France-Italie: une confrontation continue edit

13 février 2019

Le rappel à Paris pour consultations de l’ambassadeur de France en Italie le 7 février dernier, après la visite inopinée en France trois jours plus tôt pour soutenir les gilets jaunes du vice-président du Conseil, ministre du Développement économique, du Travail et des Politiques sociales, Luigi Di Maio, a dévoilé au grand jour la profondeur de la confrontation entre les gouvernements italien et français. Depuis la constitution de gouvernement présidé par Giuseppe Conte le 1er juin dernier, tous les sujets sont prétextes à polémiques entre Rome et Paris, le plus souvent (mais pas toujours, loin de là) à l’initiative de la première : migrants, politique européenne, ex-terroristes italiens installés en France, Chantiers de l’Atlantique, Gilets jaunes. La crise politique actuelle s’avère la plus profonde entre la France et l’Italie depuis 1945.

Cette année-là, d’avril à juin, la tension fut forte entre le général de Gaulle qui entendait mettre la main sur le Val d’Aoste, et le nouveau gouvernement anti-fasciste. Le président Truman mit fin à la brouille et les troupes françaises furent retirées. Dans les années 1960, il y eut des frictions entre la conception de l’Europe des nations de De Gaulle et les visées fédéralistes des gouvernements démocrates-chrétiens. Plus tard des mésententes éclatèrent lors des différents gouvernements Berlusconi et les autorités françaises. En 1995, l’Italie vota une motion à l’ONU condamnant la reprise des essais nucléaires par le président Jacques Chirac, lequel, par mesure de rétorsion, annula le sommet franco-italien, une première depuis 1983, date à laquelle ces rencontres avaient été initiées. Mais à chaque fois, plus ou moins vite, ces controverses étaient vite oubliées. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Car les deux gouvernements ont le plus grand mal à nouer des rapports apaisés. En atteste l’impossibilité de tenir en 2018 leur rencontre annuelle initialement prévue en Italie. Ou encore l’enlisement de la signature du Traité du Quirinale (du nom du Palais de la Présidence de la République) voulu en janvier 2018 par le président Macron et le président du Conseil Gentiloni qui devait sceller l’amitié et la coopération entre les deux pays et dont le texte a été préparé par un groupe de six « Sages », trois Français, trois Italiens, qui ont travaillé dans un excellent climat. Et tout laisse supposer que cette crise ne fera que continuer au moins jusqu’aux élections européennes.

En effet, aussi bien Matteo Salvini, l’autre vice-président du Conseil, ministre de l’Intérieur et dirigeant de la Ligue, que Luigi Di Maio mais aussi qu’Emmanuel Macron ont besoin de s’ériger en adversaires réciproques en vue précisément du scrutin du mois de mai prochain. En outre, du côté italien attaquer la France et le chef de l’Etat permet de ressouder le gouvernement qui régulièrement étale ses divergences entre ministres de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles. En France, le président Macron, le 21 juin 2018, avait fustigé « la lèpre populiste » dans un fameux discours à Quimper et plusieurs de ses ministres lui avaient souvent emboîté le pas. Ces dernière semaines, Paris avait changé d’attitude et s’employait à ne pas mettre de l’huile sur le feu. Mais le déplacement la semaine dernière de Luigi Di Maio en France, sans en avertir les autorités françaises et le soutien accordé à un des Gilets jaunes auteur de déclarations subversives ont été considérés par le Quai d’Orsay et l’Elysée comme le franchissement inacceptable d’une ligne rouge.

Le rappel de l’ambassadeur de France poursuit ainsi trois objectifs. Indiquer à Rome qu’il y a des limites à la polémique. Jouer sur les contradictions internes du gouvernement, ce qui s’est en effet produit puisque le ministre des Affaires étrangères, un expert indépendant, Enzo Moavero Milanesi, comme le président de la République, Sergio Mattarella, ont rappelé aussitôt l’importance de l’amitié italo-française, et ce dernier a exercé une pression sur le président du Conseil, Giuseppe Conte, afin qu’il rétablisse le contact avec Paris, ce à quoi s’emploient aussi les deux ambassadeurs. Enfin, l’exécutif français entend plus que jamais se présenter comme le rempart en France comme en Europe face au défi populiste, l’Italie ne servant ici que d’exemple emblématique du combat à mener.

Vu d’Italie, les motifs d’irritation envers la France sont nombreux et ne datent pas de la formation du gouvernement de Giuseppe Conte. L’Italie depuis des années s’inquiète du rachat de nombreuses entreprises, banques et sociétés d’assurance par des entreprises françaises. Elle n’a pas accepté l’intervention française en Libye en 2011 et soupçonne la France de vouloir l’évincer de ce pays qu’elle considère comme relevant de sa zone d’influence. Elle estime avoir été abandonnée lors de l’arrivée massive de migrants et dénonce la fermeture des frontières alors que les dirigeants français font de grands discours en faveur des droits de l’homme. Tout cela renvoyant aux rapports ambivalents que l’Italie a tissés avec la France au fil d’une histoire de longue durée qui remonte au moins à l’Unité italienne, rapports caractérisés, d’un côté, par une forte attirance et une certaine admiration pour la France et, de l’autre, une exaspération contre ce qui est considéré comme de l’arrogance et une frustration continue engendrée par le sentiment de ne pas être pris assez en considération. Au demeurant, un sentiment anti-français se répand dans l’opinion italienne que les populistes de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles exploitent et amplifient. Un récent sondage de la société Demos a montré qu’actuellement seulement 24% des Italiens ont confiance en la France contre 41% il y a 5 ans.

Les rapports politiques franco-italiens sont donc en ce moment au plus bas, même si dans certains secteurs de réelles coopérations se poursuivent comme si de rien n’était, grâce, entre autres, aux excellentes relations tissées entre ministres. Par ailleurs, nos deux pays demeurent les deuxièmes partenaires commerciaux. Les relations économiques, technologiques, universitaires et culturelles se poursuivent et se renforcent. Des initiatives communes, à l’instar de l’action menée par les organisations patronales Confindustria et MEDEF en faveur de l’Europe, se multiplient. De même, les Universités Sciences Po et Luiss ont conçu les « Dialogues franco-italiens pour l’Europe » qui réunissent des chefs d’entreprises, des acteurs du monde culturel, des chercheurs et des responsables institutionnels et dont la prochaine session se déroulera le 20 juin prochain. Au niveau de la société civile, les liens demeurent forts et puissants de part et d’autre des Alpes.

Une nouvelle détérioration des rapports politiques franco-italiens risquerait d’affecter l’ensemble de ces relations et pourrait avoir de graves conséquences. C’est pourquoi la raison laisserait penser que dans les deux capitales, dans les semaines à venir il y aura alternance de poussées de vive tension et de moments de détente, mais sans provoquer de déchirements définitifs : la marge de manouvre de Paris et de Rome est donc bien délimitée. Cependant, tous ceux qui sont attachés à la collaboration franco-italienne ne peuvent se satisfaire d’une pareille situation. Ils redoublent donc d’effort de part et d’autre des Alpes pour faire vivre l’amitié entre les deux pays. Il en va de l’intérêt du bilatéralisme franco-italien et de l’Europe.