475 films en 2004. Les films américains détiennent 83,5% des parts de marché sur leur territoire, 93% si l'on ajoute les co-productions avec des pays européens. En revanche, l'industrie cinématographique, qui pèse 23,5 milliards de dollars en 2004 (un chiffre en croissance régulière), ne réalise que 40% de ses recettes sur son marché national et inonde la planète de ses productions.

L'industrie indienne produit plus de 800 films par an et accueille sur ses écrans près de 300 films étrangers, majoritairement américains, dont la distribution se concentre dans les quelques multiplexes. Mais aucun film étranger ne figure parmi les succès de fréquentation, le public indien se délecte exclusivement de ses films nationaux. Et la capacité exportatrice de ce pays se cantonne aux zones de la diaspora indienne.

La situation du Japon présente quelques analogies avec la France : forte production (plus de 300 films par an), bonne part de marché des œuvres japonaises en salle (37,5% en 2004), mais partage avec les films anglo-saxons. En revanche, le Japon est grand exportateur de dessins animés.

A l'aune de ces données, on mesure l'exception française. Ici, le cinéma et l'audiovisuel sont d'abord tenus pour des activités artistiques, destinées à stimuler l'imaginaire national et le lien social, et sont rarement conçus pour pénétrer le marché mondial. La part accordée aux films des auteurs-réalisateurs adeptes du scénario " ouvert " qui laisse une certaine improvisation lors du tournage, signe un mode de production fort éloigné de la fabrication hyper-rationalisée à l'américaine. La France ne met pas au fronton de sa politique la guerre des images comme le font les Etats-Unis ou le Japon. Son public n'est pas rivé sur son cinéma domestique, comme aux Etats-Unis ou en Inde. Dans ce domaine, grâce à une forte production et à l'accueil généreux de films étrangers, elle s'adonne à ce qu'on pourrait nommer " la bonne volonté culturelle ". Et en matière d'œuvres de télévision, elle privilégie le regard ethnographique sur elle-même. Pour l'ensemble de sa production culturelle, la France est tournée vers son public intérieur, et, quand elle l'expatrie, pense plus rayonnement culturel que victoires en parts de marché.