Référendum italien: les trois raisons d’un échec edit

5 décembre 2016

Matteo Renzi a donc perdu le référendum. La participation a été imposante (plus de 68%) et le résultat sans appel : plus de 59 % pour le non. La réforme des institutions qu’il proposait est donc morte et enterrée tout comme le mode de scrutin, l’Italicum, promulgué en mai dernier, qui, de fait, était conçue pour donner une majorité parlementaire claire permettant à un président du Conseil de gouverner avec efficacité. Il s’agit bien d’un échec cinglant sur l’une des pièces maîtresses du vaste changement annoncé par Matteo Renzi en février 2014 lorsqu’il avait accédé à la présidence du Conseil.

Comment peut-on l’expliquer ? Trois grandes raisons peuvent être avancées. D’abord, le contenu du projet de loi soumis au vote des Italiens a suscité de profondes divisions. Surtout à propos de l’un des aspects phares, celui concernant la Chambre haute. Les partisans de la réforme vantaient ses mérites : en réduisant les pouvoirs du Sénat, en changeant son mode de désignation, en modifiant sa composition, elle permettait, selon eux, de sortir du bicaméralisme intégral ou parfait qui alourdissait le travail législatif, d’assurer une stabilité, de faciliter la prise de décision et de réduire les coûts de la politique. Par conséquent, cette réforme était nécessaire car elle rendrait possible un bon gouvernement, ce qui contribuerait à résoudre le malaise démocratique. Ses détracteurs s’insurgeaient. Certains arguaient avec une extrême intransigeance qu’on ne touche pas à un texte quasiment sacré, émanation de l’antifascisme des années de l’après-Deuxième guerre mondiale. D’autres admettaient la nécessité de faire des réformes, on en parle depuis près de 40 ans en Italie et d’ailleurs le texte a déjà été retouché de manière fort circonscrite près de quinze fois depuis sa mise en vigueur en janvier 1948. Mais ils s’opposaient à cette loi de bien plus grande envergure qui s’attaquait à quarante-cinq articles de la Constitution sur un total de centre-trente-neuf et introduisait un changement notable. Celui-ci leur semblait antidémocratique puisque, expliquaient-ils, les nouveaux sénateurs ne seraient plus élus par le peuple mais par les conseillers régionaux (du moins pour 95 d’entre eux, les 5 restants étant nommés par le Président de la République) avec le risque du coup de procurer une immunité parlementaire à des élus locaux et régionaux souvent plus exposés à la corruption. Ils soulignaient également des formulations obscures et mal ficelées du projet de loi qui auraient pu alimenter du contentieux administratif. Ils estimaient insignifiante la réduction des coûts de la politique qu’elle était supposée amener (500 millions d’euros par an). Mais surtout, ils s’alarmaient d’une menace de césarisme engendrée par la disparition de contre poids, la prééminence du Président du Conseil et un mode de scrutin qui justement aurait donné à celui-ci l’opportunité de disposer d’une large majorité de députés. Cette hantise du césarisme s’inscrit dans l’histoire de l’Italie. Il existe dans certains milieux une peur récurrente d’un retour du fascisme qui explique l’aversion envers tout homme fort. C’est ainsi que le socialiste Bettino Craxi fut accusé d’autoritarisme lorsqu’il était président du Conseil entre 1983 et 1987 tout comme Silvio Berlusconi qui, entre 1994 et 2011, domina la vie politique italienne qu’il soit au pouvoir ou pas. Une inquiétude fondée dans certains milieux politiques et intellectuels notamment de gauche sur l’idée profondément ancrée de l’immaturité maladive du peuple italien, de son absence quasi structurelle de civisme et de sa faible assimilation des moeurs démocratiques. Le débat a donc fait rage et du coup ce projet de loi est apparu comme un ferment de division des Italiens et on pas comme un facteur favorisant leur rassemblement.

