L’immigration choisie est-elle une bonne solution ? edit

March 13, 2008

On considère généralement que l'Europe admet trop de migrants peu qualifiés et trop peu de migrants très qualifiés. La Grande-Bretagne et la France ont mis en place des dispositifs de sélection des immigrés qualifiés et la Commission européenne a suivi en dévoilant son projet de Blue Card, inspirée de la Green Card américaine. Cette démarche est-elle la bonne ?

Au sein des pays de l’OCDE, le pourcentage d’immigrés passés par l’enseignement supérieur était en 2001 de près de 40 % en Australie et au Canada alors qu’il stagne à 20% ou moins dans les pays d’Europe continentale. La différence est très nette aussi entre les 38% du Canada, qui a un système de points, et le modeste 25% de son voisin les Etats-Unis, qui n’en a pas.

Mais aux Etats-Unis, 30 % des immigrés sont des Mexicains ayant un niveau d’éducation modeste alors qu’on trouve peu de Mexicains au Canada. En la matière il y a souvent des biais  de nature géographique (c’est le cas des Mexicains aux Etats-Unis) ou historique (des Indiens et Pakistanais en Grande-Bretagne). Si l’on corrige ces biais, il apparaît que les politiques spécifiques menées au Canada et en Australie expliquent en partie les différences. Des études ont pu montrer, que les travailleurs très qualifiés ont moins de chances de candidater mais plus de chances d’être acceptés, et qu’en définitive  avec le système de point canadien les effets sélectifs de la politique d’immigration choisie pèsent davantage que les facteurs économiques qui favorisent l’immigration non-qualifiée.

La question des incitations demande à être examinée de plus près. Qu'est-ce qui attire les migrants très qualifiés ? Dans un papier récent, Michèle Belot et moi-même avons proposé un modèle pour représenter les forces économiques et non-économiques qui contribuent aux choix des migrants en fonction de leur niveau d’éducation. Les incitations économiques fonctionnent : plus élevé est le retour sur compétences dans le pays d’accueil et plus bas il est dans le pays de départ, plus la part de diplômés est importante dans le flux migratoire. Il apparaît aussi que plus le pays est pauvre, plus instruits (par rapport à la moyenne nationale) sont les migrants qui en sont originaires. Ce facteur est en soi bien plus structurant que les politiques migratoires.

Notre analyse montre aussi que le facteur éducation joue d’autant plus que la distance est grande entre les pays de départ et d’accueil. Les liens coloniaux passés ont aussi leur effet. Le fait de posséder une langue commune, officielle ou maternelle, est associé avec une sélection positive, alors que, curieusement, la proximité linguistique (entre deux langues différentes) va de pair avec une sélection négative.

Une fois pris en compte l'influence des incitations économiques, de la pauvreté, des liens culturels et historiques, les différences restantes dans le choix opéré par les migrant entre les pays d’accueil doivent logiquement refléter des différences de politique. Mais ce « reliquat » ne correspond pas bien avec ce que nous savons des différentes politiques d'immigration. Il semble plutôt refléter des tendances passés et des choix de migration que les variables collectives n’attrapent pas facilement. Le simple fait que ces effets des politiques migratoires ne soient pas très lisibles dans les comparaisons internationales suggère qu'ils ne sont pas très forts.

Dans ces conditions, l’idée d’immigration choisie en vaut-elle la chandelle ? Avant de pouvoir l’affirmer, il nous faut des preuves plus solides sur les effets des changements de politique. Un bon exemple est l’introduction d’un système de points en Australie à la fin des années 1990 ; le nouveau système insistait davantage sur les qualifications et l’éducation, la maîtrise de la langue et l'expérience professionnelle récente. Les résultats de cette expérience politique indiquent que la réforme a amélioré significativement les compétences des migrants. Par conséquent, le taux de participation au marché du travail était plus haut et le taux de chômage était plus bas pour les immigrants admis après la réforme (voit Cobb-Clark et Khoo, 2006).

Mais renforcer les critères de compétences pour l'admission aura des effets modestes, puisque la plupart de ceux qui entrent par le canal de l’emploi sont de toute façon déjà bien qualifiés. Il faut rappeler que ces migrants (qui seraient sujets à un test de compétences) ne représentent qu’une petite proportion des flux migratoires. En Europe comme aux Etats-Unis, l’écrasante majorité des migrants arrive par le regroupement familial ou avec un statut de réfugié. Pour la plupart des pays, une évolution radicale vers une immigration fondée avant tout sur le travail est limitée par les obligations des traité internationaux, qui imposent de protéger les familles et de fournir un sanctuaire aux réfugiés. Par conséquent, pour élever la proportion de migrants entrant par le canal de l’emploi jusqu'au niveau canadien, il faudrait une augmentation significative de l’immigration totale ; les décideurs politiques feraient bien de réfléchir à deux fois avant de proposer de tels objectifs.

Adopter des critères d'immigration intégrant davantage la notion de compétences, et les appliquer à une plus grande proportion de migrants, est une évolution qui va dans le bon sens. Selon toute probabilité, cela devrait conduire à améliorer les compétences des migrants et leurs performances sur le marché du travail. Au fil du temps, cela pourrait aussi ôter un peu de sa vivacité au débat sur l’immigration, comme cela a été le cas en Australie et au Canada, où l'immigration est moins controversée malgré le fait que les immigrés représentent une part bien plus grande de la population. Mais cela ne transformera pas le paysage de l’immigration, et cela ne se fera pas en un jour : n’en attendons pas trop.

Une version anglaise de ce texte, enrichie de statistiques, est disponible chez notre partenaire VoxEU.