Présidentielle : la campagne d’Europe a commencé edit

19 septembre 2006

Il est de bon ton, pour les aspirants à de hautes fonctions, de faire montre des relations qu'ils entretiennent avec les grands de ce monde. Nul n'ignore que Nicolas Sarkozy a été reçu par George Bush et qu'il est sur le point de rencontrer Tony Blair. Quant à Ségolène Royal, elle aura vu en une semaine Romano Prodi, José-Manuel Barroso et José-Luis Zapatero – excusez du peu ! Les manœuvres auxquelles on assiste sur le terrain européen laissent entendre que celui-ci pourrait aussi devenir l'objet d'affrontements entre les prétendants à l’Elysée au cours des mois à venir.

Depuis toujours, il y a deux âmes dans la politique européenne de la France. La première est souverainiste. Jalouse de l’indépendance nationale, elle ne conçoit l’intégration que sous forme de coopération entre Etats. C’était celle du général de Gaulle, et c’est encore largement celle du Quai d’Orsay. Elle continue à faire sentir son influence : on lui doit entre autres la structure « en piliers » du traité de Maastricht, destinée à sanctuariser la politique étrangère ou la coopération en matière de sécurité contre toute interférence de la Commission, du Parlement ou de la Cour de Justice. L’autre est plus audacieuse : c’est celle des pères fondateurs, de Schuman à Delors, pour lesquels la construction européenne nécessite de vrais transferts de souveraineté à des organes supranationaux, même si le rôle des Etats reste primordial.

Ces deux modèles permettent de mesurer la portée du chemin accompli par Nicolas Sarkozy au cours des derniers mois.

Le Sarkozy qui s’exprimait au début de l’année relevait de l’ école intergouvernementale. Le G6, ces réunions des ministres de l’intérieur des « grands » Etats membres, qu’il avait contribué à mettre en place, lui paraissait tracer la voie à suivre; celle d’un « directoire », dont il faisait le moteur de l’Europe.

Le discours qu’il a prononcé le 8 septembre est aux antipodes de ce genre de raisonnement. Le choix du forum -- un cercle de discussion pro-Européen à Bruxelles – témoignait d’une volonté de se situer dans le débat européen plutôt que dans les échanges pré-électoraux de l’Hexagone. Le contenu rompt sur plus d’un point avec la tonalité de ses prises de positions antérieures. Pour relancer l’Europe, le ministre d’Etat envisage une stratégie en deux temps :d’abord un « mini-traité » pour adopter un certain nombre de dispositions non controversées, tandis que les principales réformes devront, elles, être élaborées selon une procédure beaucoup plus ouverte, avec notamment la convocation d’une convention semblable à celle qui avait élaboré le projet de constitution. Esquissant les contours de l’Europe de demain, le Sarkozy de Bruxelles est allé jusqu’à évoquer une Commission autonome, formée par son président sans exigence de nationalité, mais qui devrait ensuite recevoir l’aval du Conseil européen et du Parlement – un schéma que même les pro-communautaires trouvent audacieux.

Il est vraisemblable que ces prises de position doivent beaucoup à deux fins connaisseurs de la réalité Européenne , l’ancien commissaire Michel Barnier et l’euro-député Alain Lamassoure, tous deux nommément cités. Reste toutefois une question : pourquoi ce changement de cap, et pourquoi maintenant ?

A l’évidence, Nicolas Sarkozy a réussi un joli coup au niveau européen. Le scénario de sortie de crise qu’il a esquissé ne fait pas l’unanimité mais il constitue un des événements de la rentrée bruxelloise : tout le monde en parle. Si les gouvernements évitent de réagir trop ouvertement, c’est que dialoguer avec quelqu’un qui n’est pas « en situation », comme dirait Ségolène Royal, pourrait être vu comme une façon de l’avantager dans la course à l’Elysée.

Il est en effet vraisemblable que les motivations premières de ce virage européen relèvent de la politique intérieure. Nul n’ignore que c’est sur ce terrain que se situent les ambitions actuelles de Nicolas Sarkozy… Ses prises de position lui permettent de couper l’herbe sous le pied de François Bayrou, qui a fait du militantisme européen un des axes majeurs de sa campagne. Mais surtout, elles embarrassent les socialistes. Pas tous, cependant. Laurent Fabius, s’étant opposé au projet de constitution, se fera un plaisir de dénoncer toute tentative de résurrection, même partielle, d’un texte rejeté par les électeurs. En revanche, le volontarisme sarkozyen pose un problème à Ségolène Royal, dont l’objectif affiché est de « réconcilier ceux qui ont voté oui et ceux qui ont voté non », comme elle l’a dit à au « Grand Oral » de Lens, et qui compte parmi ses partisans des adversaires déclarés du traité constitutionnel.

Par ses propositions, Nicolas Sarkozy a réussi à se positionner au cœur du débat européen et au cœur du débat français sur l’Europe. En déplacement à Bruxelles, Mme Royal a annulé une conférence de presse pour éviter d’avoir à se prononcer sur les idées du ministre de l’intérieur. Elle a repris à son compte un des leitmotiv de M. Barroso : les réformes institutionnelles ne constituent pas une priorité ; il convient au préalable de définir les ambitions de l’Europe. La démarche est sage, mais cette réponse risque d’apparaître un peu courte aux tenants du oui. Pour maintenir l’unité de son camp, elle va devoir définir un plan d’action suffisamment ambitieux pour répondre à leur attente, sans pour autant remettre en cause le résultat du référendum, de peur de s’aliéner les sympathies des partisans du non. La synthèse ne sera pas aisée…