Mais si Renzi a perdu ce référendum, c’est qu’il s’est retrouvé politiquement isolé. Il bénéficiait juste du soutien de petits groupes centristes, mais aussi de la Confindustria, l’organisation patronale, de diverses associations, de constitutionnalistes, d’intellectuels, et d’artistes. En revanche, il avait contre lui une vaste coalition très hétérogène : la Ligue du Nord, Forza Italia, le parti de Berlusconi, quelques regroupements centristes, l’extrême droite de Fratelli d’Italia, le Mouvement 5 étoiles, la gauche de la gauche et la minorité de gauche du Parti démocrate, le propre parti de Renzi. Toutes ces formations et tous leurs responsables reprenaient les argumentations des experts hostiles au projet de loi. Mais leur véritable intention et leur but réel étaient clairs : ils entendaient affaiblir Matteo Renzi voire s’en débarrasser. Ce leader les a trop bousculés et il représente un trop grand danger pour eux. Ils ont donc atteint leur objectif.

Pourquoi les opposants ont-ils réussi à convaincre une majorité d’Italiens ? Parce que le référendum s’est joué non pas tellement sur le texte de loi soumis au vote mais sur Matteo Renzi. Lequel a contribué à cette personnalisation. Parce que cette réforme était essentielle à ses yeux, ce qu’il n’a cessé de dire. Parce qu’il avait au départ mis sa démission en jeu, même s’il est revenu ensuite sur cette idée. Parce qu’au final, il s’est investi pleinement et en personne dans la campagne. Or Renzi suscite l’enthousiasme ou la détestation mais en tout cas il ne laisse pas indifférent et ne nourrit pas des sentiments en demi-teinte. Il a beau avoir essayé de parler aux électeurs modérés du centre droit puisque des ex-berlusconiens avaient appelé à voter oui, à faire des cadeaux à l’électorat classique de gauche sur les retraites et les contrats des salariés du secteur public, à faire des promesses aux méridionaux, rien n’y a fait. Nombre d’Italiens n’ont pas apprécié sa réforme du marché du travail ou de l’école, ne perçoivent pas dans leur vie courante les quelques réelles améliorations de l’économie et ne retiennent que le creusement des inégalités et l’augmentation de la pauvreté. Et surtout, ils continuent de partager un grand sentiment anti-politique qui comporte deux facettes, l’une de rejet de la politique et de tout ce qui vient du haut, de l’autre une aspiration à une autre politique, sachant qu’à la croisée des deux se trouve le Mouvement 5 étoiles qui est l’un des grands vainqueurs de ce scrutin.

S’ouvre maintenant une phase d’incertitude politique qui préoccupe fortement et sans doute de manière exagérée les capitales européennes, les milieux d’affaires, les banquiers et les marchés financiers. Le Président du Conseil a annoncé qu’il remettra sa démission au Président de la République. Celui-ci va chercher une personnalité qui devra former un autre gouvernement avec un objectif : réécrire la loi électorale. Car il est difficilement envisageable d’aller aux urnes avec l’Italicum pour désigner la Chambre des députés et une loi désormais totalement proportionnelle pour le Sénat : cela pourrait en effet déboucher sur une majorité claire à la première et l’absence de toute majorité dans l’autre. Mais se mettre d’accord sur un nouveau mode de scrutin pourrait prendre du temps. En tout état de cause, et contrairement à ce que nombre de commentaires affirment hors d’Italie, le Mouvement 5 étoiles n’est pas aux portes du pouvoir. Car qu’on vote à l’avenir avec l’Italicum à la Chambre des députés et la proportionnelle au Sénat ou avec un nouveau mode de scrutin qui sera conçu par tous les autres partis de façon à l’empêcher de gagner, il ne pourra pas l’emporter d’autant qu’il refuse toute alliance. Ce qui n’empêche pas que pour le moment il demeure fort et qu’il pèse sur la vie politique. Reste aussi à savoir si Matteo Renzi voudra ou pourra conserver sa position de secrétaire du Parti démocrate, bref s’il continue à faire de la politique ou s’il se retire dans sa Toscane chérie.